A Takelsa, une petite ville du nord-ouest du Cap Bon (nord-est de la Tunisie), les effets du changement climatique, dont l’érosion marine, se font déjà sentir sur des plages peu fréquentées et jalousement gardées secrètes par les randonneurs professionnels. L’empreinte humaine se manifeste par l’accumulation de déchets de tous genres, la plupart en plastique.

Sur la plage “d’El Mangaa” et un peu plus loin sur les côtes, des lagons ont gardé leur aspect naturel sauvage, où les vagues, le vent, le sable et le temps ont sculpté des rochers fantastiques offrant un paysage spectaculaire. Hélas, les déchets rejetés par la mer incluant des plastiques ont fini sur le sable et entre les rochers. Près de 80% de ces déchets proviennent de la terre, en témoignage d’un cercle vicieux provoqué par l’homme.

Sur cette partie du littoral tunisien, des criques enclavées qui n’étaient accessibles que par des sentiers de randonnée ou par bateau, reçoivent désormais, environ 1000 visiteurs par jour, selon Mohamed Temimi, fondateur de la start-up d’aventures éco-responsables “Tunisian Campers”. Faire découvrir la nature sauvage, généreuse et encore méconnue de la Tunisie, est l’un des objectifs de la jeune pousse. Le plus difficile, toujours d’après lui, c’est d’inculquer aux férus de la nature les pratiques de sa préservation.

L’intervention humaine: un malheur, une aubaine!

Sur la piste qui mène à la plage El Mangaa, il n’y a aucun panneau de signalisation, ni pancarte pour sensibiliser les visiteurs à respecter l’environnement et la propreté des lieux. En l’absence de la municipalité, les seules actions de nettoyage des plages sont menées, quatre fois par mois, par l’Agence de Protection et d’Aménagement du Littoral (APAL) du 18 mai au 15 septembre. Aussi, pour toute la zone, une seule personne est chargée de collecter les déchets recyclables. Kaïs Habchi sillonne les lieux à pied et ramasse ce qu’il trouve sur son chemin avec des moyens artisanaux. “Les quantités de déchets en plastique augmentent d’année en année”, déplore-t-il, espérant obtenir les autorisations nécessaires pour créer son point de collecte à Takelsa et employer au moins deux autres personnes.

Pour Yassine-Ramzi Sghaier, expert en biodiversité marine et cofondateur de l’ONG de conservation marine “TunSea“, les plages ne sont pas seulement des espaces où on peut profiter du sable et du soleil, mais aussi des écosystèmes complexes. “Ce que nous devons tous comprendre, c’est que les plages sont les récepteurs de tous ce que nous produisons comme déchets pendant toute l’année. Si tu jettes une bouteille en plastique à Oued Medjerda, tu la trouveras six mois après à Coco Beach (Bizerte)”.

Des actions de sensibilisation sont de ce fait nécessaires, d’autant plus que les associations de la société civile sont absentes à Takelsa. Un appel a été lancé à cette occasion pour y créer des ONG qui pourraient coopérer avec la municipalité et l’APAL durant leurs interventions.

Un désenclavement risqué!

Une première piste vicinale vers la plage d’El Mangaa est en train d’être créée, pas loin de quelques villas de luxe surplombant les eaux turquoises. Elles appartiennent à des hommes d’affaires connus, selon les locaux rencontrés lors d’une visite organisée au profit de journalistes spécialistes de l’environnement.

Cette visite est organisée par la GIZ, à travers son Projet d’Appui à la Gouvernance environnementale et climatique pour une Transition écologique en Tunisie (PAGECTE) en collaboration avec le Projet d’appui aux médias tunisiens (Pamt2). Ces deux derniers sont financés par l’UE et l’APAL, sous l’égide du ministère de l’Environnement en collaboration avec la start-up d’aventures éco-responsables “Tunisian Campers” et la start-up “TunSea”.

L’accès difficile à certaines plages de Takelsa a empêché la dégradation de leurs écosystèmes et a allégé les effets de l’érosion marine, de l’aménagement urbain et de la pollution. “Nous voulons anticiper et préserver ces rivages, en leur épargnant la pression subie par le reste des plages de Nabeul et du Cap Bon, région à forte vocation touristique, principalement axée sur le tourisme balnéaire”, a déclaré le représentant régional de l’APAL à Nabeul, Karim Boulifa.

L’APAL, qui avait intégré la plage d’El Mangaa au marché-cadre entre les ministères de l’Environnement et du Tourisme, puisqu’elle répond désormais au critère de densité, y a organisé une action de nettoyage à l’occasion de cette visite. Au total, 47 plages dans la région de Nabeul et du Cap-bon sont concernées par ses interventions.

Préserver les plages de Takelsa, une action d’anticipation

“Nous ne voulons pas reproduire l’exemple de Coco Beach à Takelsa”, a lancé l’expert en conservation de la nature, Faouzi Maamouri, en allusion à l’Île de Coco ou Chatt Coco, une destination touristique très prisée jusqu’à la surexploitation, à Ghar El Melh. Une ruée, non écoresponsable, vers de belles zones enclavées du littoral pourraient mener à la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité et à la destruction des habitats.

L’idéal, d’après lui, serait de profiter de la beauté des plages, mais d’une manière durable. “Si le citoyen adopte un comportement civique, on n’aura pas besoin de poubelles sur les plages”, a ajouté Maamouri, qui appelle à la création d’une réserve naturelle à Takelsa intégrant le micro-climat et l’écosystème autour de la plage El Mangaa, où se trouve une source d’eau douce à 20 mètres et un couvert végétal très intéressant.

Les plages de Takelsa ne font pas partie, par ailleurs, du projet de protection du littoral contre l’érosion marine couvrant la zone de Béni-Khiar à Yasmine Hammamet. Ce projet, l’un des plus ambitieux sur le littoral tunisien, prévoit la protection d’un linéaire de 32 kilomètres.

D’un coût global estimé à environ 300 millions de dinars, le projet, dont le démarrage est prévu début 2026, “va changer la donne environnementale, touristique et économique dans la région de Nabeul et dans tout le pays”, espère Karim Boulifa.