L’implantation des entreprises marocaines en Afrique

Par : Tallel
 
 


leasing180.jpgLe
continent est un gisement d’opportunités mais la présence marocaine demeure
malgré tout timorée. Des chefs d’entreprises marocaines ont tenté
l’expérience et nous racontent leurs succès mais aussi leurs déboires. Les
contraintes évoquées sont : des règles du jeu peu claires, des problèmes de
paiement et la rareté des compétences.

Dans le subconscient d’une bonne partie de chefs d’entreprise marocains,
l’Afrique est synonyme de sinistrose, de guerres, de maladies et
d’instabilité politique. C’est du moins l’image quotidienne que leur
renvoient les médias. Une perception qui se traduit par une frilosité des
patrons qui ne s’aventurent que rarement vers le Sud. Les statistiques des
échanges commerciaux le démontrent bien. En 2005, les exportations
marocaines vers l’Afrique ont à peine atteint 48,21 millions de DH, soit un
peu plus de 5% du total des exportations du Royaume. Néanmoins, un
renversement de tendance semble se dessiner depuis deux ans. Le courant
d’affaires avec l’Afrique, notamment sa partie Nord-Ouest, se renforce. Les
chiffres de la Smaex, Société marocaine d’assurance à l’exportation, en
témoignent. Le flux des opérations traitées avec le Sud et les demandes de
couvertures sont de plus en plus régulières. «Entre 2004 et 2006, nous avons
enregistré un doublement des demandes de garanties d’opérations sur
l’Afrique», confie une source à la Smaex. Même son de cloche auprès du CMPE
qui relève un regain d’intérêt pour l’Afrique où d’ailleurs le centre
multiplie les missions. La dernière en date a été réalisée en septembre
dernier, donnant l’occasion à une dizaine d’hommes d’affaires, tous issus du
secteur du BTP et de bureaux d’études, de se rendre au Burkina Faso et au
Mali.

Repositionnement diplomatique du Maroc

Ce revirement de tendance, est, de l’avis de plusieurs observateurs, une des
conséquences du changement du repositionnement diplomatique marocain au
niveau du continent. Fayçal Ghissassi, patron du groupe d’enseignement HECI,
un des rares entrepreneurs qui ont saisi depuis plusieurs années l’intérêt
de ce marché, rappelle cet éditorial d’un journal centrafricain qui
«reprochait à feu

Hassan II son manque d’empressement pour se rendre en Afrique alors que les
chefs d’Etat africains faisaient tous escale à Rabat». C’est un fait, le
Maroc officiel, jusqu’à il y a quelques années, avait le regard tourné
plutôt vers le Nord et l’Orient. Le Roi Mohammed VI a saisi l’enjeu de
l’Afrique et la nécessité d’un redéploiement sur le continent, insufflant
ainsi une nouvelle dynamique aux relations Sud-Sud. Les visites du
Souverain, du Premier ministre et des membres du gouvernement se sont
multipliées ces quatre dernières années, prenant soin de se faire
accompagner d’hommes d’affaires en quête d’opportunités au point de déranger
sérieusement les intérêts d’autres pays notamment la France,
particulièrement au Sénégal. Fait qui ne trompe pas : il y a quelques mois,
dans une déclaration à la presse française, le Club des investisseurs
français au Sénégal, association qui regroupe une centaine d’entreprises,
s’est inquiété de la percée des sociétés marocaines sur le marché
sénégalais. Mais au-delà du commerce, ce sont aussi les investissements
marocains qui sont en hausse dans ce pays, totalisant un stock de plus de
150 MDH à fin 2005 contre 100 MDH en 2002. Un volume qui se renforcera avec
d’autres opérations comme celle que prépare Hassan Sentissi, armateur et
industriel de la pêche, qui envisage de se lancer sérieusement en Afrique.
En plus du Sénégal où il vient se voir accorder l’autorisation de lancer à
Dakar, en association avec des opérateurs locaux, la construction d’un
complexe industriel qui regroupera des installations pour la farine de
poisson, le poisson congelé et la conserve de poisson, il poursuit un projet
similaire à Nouadhibou, en Mauritanie.

Sur le registre des investissements en propre on peut citer également West
Africa Pharma, filiale du laboratoire marocain Sothema dont l’usine à Dakar,
selon son DG Mohamed Amrani, entrera en activité en mars 2007. La pose de la
première pierre de cette unité avait d’ailleurs été effectuée par SM

Mohammed VI en personne lors de sa visite à Dakar en juin 2004. Le secteur
de la pharmacie figure d’ailleurs parmi les créneaux porteurs pour les
opérateurs marocains. «L’industrie pharmaceutique nationale a acquis ses
lettres de noblesse en termes de dynamisme prospectif et de qualité. Cela
lui permet de nourrir des ambitions exceptionnelles en terme d’export,
surtout au niveau des génériques qui répondent à un besoin réel à l’échelle
des pays africains et ce, en dépit des contraintes auxquelles sont désormais
soumis ces produits par la conjonction des dispositions de l’OMC et des
accords de libre-échange conclus dernièrement par notre pays», souligne
Abdellah Lahlou Filali, PDG des laboratoires Pharma 5 présent sur le
continent depuis 1987 et qui exporte vers douze pays africains. L’attrait du
marché pourrait par ailleurs se traduire par la mise en place progressive de
bureaux de liaison de Pharma 5 dans les principales capitales africaines.

Des succès mais également des échecs

Cependant, il est important de noter que le succès n’est pas toujours au
rendez-vous. Les aléas propres à chaque pays sont nombreux et le risque
d’échec est omniprésent. Mais le jeu en vaut bien la chandelle. «Le
continent offre des taux de croissance et de profitabilité des projets plus
importants qu’ailleurs», tient à souligner M. Ghissassi dont le groupe HECI
a depuis 10 ans tissé un réseau de formation implanté dans 10 pays
francophones. Le succès de son expérience a d’ailleurs convaincu d’autres
opérateurs à lui emboîter le pas. C’était le cas de l’ISCAE qui a lancé en
2001 sa filiale guinéenne et de HEM qui, dans le cadre d’un regroupement
avec l’EMSI et SupCom, lance à Dakar le centre de l’Université libre.

Dans son périple africain, raconte le management de HECI, l’entreprise a
vécu deux épisodes qui illustrent parfaitement la particularité de ce
marché. Le plus récent est celui des événements qui ont secoué la Côte
d’Ivoire. «Abidjan a été le centre de gravité de notre réseau. Nous y avions
construit le siège de l’université internationale qui fédère l’ensemble des
centres. Mais l’instabilité politique que vit ce pays nous a contraints à
délocaliser le centre vers la capitale sénégalaise, Dakar». Le deuxième
exemple nous vient cette fois-ci de Moncif Chakib, président délégué du
groupe. «Il y a trois ans, la Guinée a connu une dévaluation du franc
guinéen qui a réduit pratiquement de 6 fois le pouvoir d’achat. Face à cette
nouvelle donne, notre étude de faisabilité n’avait plus de sens». Moralité
de l’histoire : en Afrique, les succès d’aujourd’hui ne garantissent pas
forcément le lendemain.

N’empêche, le marché garde tout son attrait et ce n’est pas Faouzi Chaâbi,
vice-président du groupe Ynna, qui va le contredire. Ce groupe a d’ailleurs
été l’un des premiers à s’exporter. En 1967 déjà, il était parti réaliser
son premier marché en BTP hors frontières. Point de chute, la Libye. Mais
l’expérience avait tourné court. Le groupe a dû plier bagages en 1970 avec
l’arrivée au pouvoir du nouveau maître de Tripoli, Mouaâmar Kaddafi. Le
groupe lorgnera régulièrement l’Afrique du Nord s’installant dés 1974 en
Tunisie où il compte aujourd’hui une usine de tuyauterie. En 1993, ce sera
autour de l’Egypte avec une usine de fabrication de batteries employant 450
personnes. Et ce n’est qu’en 1997 que Chaâbi prendra pied sérieusement en
Afrique subsaharienne avec le lancement en Côte d’Ivoire d’une usine de
fabrication de tubes en PVC et polyéthylène pour un investissement de près
de 50 millions de DH. «Nous croyons beaucoup à ce pays. Malheureusement,
nous avons été contraints d’arrêter avec la guerre qui y a éclaté. Nous nous
sommes intéressés par la suite au Sénégal, au Gabon et à la Guinée
équatoriale». Aujourd’hui, Ynna holding poursuit, en plus de son métier
classique, le BTP, des projets d’hôtellerie et de tourisme dans ces trois
pays en plus du Mali et de la Mauritanie. Mais la présence du groupe dans
ces pays n’a pas toujours été de tout repos. L’expérience sénégalaise est
particulièrement riche en enseignements pour tout investisseur. Faouzi
Chaâbi raconte. «En Afrique nous rencontrons des problèmes propres à tout
investisseur étranger. Il y a des déceptions, des coups bas et des problèmes
politiques comme ce que nous avons vécu au Sénégal où des forces contraient
la volonté du président Wade de voir se concrétiser le projet de la
construction de 10 000 logements confié au groupe Chaâbi. Il y avait une
espèce de représailles souterraines de la part des membres de son
gouvernement pour saboter le projet. La taille de l’opération en a fait un
enjeu politique. D’autres opérateurs ont réussi dans ce pays pour des
opérations de moindre envergure». A peine remis de l’expérience sénégalaise,
Ynna holding s’est retourné vers d’autres pays comme la Guinée équatoriale
où il mène actuellement un projet «de logements mais de moindre dimension».

CCGT : 1,1 milliard de DH de commandes fermes au Sénégal

Outre Chaâbi, les succès marocains dans le segment du BTP et de l’immobilier
ne se comptent plus. En 2005, par exemple, le groupe CCGT (consortium de
BTP) affichait un carnet de commandes fermes de 1,1 milliard de DH au
Sénégal pour des projets dans lesquels de grandes entreprises françaises
étaient en course. Scet Com, dont les tentatives de pénétration du continent
africain remontent à cinq ans, a pu remporter son premier marché africain
pour la réalisation d’un réseau d’assainissement à Nouadhibou et qui
s’achèvera cette année. Chérif Moulay Chrif, membre de son directoire, garde
aussi bon espoir pour remporter d’autres marchés au Mali (aménagement
hydraulique), au Cameroun (assainissement de la ville de Yaoundé) et en
Guinée Conakry pour un projet d’hydraulique villageois qui porte sur la
réalisation de 700 forages pour l’alimentation en eau potable du tiers de la
population guinéenne. Dans le secteur du BTP, les opérateurs reviennent le
plus souvent sur les conditions d’octroi des marchés notamment publics. «Les
règles du jeu ne sont pas claires. Les dessous de table sont monnaie
courante», explique un opérateur de premier rang. Pour le BTP, les
pourboires sont habilement appelés frais commerciaux dont s’acquittent
l’adjudicataire auprès du maître d’ouvrage.

Pour réussir en Afrique, et quel que soit le secteur, un conseil classique
revient comme un refrain : s’adosser à un bon réseau et bien choisir ses
partenaires sur place. «Mal conseillés, des opérateurs font le choix de
partenaires non fiables», note M. Ghissassi. Les investisseurs marocains
doivent par ailleurs être particulièrement vigilants en matière de
règlement. Plusieurs l’ont appris à leurs dépens et ont vu leurs créances se
volatiliser. Prudentes, certaines entreprises, comme c’est le cas de Scet
Com, limitent leurs soumissions aux seuls projets bénéficiant de soutien de
bailleurs de fonds étrangers. Néanmoins, le déploiement progressif des
banques marocaines sur le continent devra répondre en grande partie à ce
souci (lire encadré sur les banques). «Les entreprises marocaines sont de
plus en plus présentes sur le continent. Notre motivation est aussi de
faciliter leurs démarches sur place», souligne Ismail Douiri, directeur pôle
finance, transformation et opérations chez Attijariwafa bank (AWB), qui,
face à la forte concentration du marché bancaire marocain, est aujourd’hui
en quête d’opportunités de croissance externe en Afrique de l’Ouest. Après
son renforcement au Sénégal, le management de la banque suit attentivement
le comportement du secteur bancaire notamment au Togo, Gabon, Guinée
équatoriale, Cameroun, Mauritanie, Cote d’Ivoire, Niger, Guinée Conakry et
en République démocratique du Congo, nous confient les responsables d’AWB.

Liaisons : le maritime complète l’aérien
La liste des contraintes inhérentes au marché africain n’est pas prête de se
terminer. Outre le paiement, la rareté des ressources humaines dans certains
pays est également et souvent évoquée. «C’est le cas par exemple du Gabon où
pratiquement tous les hauts cadres sont dans l’administration, ce qui nous
pousse à recruter de chez les pays voisins», note Moncif Chakib. De leur
côté, les Marocains expatriés réclament des salaires élevés par rapport
notamment aux Tunisiens, reproche Chérif Moulay Chrif.

Autre point pénalisant le développement de courants d’affaires avec
l’Afrique : la logistique. Malgré la multiplication des liaisons aériennes,
l’avion revient encore cher pour la plupart des secteurs (lire encadré RAM).
Les lignes maritimes sont donc les plus exploitées. La Comanav, même si elle
ne dessert que quelques destinations, a permis de résoudre en partie ce
problème. La compagnie nationale pourrait, par ailleurs, après le succès que
rencontre la Somat, sa filiale sénégalaise qui exploite la ligne intérieure
Dakar-Ziguinchor, se diversifier en s’attaquant au fret de marchandises pour
la sous-région Sénégal, Gambie, Cap-vert. Un conseil d’administration
extraordinaire sera d’ailleurs convoqué dans les semaines à venir afin
d’approuver l’acquisition d’un navire cargo pour cette ligne.

Trois questions à Faouzi Chaâbi, Vice-président du groupe Ynna

La Vie éco : Quel est l’intérêt particulier de l’Afrique pour une entreprise
marocaine?
Faouzi Chaâbi : L’Afrique offre de grandes opportunités pour les métiers où
les Marocains détiennent un savoir-faire confirmé notamment en matière
d’infrastructures, d’habitat, de construction d’écoles et de grands
ouvrages. L’Afrique se réveille et a besoin d’un savoir-faire que nous
maîtrisons déjà. L’autre avantage que nous avons est celui de la proximité.

Comment renforcer sa présence dans ces pays?
Il faut bien garder à l’esprit que c’est un marché dont la population
dépasse celle du Maghreb. Ces pays sont en plus liés par des accords
régionaux. Ils enregistrent un besoin énorme en produits agroalimentaires et
en infrastructures. D’où l’intérêt de s’installer sur place. Le Roi y est
allé au moins quatre fois. Et plusieurs opérateurs ont profité de l’impact
de ces visites. Ce sont ces pays qu’il faut inviter à nos différentes
manifestations comme, par exemple, les Intégrales de l’investissement.

Les opérateurs évoquent une concurrence acharnée livrée de la part des
entreprises, tunisiennes notamment, sur ce marché…
Effectivement, c’est le cas. A ce propos, je demande au gouvernement
marocain de structurer nos ambassades dans ces pays qui souffrent d’un
sous-effectif notoire. En plus, les équipes sur place sont focalisées
essentiellement sur le dossier du Sahara. Certes, on décèle un petit
changement depuis l’arrivée de Mohammed VI, mais notre diplomatie économique
en Afrique reste trop timide par rapport à celles d’autres pays comme la
Tunisie qui, paradoxalement et heureusement pour nous, ne bénéficient pas du
même accueil que les Marocains. A mon avis, chaque ambassadeur doit disposer
d’une équipe d’au moins six personnes, dédiée aux affaires et à
l’accompagnement des investisseurs marocains. L’avenir du Maroc est en
Afrique noire.

RAM : le nouveau géant aérien de l’Afrique ?
L’année 2007, la RAM sera aux couleurs africaines. La compagnie compte
porter le nombre de ses fréquences hebdomadaires de 60 à 70, soit une
moyenne de dix vols quotidiens. Disposant déjà de bureaux de représentations
dans 11 pays du Sud, elle compte aussi en ouvrir trois nouveaux à partir de
novembre prochain à Brazzaville (Congo), Malabo (Guinée équatoriale) et Acra
(Ghana) qui se traduiront par de nouvelles liaisons vers ces pays, confie à
«La Vie éco» Hassan Hihi, DGA en charge du développement. Le management de
la compagnie étudie sérieusement aussi l’opportunité de deux autres bureaux
de représentations à Lagos au Nigéria et à Bangui (Centre-Afrique).
S’agissant de pays anglophones, ces marchés présentent pour la RAM un
intérêt hautement stratégique. Ils devront bénéficier de connexions
notamment sur Londres et ouvriront le marché de ces pays aux opérateurs
marocains encore totalement absents de cette partie du continent largement
dominé par l’Afrique du Sud.

Le marché africain est particulièrement attrayant pour la RAM et les
liaisons actuelles contribuent fortement à la rentabilité de tout le réseau
qui bénéficie aussi des synergies créées avec les compagnies locales qu’elle
contrôle. Après l’épisode malheureux d’Air Cameroun, la RAM prépare la
signature d’un mémorandum d’entente pour la prise de contrôle prochainement
d’Air Mauritanie. Air Gabon, tombée dans son giron, devra, de son côté, être
opérationnelle à partir de l’été 2007. D’autres acquisitions devraient aussi
voir le jour dans les années à venir. Le Burkina Faso est en pôle position
pour une future prise de participation de la RAM en terre africaine.

Source:

http://www.yabiladi.com