Nous avons reçu ce document émanant d’une facture à son patron et nous nous sommes pliés à sa demande insistante pour qu’elle soit publiée.

‘’Mon cher patron,

Voilà de longs mois que je vous ai quitté, vous et votre dynamique équipe, quand vous m’avez préparée j’étais heureuse et je me suis dit que j’allais servir au moins une fois et heureuse dans le cartable du coursier je fus transportée vers d’autres cieux et déposée au bureau d’ordre ou je devais en principe être transformée en espèces sonnantes et trébuchantes pour que tu puisses développer ton activité et de faire des petites sœurs.

Mais voilà que grande fut ma désillusion, j’ai tout d’abord atterri dans un parapheur et reçu un premier coup de tampon et un numéro et avec une autre centaine de parapheurs on m’emporta vers le grand patron qui avait un joli bureau et qui devait viser tout ce qu’on lui apporte ; et le pauvre, il signait, signait, signait, et au bout de quelques heures, il avait tout signé et presque rien lu. Il ne me porta même pas un regard. Quelques jours après, les parapheurs furent dispatchés et firent des circuits aussi compliqués qu’invraisemblables ; à chaque bureau je recevais un coup de tampon sur la tête, un numéro. Heureusement que tu n’écris pas au verso des factures comme ça ils trouvèrent de la place pour mettre tous ces tampons.

Après avoir passé les obstacles du contrôleur, du sous-contrôleur, du sur-directeur, du directeur, du sous-directeur, du contrôle de budget, du chef de service, du contrôle des marchés, du service qui vérifie si la facture correspond à ce qui a été livrée, j’ai finalement atterri au service comptabilité et la j’ai rencontré beaucoup d’amis.

Nous avons sympathisés, on bavardait ensemble, on discutait, et comme on nous enfermait le soir, heureusement qu’on étaient nombreuses –comme à la star ac– on rigolait et chacun racontait son histoire : il y en avait qui était là depuis quelque temps –il y a des factures qui ont mis plus de 10 ans pour être réglées– il y en avait qui avaient fait le circuit plusieurs fois car chaque fois il manquait une virgule, il y en avait pour lesquelles l’informatique n’avait pas prévu d’imputation –c’est quoi ça– et maintenant je me suis fais une petite famille.

Comme j’écoute aux portes j’entends souvent des gens venir demander de nos nouvelles et on leur répondait le même mot : «mazel ; mazel , mazel». De temps en temps, l’une de nous nous quittait, nous expliquait que son patron avait des relations qui lui permettaient de partir ; et j’entendais les gens papoter, arriver après l’heure et partir en avance, une fois même quelqu’un qui voulait s’essuyer les mains après avoir mangé un casse-croûte trop huilé prit dans le placard une trop vielle facture et s’essuya les mains avec …je ne te dis pas.

Et voilà, j’espère qu’un de ces jours je quitterai ce placard pour des horizons meilleurs où je serai plus utile pour servir de bouche-trou à un compte bancaire qui fuit de toutes parts … Je compte sur toi pour m’en sortir’’.

Ta facture bien aimée !

Par Ibtissem