Grammenos Mastrojeni
Grammenos Mastrojeni SGA UPM

Nombreuses sont les études scientifiques qui témoignent des risques des changements climatiques sur la grande Bleue. Triste constat : la mer Méditerranée se réchauffe à 20 % plus vite que les autres points du monde. Le bassin méditerranéen est décrit aujourd’hui, selon le cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du changement climatique, comme une région qui « souffrira de multiples tensions et défaillances systémiques en raison du changement climatique ». C’est d’après eux, l’un des 25 « hots spots » à l’échelle de la planète.

Consciente de l’enjeu, l’Union pour la Méditerranée ne cesse d’accroître les actions, pour une prise de conscience collective de la problématique climatique.

Entretien en deux actes avec Monsieur climat de l’UPM, Grammenos Mastrojeni, secrétaire général adjoint.

Pourquoi la question climatique se pose avec autant d’acuité en Méditerranée ?

Les changements climatiques sont dangereux parce que la région est non seulement très exposée mais asymétrique. C’est une région où il y’a les riches et les moins riches ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur les mouvements des populations à la recherche d’une meilleure qualité de vie, dont les impacts peuvent être la déstabilisation de certains pays. Cette menace n’existerait pas, si nous réussissions à construire une économie plus équilibrée. Si, seulement, nous intégrons les marchés de l’énergie, nous pourrions mettre en place un fonctionnement et un mécanisme macroéconomiques qui pourraient assurer l’équilibre entre les différentes économies.

Quel rôle peut jouer l’UPM pour atteindre cet objectif ?

Nous sommes une force de coordination pour tous les efforts qui doivent être déployés par les pays méditerranéens.

Ça serait facile d’après vous ? Sachant que les politiques et les priorités sont différentes entre Nord et Sud, ceci sans oublier les tensions existantes entre des pays comme le Maroc et l’Algérie ainsi que la fragilité décisionnelle de la Tunisie…

Nous considérons l’UPM comme un centre de coordination. Tous les pays membres sont à égalité et nous estimons que notre rôle est d’harmoniser les politiques entre eux. Notre tâche n’est pas des plus aisées pour des raisons historiques mais aussi des raisons économiques.

Prenez l’exemple du marché de l’énergie. Il a toujours été considéré comme une composante souveraine donc l’ouvrir exige le changement des mentalités, le changement du cadre réglementaire et ce n’est pas toujours facile. Mais nous œuvrons à mettre tout le monde autour d’une même table et discuter de différentes problématiques secteur par secteur. Ce qui est bien est que nous avançons. Nous voyons les progrès et les résultats concrets. Les choses sont en train d’aller dans la bonne direction à pas sûrs.

Des exemples ?

Il y a à peine cinq ans, il y avait huit câbles sous-marins entre les Etats riverains à l’étude, aujourd’hui il y en a cent cinquante-six et les Etats commencent à se bousculer à leur propos parce qu’ils veulent se porter candidat pour la distribution et la production.

Quand les intérêts sont réels, ils impactent les politiques et œuvrent à la mise en place des mécanismes nécessaires à l’intérieur de chaque pays pour en profiter et les protéger. Ceci, bien entendu, dans un esprit de dialogue et de concertations entre les différents pays.

Nous observons une dynamique intéressante et positive d’autant plus que les moyens financiers sont mis à disposition et peuvent favoriser le changement. Les blocages sont plutôt d’ordre technique comme le fait d’adopter un cadre législatif plus harmonisé. il faut standardiser par petites touches techniques et partager une culture technique et de management commune autour de la méditerranée. Il faut travailler sur cela.

Et vous faites du lobbying dans les centres décisionnels européens et à travers vos contacts dans les pays du sud, pour défendre ces projets ?

Nous ne faisons pas du lobbying, nous faisons des démonstrations scientifiques. Nous arrivons chiffres et présentations en main et nous les soumettons aux membres de l’UPM. Nous leur transmettons les données sur ce qui va se passer et leur proposons les solutions possibles. Ce sont les Etats membres qui décident, nous, nous sommes un secrétariat, nous exposons les faits. Eux, discutent entre eux.

Notre démarche à nous est d’encourager tout le monde à chercher des solutions favorisant l’intégration et intéressantes pour tout le monde. J’ai cité l’énergie mais, sur la table, il y a aussi la problématique de la sécurité alimentaire.

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus raisonner en termes de Nord/Sud ou Sud/Sud. Il est fort probable que dans très peu d’années le climat du Sud de l’Europe évoluera vers un climat qui ressemble à celui des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Cela veut dire que l’Europe aura besoin de l’Afrique du Nord pour les espèces botaniques rentables qu’il s’agisse de forets ou d’agriculture. Il y a un know how, un savoir-faire dans le Sud que l’Europe ne connaît pas et que les pays riverains du Sud de la Grande Bleue maîtrisent depuis des milliers d’années.

Comment les Etats doivent se préparer pour juguler les effets néfastes des changements climatiques et en quoi consistent ces changements ?

Il faudrait deux jours pour décrire les impacts de ces changements. Mais il y a un rapport élaboré par le collectif des scientifiques de la méditerranée qui s’appelle MEDEC qu’on trouve sur le site web de l’UPM. Il y a toutefois une précision que je tiens à faire : l’activité humaine et l’écosystème ne sont pas deux choses différentes.

Le problème de l’écosystème peut se transformer en un problème de justice. Je pourrais vous donner deux ou trois exemples de ces effets. La Méditerranée est la mer qui se réchauffe le plus vite au monde. Cela veut dire que les espèces commerciales de poisson du Sud migrent vers le Nord. Au Sud, les espèces qui résistent sont envahissantes et ne sont pas intégrés dans l’économie. Du coup, nous nous retrouvons avec un changement climatique qui approfondi les disparités économiques.

Ceux qui ont le plus besoin se retrouvent sans poissons et les activités qui tournent autour de la pêche sont réduites avec des répercussions néfastes sur le tissu socioéconomique. D’autre part, une mer qui se réchauffe plus rapidement que les autres, voit le niveau de l’eau augmenter rapidement. On s’attend à ce que dans un siècle le niveau de la Méditerranée s’élèvera d’un mètre d’ici un siècle. Il y aura une augmentation de 20 cm dans une quinzaine d’année.

Une vingtaine de cm ne fait pas peur dans l’apparence, mais il faut savoir que l’eau qui couvre les terres est une eau salée. Comme je suis de nationalité italienne, je rappelle une pensée de mes ancêtres romains qui disaient : « Si vous voulez soumettre quelqu’un, il faudrait le battre en guerre mais si vous voulez ne plus en entendre parler il faudrait éparlpiler du sel sur ses terres, parce qu’on ne pourrait plus rien y planter et là c’est toute la Méditerranée qui va rentrer dans les zones côtières où se concentrent presque 40% des terres agricoles.

Il y a des endroits très exposés et fragiles. L’exemple du Delta du Nil est édifiant en la matière. 20 cm de hausse de la Méditerranée menaceraient d’immersion les régions basses comme l’ancien Delta du Nil et poserait un sérieux problème de sécurité alimentaire à un pays à forte densité de population. Pareil pour la Vallée du Pô en Italie, une région recelant un potentiel agricole important.

Ceci sans oublier la chaleur et la sécheresse qui causent les feux de forêts. Face à l’écosystème qui dégringole, nous sommes tentés par deux solutions possibles. Celle considérant que partant du fait que le service de l’écosystème n’existe plus, on le substitue par un autre artificiel pour, par exemple, pallier la sécheresse.

On creuse des puits à 500 mètres de profondeur, c’est une approche technologique mais nous défendons, en ce qui nous concerne, une meilleure approche, celle de la restauration de la nature. Ce qui coûte moins cher et a plus de bénéfices. Au lieu de creuser des puits aussi profonds, on protège la forêt qui catalyse l’eau. Et là, il ne s’agit pas que de la Méditerranée, c’est le cas dans d’autres régions du monde.

Il y a aussi la réponse technologique qui consiste à construire d’énormes barrages mais c’est pire car les barrages peuvent émettre de grandes quantités de méthane et de dioxyde de carbone, en revanche si nous plantons des Mangroves, on absorbe le CO2, on restaure les habitats, on préserve les espèces animales et on protège l’écosystème. Cela dure plus longtemps et coûte moins cher.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali