Dans un rapport rendu public, le 14 juin 2023, l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE), groupe de chercheurs, analystes et activistes indépendants s’intéressant aux politiques publiques tunisiennes, a critiqué avec virulence le projet du plan triennal 2023-2027 du gouvernement Najla Bouden. Globalement, l’OTE a déploré la dimension lobbyiste sectorielle du projet de plan et l’absence d’ambitions viables pour les régions et les collectivités locales.

Ainsi, les projets publics auxquels le plan a prévu des investissements de 38,2 milliards de dinars sont répartis sur des secteurs dans lesquels la Tunisie accuse un retard fou. Le projet en évoque vaguement et en vrac : le capital humain (en tant que levier du développement durable et inclusif), l’économie du savoir, la compétitivité et la diversification de l’économie, l’économie verte, l’équité sociale, l’aménagement territoriale intégré, la digitalisation, la modernisation du secteur public….

Le projet du plan pèche par sa méthodologie, en laissant chaque département ministériel fixer ses propres priorités et objectifs

Intitulé « le plan de développement 2023-2027, est-il capable de réaliser le développement souhaité des régions marginalisées ?», le rapport relève que ce plan pèche par sa méthodologie. Celle-ci a consisté à charger chaque département ministériel de fixer ses propres priorités et objectifs.

Pis, ceux qui ont été investis de la mission de synthétiser les propositions finales retenues dans le plan sont les cadres régionaux du ministère de l’économie et de la planification, c’est-à-dire des bureaucrates formatés, tout comme leurs patrons, à l’école de la manipulation des chiffres.

Du coup, peu de représentants des collectivités locales et de la société civile dans les régions ont participé à la confection de ce projet de plan.

Le plan privilégie les secteurs à forte compétitivité à l’export off-shore, au détriment de la production nationale

Le plan a une dimension lobbyiste sectorielle

Plus grave, ce plan sur lequel on comptait beaucoup pour relancer le développement général dans le pays a privilégié, au nom de ce que ses auteurs appellent les secteurs à forte compétitivité à l’export off-shore, s’agissant, notamment, de l’aéronautique, des composants automobiles, de l’agro-industrie, du textile …

Le projet d’améliorer l’environnement des affaires, exigé par le FMI, sera réalisé, essentiellement, en faveur de ces activités off-shore.

Entendre par là que le projet du plan maintient le statuquo c’est-à-dire la poursuite de l’encouragement du secteur privé, des sociétés exportatrices au détriment des projets de production nationale.

Ce projet de plan, qui a toutes les caractéristiques d’un budget triennal, a en revanche ignoré les spécificités développementales et économiques des régions et des localités.  A titre indicatif, il ne porte pas d’intérêt ni au secteur des phosphates dont les prix ne cessent d’augmenter à l’export, ni à la diversification du secteur touristique laquelle peut générer de plus importantes rentrées de devises. Mention spéciale ici pour le tourisme archéologique qui est une spécificité régionale à valoriser.

Le projet du plan renforce l’ancien modèle de développement basé sur le clientélisme et l’économie de rente, avec un État prédateur irresponsable

Les spécificités régionales occultées

Par ailleurs ce projet de plan, présente, d’après le rapport le désavantage d’avoir occulté de s’interroger sur les causes du recul de développement dans la plupart des régions du pays et sur la capacité du plan à réduire le déséquilibre régional, une des raisons pour laquelle les indignés des émeutes, du 17 décembre 2010 -14 janvier 2011 sont descendus dans la rue.

Si nous avons compris le rapport de l’OTE, le projet du nouveau plan triennal vient renforcer l’ancien modèle de développement basé sur le clientélisme, l’économie de rente, l’économie parallèle, le tout avec la complicité d’un Etat prédateur irresponsable en rupture totale avec les besoins réels du pays profond.

Un projet de plan qui pose problème

Ce projet de plan vient du reste consacrer de la plus belle manière les divergences entre le président Kaïes Saïed qui plaide, à gorge déployée, pour la souveraineté nationale et le compter sur soi et son gouvernement qui s’emploie à concevoir des lois et stratégies favorisant le lobbysme et la dépendance de l’économie du pays de l’étranger. C’est simplement dramatique et affligeant.

Tout indique que ce projet de plan n’a aucune chance de réussir. Si le Président de la République n’intervient pas pour le corriger et l’adapter aux besoins réels des régions et des localités, son échec est, hélas, annoncé d’avance comme c’était le cas avec le plan précédent (2016-2020). Ce sera une autre occasion perdue, et ce, dans l’impunité totale.

Last and least, pour ceux qui sont férus des chiffres, rappelons qu’en termes d’objectifs quantitatifs, le projet de plan table sur un taux de croissance de 2,1%, l’accroissement du revenu individuel (de 13,6 mille dinars à 16,1 mille dinars par an en 2025) et de la part des investissements privés à 57,6% du total des investissements.