TourismeDepuis des décennies, la diversification du produit touristique tunisien revient régulièrement dans les discours officiels sans toujours se traduire concrètement sur le terrain. Même si de nouveaux produits touristiques ont été développés dont le tourisme saharien et le tourisme alternatif : trop peu pour un pays qui regorge de vestiges historiques et de sites naturels uniques.

Quelles sont les stratégies mises en place par l’ONTT pour promouvoir, développer et améliorer le produit touristique national ? Kamel Gaies, directeur du produit touristique à l’ONTT, répond dans l’entretien ci-après.

La diversification du produit touristique est un vieux chantier en Tunisie. Où en est-on aujourd’hui ?

Il est vrai que cette question revient depuis près de 40 ans. Plusieurs tentatives ont été menées pour enrichir l’offre au-delà du balnéaire. Le tourisme saharien en est un bon exemple, avec le développement des zones de Nefta, Douz et Tozeur.

Nous avons également soutenu des événements culturels comme le festival de jazz de Tabarka dans les années 70. Nous voulions que ce festival arrive à s’autofinancer pour que nous puissions investir dans d’autres produits. Ce ne fût malheureusement pas le cas et le festival a fini par disparaitre. Cela dit, malgré des efforts palpables, ces produits n’ont pas atteint leur plein potentiel.

Qu’est-ce qui a empêché ces produits de s’imposer durablement ?

Plusieurs facteurs : le manque de coordination entre les acteurs, des stratégies de promotion insuffisantes, des infrastructures à entretenir et maintenir.  Par exemple, le tourisme saharien est un produit de niche, qui s’adresse à une clientèle haut de gamme. Il nécessite un hébergement de qualité, un transport aérien fluide, une logistique bien huilée. Or, ces conditions n’ont pas toujours été réunies.

Même chose pour le golf : nous disposons actuellement de 10 parcours, alors qu’il en faudrait au moins 20 ou 30 pour devenir une vraie destination golfique méditerranéenne compétitive. Il y a une forte concurrence en Méditerranée, s’agissant du tourisme golfique.

En ce qui nous concerne, outre nos moyens réduits s’agissant de la promotion de parcours d’exception dans notre pays, il y a aussi le problème du transport aérien. Nous avons une représentation de l’ONTT à Stockholm où beaucoup de Golfeurs sont intéressés par notre destination mais nous sommes handicapés par l’absence de lignes directes ou charters.

« La diversification du produit touristique tunisien est un chantier vieux de 40 ans, mais encore loin de son plein potentiel. »

 Quels sont les axes de la stratégie 2035 pour revitaliser ces segments?

La stratégie 2035 repose sur quatre axes majeurs du produit : le tourisme sportif, le tourisme religieux, le tourisme de découverte et l’hébergement alternatif. Ce dernier inclut les chambres d’hôtes, les gîtes ruraux, les campings et les motels.

Un cadre réglementaire spécifique est en cours de finalisation. Nous avons organisé un séminaire national à ce sujet le 16 avril dernier, sous l’égide du ministre du Tourisme. Le projet a été, il y a un mois, transmis à la présidence du gouvernement, pour validation finale après l’avoir envoyé pour avis au Conseil de la Concurrence. Le cahier de charge sera très prochainement officiellement publié.

Et concernant le tourisme religieux ? Est-il réellement pris en compte ?

Absolument. La Tunisie a une richesse patrimoniale exceptionnelle en matière de lieux de culte : mosquées, églises, synagogues et lieux sacrés souvent situées sur les mêmes sites comme à Djerba ou à La Goulette.

Le tourisme religieux a un potentiel certain, mais il reste sous-exploité faute d’actions promotionnelles ciblées à l’international. Il faudrait davantage organiser des événements et des campagnes pour valoriser cette diversité.

Ce qui ne sera pas facile avec un budget promotionnel qui rétrécit comme peau de chagrin alors que les concurrents directs de la Tunisie disposent de moyens énormes ?

C’est malheureusement vrai. Je ne pourrais pas en parler avec précision, la question pourrait trouver réponses auprès de Mme Raja Ammar, directrice du Marketing. Je vous donne juste une indication. En 2014, le budget consacré à la promotion était de 70 MD. Il a fondu comme neige au soleil car aujourd’hui, il ne dépasse pas les 35 MD.

C’est une enveloppe beaucoup plus réduite, à peine suffisante pour les opérations de base : publicité, relations publiques, participation à quelques salons, accueil de journalistes, etc. En parallèle, plusieurs représentations touristiques à l’étranger ont fermé, jugées peu productives.

« Avec seulement 10 parcours de golf, la Tunisie reste handicapée face à ses concurrents méditerranéens. »

Ce manque de ressources pèse sur notre capacité à promouvoir des produits de niche.  Y a-t-il des mécanismes de soutien ponctuel et qu’en est-il de la participation des professionnels ?

Les professionnels participent modestement dans les salons et à travers une taxe touristique prélevée sur les professionnels du secteur, dont une partie est destinée à financer la promotion touristique appelée “taxe de séjour”, est généralement incluse dans le prix des nuitées d’hôtels et autres hébergements touristiques.

Nous avons mis en place un fonds de promotion compétitive doté d’environ 10 millions de dinars. Il sert à soutenir des opérations ciblées, notamment pour booster certains produits ou segments fragiles. Mais cela reste très insuffisant face aux besoins et puis les professionnels passent aussi par des moments difficiles depuis 2011.

Cela dit à fin juin, nous sommes à plus de 4 millions de touristes et nous espérons terminer l’année à plus de 11 millions. Nous nous attendons à plus de 8 milliards de dinars de recettes touristiques d’ici décembre 2025.

La qualité des services touristiques est souvent pointue du doigt. Qu’en est-il ?

Je voudrais en prime préciser le rôle de notre direction qui consiste contrôler la qualité et la conformité des offres touristiques et veille à ce que les établissements touristiques respectent les normes et réglementations en vigueur et là je parle des hôtels, maisons d’hôtes, restaurants, agences de voyages, y compris celles spécialisées dans la Omra et guides touristiques.

Notre but est de garantir une expérience positive aux visiteurs. S’agissant du personnel, il faut savoir que beaucoup de professionnels recrutent désormais du personnel peu formé, faute de trouver mieux d’autant plus que fréquemment le travail dans le secteur touristique est saisonnier.

Il y a aussi un manque remarquable dans les compétences des personnels touristiques toutes catégories confondues.  Les agences de formation professionnelle aux métiers du tourisme ne peuvent former que 1.700 étudiants par an tous embauchés, alors que les besoins sont bien supérieurs. Et une fois formés, les jeunes diplômés directeurs et grands chefs partent souvent à l’étranger, principalement dans les pays du Golfe, où les salaires sont plus attractifs.

« Le budget promotionnel est passé de 70 millions de dinars en 2014 à 35 millions aujourd’hui : un défi majeur. »

Comment la direction du produit intervient elle pour améliorer le produit touristique ?

Notre rôle est d’encadrer et de contrôler l’ensemble de la chaîne : hôtellerie, restauration, agences de voyages, excursions… Depuis le début de l’année jusqu’au 30 juin, nous avons effectué 4 027 visites de contrôle de toutes les structures opérant dans le tourisme au nombre de 3100. Elles sont réparties comme suit : 800 dans le secteur hôtelier, 400 en restauration touristique, 1 800 agences de voyages, 120 dans le tourisme alternatif.

Quelles suites vous donnez à ces inspections ?

Ces contrôles aboutissent à des rapports détaillés, avec sanctions le cas échéant. Nous avons rédigé 27 rapports pour améliorer le service, nous avons envoyé des rappels à l’ordre s’agissant toujours du service et 9 avertissements. Les opérations de contrôle ont principalement concerné les zones de Hammamet, Monastir et Mahdia où nous avons ratissé large. Les contrôles portent essentiellement sur la sécurité (vidéosurveillance, gardiennage…), la sécurité alimentaire, la salubrité des lieux, mais aussi l’ameublement, la décoration ou encore la conformité environnementale.

Le manque d’investissements de la part des exploitants pour rénover ou s’adapter aux nouvelles normes – comme les économies d’eau ou d’énergie – est un vrai problème.  Qu’en est-il de l’hébergement alternatif ?

Nous sommes en phase finale d’adoption du nouveau cadre réglementaire. L’idée est de valoriser les formes d’hébergement hors hôtel : gîtes, chambres d’hôtes, écolodges… Ce secteur peut offrir une expérience authentique et enrichissante pour les visiteurs, tout en dynamisant les zones rurales. Mais là aussi, il faut un encadrement strict pour garantir la qualité.

« La survie de notre modèle touristique dépend de notre capacité à écouter, à nous adapter et à innover. »

Comment les touristes locaux ou internationaux peuvent attirer votre attention sur des manquements observés dans une structure hôtelière, de restauration ou dans une agence de voyage ?

Nous avons actualisé le numéro vert (80 100 333), disponible 24h/24 et 7j/7, pour recevoir les plaintes des touristes tunisiens ou étrangers. Chaque réclamation est transmise en temps réel à la direction centrale et aux commissariats régionaux, qui interviennent rapidement sur le terrain.

Cette cellule de veille est essentielle pour maintenir un minimum de qualité et résoudre les problèmes au plus vite. Notre priorité est répondre aux attentes d’une clientèle exigeante en quête de qualité, d’authenticité et d’expériences. Nous sommes conscients que la survie même de notre modèle touristique dépend de notre capacité à écouter, à nous adapter et à innover.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali

EN BREF

  • La diversification du tourisme tunisien reste limitée malgré le potentiel culturel, saharien et sportif.
  • L’ONTT mise sur la stratégie 2035 avec quatre axes : tourisme sportif, religieux, de découverte et hébergement alternatif.
  • Les obstacles majeurs : budget promotionnel réduit de moitié depuis 2014, manque d’infrastructures et concurrence régionale.
  • Plus de 4 000 contrôles ont été effectués pour améliorer la qualité des services en 2025.
  • Objectif : dépasser 11 millions de touristes et atteindre 8 milliards de dinars de recettes d’ici fin 2025.