Les Journées de l’emploi organisées par Keejob à l’UTICA les 2 et 3 octobre 2025 ont donné lieu à des échanges nourris autour du futur Code du travail. L’un des moments forts fut l’intervention de Hédi Dahmen, expert en politiques sociales et consultant auprès de l’UGTT, qui a livré un éclairage approfondi sur les fondements juridiques, les enjeux économiques et les implications sociales de cette réforme.
Des fondements juridiques encore flous
L’exposé de motifs présenté par le gouvernement le 24 mars 2025 reste, à ce jour, le seul document explicitant les raisons de la refonte du Code du travail. Or, souligne Dahmen, ce texte « ne s’inscrit pas clairement dans le cadre des conventions internationales » relatives à la législation du travail.
Le gouvernement avance un second motif, d’ordre social : doter la Tunisie d’un cadre favorisant l’accès à un travail décent, pour sortir d’un système marqué par la précarité et des conditions d’emploi dégradées.
Le concept de travail décent fait son entrée
C’est une première dans le droit tunisien : la distinction entre travail décent et travail indécent est désormais introduite. Inspiré des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT), le travail décent dépasse les simples conditions matérielles. Il repose sur quatre piliers : un salaire équitable, la sécurité de l’emploi, la santé au travail et le respect des droits fondamentaux.
Pour Hédi Dahmen, il s’agit d’une évolution nécessaire :
« Il est temps de réconcilier le peuple avec des formes de travail nouvelles, adaptées à un monde en mutation. »
Une réforme structurelle de 22 articles
Le projet touche 22 dispositions du Code du travail, dont la définition même du contrat. La réforme tend à favoriser le passage des CDD aux CDI, afin de renforcer la stabilité dans le secteur privé. Le secteur public, lui, est encadré par un texte complémentaire.
Cette mesure vise à régulariser près de 60 000 travailleurs en situation précaire. Mais elle soulève aussi des interrogations : quel impact pour les entreprises, déjà confrontées à des marges réduites ? Quelles conséquences budgétaires pour l’État et les contractuels ?
Entre stabilité et flexibilité
Le texte cherche à concilier stabilité de l’emploi et mobilité professionnelle. Le contrat deviendrait plus souple, pouvant être rompu sous conditions de préavis, sans que le salarié perde ses droits fondamentaux.
Mais ce modèle, inspiré d’une logique de flexibilité économique, pose plusieurs paradoxes. D’une part, il n’a pas fait l’objet d’une concertation tripartite entre l’État, le patronat et l’UGTT. D’autre part, sa mise en œuvre risque de provoquer des tensions dans la sous-traitance et le transfert d’emplois du public vers le privé.
Des effets à surveiller dès 2026
Selon Dahmen, l’impact réel de cette réforme se mesurera à partir de l’année prochaine. Les effets pourraient se traduire sur les budgets de formation, les ressources humaines et les investissements des entreprises.
Pour lui, la réussite de ce nouveau cadre dépendra moins du texte lui-même que de sa capacité à garantir un équilibre durable entre compétitivité, justice sociale et protection des travailleurs.
Amel Belhadj Ali
EN BREF
- Le gouvernement a présenté en mars 2025 un projet de réforme du Code du travail.
- La notion de travail décent est introduite pour la première fois en Tunisie.
- 22 articles sont modifiés, dont la définition du contrat de travail.
- L’objectif est de favoriser la stabilité et régulariser 60 000 emplois précaires.
- Les experts alertent sur les risques de déséquilibre et de manque de concertation.
- Les effets concrets sont attendus dès 2026.



