Les femmes sont de plus en plus reconnues pour leur leadership dans des filières longtemps réservées aux hommes. Raoudha Massoudi, ingénieure en énergétique et présidente de l’Association tunisienne de réfrigération et de climatisation (ATRC) est l’exemple incarné d’une immersion réussie dans un métier dit “masculin”, celui du froid.
Diplômée de l’Ecole nationale d’ingénieurs de Monastir en 2005, Massoudi a continué son chemin d’apprentissage dans le même secteur qu’elle adore: l’ingénierie énergétique. Elle a fini par obtenir son master dans cette spécialité de la même école.
Convaincue que l’action climatique inclut la question du froid, elle a orienté son action au sein de l’Association tunisienne de réfrigération et de climatisation vers l’Afrique, continent le plus touché par la crise climatique et aussi le plus intéressé par les questions de gaspillage alimentaire et partant la sécurité alimentaire.
Elle axe, aujourd’hui, son œuvre sur la gente féminine et espère à un meilleur engagement des femmes dans les métiers du froid. “D’abord parce que c’est un beau métier et ensuite parce que les femmes peuvent réussir, grâce à leur volonté d’acier, dans tous les domaines”, a-t-elle lancé, dans un entretien accordé à l’agence TAP.
Et d’enchainer “Les femmes sont minutieuses et quand elles se donnent à une tâche, elles l’accomplissent parfaitement, c’est pour cela, je crois qu’elles réussiront dans les métiers de fabrication, de maintenance, de réparation ou d’installation des appareils de climatisation et autres”.
Formatrice au sein du Centre sectoriel de formation en maintenance hôtelière de Tabarka, et désormais experte internationale en froid, la quadragénaire tunisienne est chargée de la mobilisation des femmes en Afrique dans le secteur du froid au sein de la confédération panafricaine, U-3ARC (Union des Associations Africaines des Acteurs de la Réfrigération et de la Climatisation). Elle a assuré plusieurs formations dans plusieurs pays en Afrique, dont le Burkina Faso, dans les métiers du froid qui englobent la manipulation des systèmes de réfrigération et de climatisation.
Dans le cadre de son engagement au sein de cette union panafricaine, qui gagne de plus en plus de terrain dans le monde, Raoudha a été parmi les initiateurs du prix “Charity Kpabek Award”.
Lancé en 2022, en hommage à Charity Kpabek, une femme professionnelle et formatrice nigériane émérite qui a beaucoup travaillé dans le secteur du froid, décédée en 2021, ce prix récompense les femmes africaines dans le secteur de la réfrigération, de la climatisation et du traitement de l’air (RAC). Les lauréates obtiennent un Certificat d’Appréciation et une gratification symbolique de 500$.
Affable, généreuse et toujours de bonne humeur, Massoudi aime partager son expertise, mais, elle travaille dans la discrétion et préfère le concret. Elle reconnait pourtant que pour engager plus de femmes dans les secteurs dits “masculins”, il faut beaucoup plus d’efforts de sensibilisation et de médiatisation et aussi un changement de la mentalité, en amont, soit au niveau de l’orientation des diplômés.
De son côté, elle fait ce qu”elle peut! Grâce à l’action des associations africaines du froid et de la climatisation, y compris l’association tunisienne qu’elle préside, beaucoup plus de femmes partent, pour des formations totalement prises en charge, essentiellement en Italie pour avoir des certifications dans les domaines de réfrigération et climatisation.
Interrogée sur la capacité d’emploi de la filière du froid, Raoudha a répondu qu’aujourd’hui, dans ce contexte de réchauffement climatique, il y’a de la place pour tout le monde et il n’y a aucun problème pour les cadres et les ingénieurs.
Ce qui manque selon elle, “ce sont les métiers de techniciens et d’ouvriers qualifiés”. Le manque d’infrastructures adaptées et la nature des travaux de maintenance et de réparation sur chantiers découragent généralement les femmes à s’orienter vers ces métiers.
Par ailleurs, il y’a peu de femmes et de jeunes filles dans les 49 centres de formation en Tunisie et “notre pays traine par rapport à d’autres pays africains en ce qui concerne l’intégration des femmes dans ces domaines”. Des statistiques de l’ATRC et de l’ONUDI (2020) ont révélé que seulement 20 jeunes filles ont été formées dans le secteur de la réfrigération et du froid entre 2018 et 2020.
D’après l’Institut International du Froid (IIF), organisation indépendante et intergouvernementale, les femmes sont fortement sous-représentées dans ce secteur, comme en atteste le fait que seulement 6 % des membres des associations / organisations / institutions nationales du secteur du froid sont des femmes.
Dans un monde de plus en plus fragile face aux changements climatiques, la filière du froid est indispensable pour gérer les pertes et gaspillages de nourriture en Afrique et dans le monde. Le PNUE et d’autres sources estiment que le gaspillage alimentaire est responsable d’environ 8 à 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela équivaut à plusieurs fois les émissions du secteur de l’aviation.
Le coût des pertes et gaspillages alimentaires pour l’économie mondiale est estimé à environ 1 000 milliards de dollars, selon la même source. La mise en place d’une chaine du froid solide et sécurisé pourrait aider, selon les intervenants, à réduire les pertes et les gaspillages et contribuer à la réalisation de la sécurité alimentaire en Afrique.
Raoudha Massoudi qui est mère de deux filles, âgées de 15 et 13 ans, est pourtant optimiste. Elle est convaincue que la persévérance est la bonne volonté peuvent toujours ouvrir le chemin au succès. Tout récemment, elle a lancé (juin 2025), avec des collègues, une société de fabrication des produits de nettoyage des appareils de climatisation, “très demandés en Tunisie”, selon ses dires.
Elle envisage, sur un autre plan, de poursuivre son action en faveur de la gente féminine en Tunisie et en Afrique, et de travailler avec des agences nationales (ANPE par exemple) et internationale (ONUDI), pour soutenir des jeunes filles et les aider à ouvrir des ateliers de maintenance d’appareils de climatisation et de réfrigération, une action qui pourrait ouvrir la voie à l’intégration des femmes dans le secteur du froid.