L’artiste pluridisciplinaire Fadhel Jaziri qu’on commémore, a réussi durant cinq décennies à redessiner les contours de la création artistique dans le pays en naviguant aisément entre théâtre, cinéma, arts de spectacles nourri d’une grande passion et d’une volonté à explorer des nouveaux horizons.

Son œuvre trouvait sa source dans sa grande culture et sa capacité à transmettre l’art national pour lui donner une dimension universelle en s’exprimant en sur scène, devant et derrière la caméra, avec un savoir-faire que lui seul avait les secrets.

Sa grandeur et sa singularité n’est plus à prouver et c’est d’ailleurs l’avis de tous ceux qui l’ont côtoyé de près parmi les artistes de sa génération et ses proches qui l’ont accompagnés jusqu’à son dernier souffle le 11 août dernier chez lui à Utique, près de Bizerte, à l’âge de 77 ans.

A l’occasion de la commémoration du 40ème jour de son décès, l’homme de théâtre et de cinéma Fadhel Jaziri (1948-2025), était au coeur d’un hommage, vendredi soir, à la maison de la Culture Ibn Rachiq, à la Capitale, qui lui était rendu par la délégation des Affaires Culturelles au gouvernorat de Tunis, sa ville natale où il avait grandi dans un appartement niché dans l’une ruelles, au cœur de la Médina.

La cérémonie d’hommage a permis de voir un documentaire, en hommage posthume à Fadhel Jaziri en présence de certains hommes de théâtres, des représentants des médias aussi bien que des proches de Feu Jaziri notamment sa femme et le chanteur d’opéra Haydhem Lahdhiri avec lequel il avait eu de multiples collaborations artistiques durant près de 16 ans.

Auparavant, il y a eu le vernissage d’une exposition photographique rétrospective composée d’une sélection de photos de feu Jaziri et ses principales œuvres théâtrales, cinématographiques et artistiques.

Un mini livre a été également édité à cette occasion dans lequel on peut lire des textes signés par le journaliste-écrivain Mohamed Elmay, l’ancien ministre de la Culture Abderraouf El Basti, critique de théâtre Faouzia Mezzi, l’homme de culture et présidente de l’association des anciens du Collègue Sadiki, Chedli Ben Youness, la cinéaste Ons Kammoun et l’homme de théâtre Hamadi Mezzi.

Cet hommage-posthume se poursuivra, samedi, au 4ème art, avec notamment la pièce “Au Violon”, dernière création, théâtre-danse, de Jaziri présentée au Festival international de Hammamet, la veille de son décès.

Un artiste pluridisciplinaire

Conçu et réalisé par Mohamed El May, avec Nour Jallouli à la direction de la photographie et au montage et en partenariat avec la radio Misk, le documentaire a été produit par la délégation des Affaires Culturelles au gouvernorat de Tunis, relevant du ministère des Affaires Culturelles.

Quoique la cérémonie d’hommage ne fût pas à la hauteur de Fadhel Jaziri, un des pionniers qui ont su façonner la scène artistique tunisienne, la soirée était l’occasion de revenir sur son parcours singulier à travers un documentaire de près d’une heure présenté en exclusivité.

Des séquences d’une interview de Fadel Jaziri alternaient avec les témoignages émouvants et les récits profonds de divers acteurs culturels dont Abdelhalim Messaoudi, Faouzia Mezzi, Chedli Ben Youness, Mohamed Mezzi, Mounir Ergui, Amen Nsiri, Fathi Kharrat, Raouf Ben Amor, Fathi Zgonda et Lamine Nahdi. Leurs témoignages ont permis de dévoiler des facettes peu connues du public.

Cependant, le parcours cinématographique de Jaziri qui avait collaboré dans La Noce (1976), Traversée (1981), Arab (1988), Thalathoun (2007), Eclipse (2014) et El Guirra (2016) -, était presque absent des témoignages.

« Artiste pluridisciplinaire et singulier, ayant assez de goût et très passionné par le dialecte tunisien élégant et raffiné comme une broderie », comme le qualifie le comédien Raouf Ben Amor, citant son style narratif riche en vocabulaire qu’on trouve dans la pièce “Orage d’Automne”(1980) ».

Au collège Sadiki, Jaziri s’est initié au théâtre scolaire, puis, encouragé par son ami Chedli Ben Youness, dans la troupe de la Médina de Tunis aux côtés d’Ali Ben Ayed (1930-1972), avec lequel il a participé en tant qu’acteur à sa création « Mourad III » qui était par la suite présentée à Hammamet puis à Monastir. « J’étais figurant », précise Jaziri avec un brin de nostalgie pour une époque et un homme de théâtre « exceptionnel ».

Réhabilitation des arts populaires avec Nouba et el Hadhra

Selon Mohamed Mezzi, Jaziri a créé une sorte de « convergence entre les différentes expressions artistiques dans des œuvres ancrées dans la mémoire collective, et ce depuis son spectacle Nouba, à l’aube des années 90, en passant par la Hadhra et autres… ».

Les témoignages présentent un artiste ayant réussi à « réhabiliter la place des arts populaires en Tunisie qui malgré leurs richesses étaient mal perçus, au profit de la musique classique ».

Son dernier spectacle d’El Mahfel, une méga fête bédouine moderne de deux heures et demie, donné à l’ouverture du 57ème Festival International de Carthage (14 juillet-19 août 2023), avait reçu un accueil mitigé de la part du public aussi bien que la critique.

Jaziri qui supervisait chaque détail du spectacle avait à l’époque déclaré avoir voulu présenter une œuvre dans l’ère du temps. La transmission du patrimoine musical est au cœur de cette création réalisée en collaboration avec des artistes de la nouvelle génération évoluant dans divers registres musicaux et l’introduction de nouvelles sonorités, entre les sonorités de son fils Ali Jaziri ou encore le background lyrique et d’opéra du baryton Haythem Hadhiri.

Abdelhalim Messaoudi souligne l’importance de l’intérêt de Jaziri pour le patrimoine musical national qui avait jeté les bases d’ « un projet novateur et une continuité d’un patrimoine oral et imaginaire », en incarnant ce qu’il appelle « une approche anthropologique dans la culture tunisienne ».

Tant de souvenirs ont refait surface sur un artiste ambitieux depuis sa jeunesse : du témoignage de Raouf Ben Amor rappelant son voyage à Londres avec Jaziri qui rêvait de présenter un spectacle grandiose à Trafalgar square, jusqu’au récit de l’humoriste Lamine Nahdi évoquant une anecdote entre Jaziri et feu Fathi Haddaoui (1961-2024) durant les répétitions pour la pièce Arab (1987). Nahdi a réussi à briser le calme dans la salle où l’on entendait des petits rires.

Pour l’humoriste, Fadhel Jaziri est un homme « exceptionnel et inoubliable ». Et ses amis sont tous unanimes : bel Homme, charismatique, talentueux, respectueux, généreux, doté d’une forte personnalité et d’un sens de l’humour, Fadhel Jaziri ne passait pas inaperçu.

La notion de la mort en tant que vérité absolue, n’était sans doute pas absente chez Fadhel Jaziri qui l’évoque en toute tranquillité assis confortablement devant la caméra. Une certaine aisance qui cache bien son deuil d’avoir perdu des personnes chères parmi lesquelles on mentionne son fils Omar, acteur et réalisateur, décédé le 12 novembre 2014 dans un accident de train alors qu’il était sur le tournage d’un film.

Artiste, comédien, metteur en scène, producteur de théâtre, de spectacles musicaux et d’oeuvres cinématographiques, Fadhel Jaziri est parti après avoir fondé son projet de rêve, le Centre des Arts de Djerba, inauguré le 10 novembre 2022.

Avec son départ, une nouvelle étoile s’éteint mais dont la lumière éclairera toujours le chemin des générations d’artistes, présentes et futures, qui porteront le flambeau en vue de perpétuer le projet d’un artiste exceptionnel.

Par Fatma Chroudi