Le recours aux eaux usées traitées (EUT), dénommées également “eaux grises”, est vivement recommandé par les scientifiques pour s’adapter au réchauffement climatique et son corollaire le stress hydrique, en ce sens que cette eau est durable parce qu’elle est renouvelable.

« Qu’il pleuve ou non, qu’il y ait des inondations ou non, cette eau est toujours disponible. Cette ressource non conventionnelle, actuellement rejetée anarchiquement dans la nature, ne demande qu’à être traitée, épurée et utilisée », relève Raoudha Gafrej, ingénieure, docteur en sciences de la terre, universitaire et consultante.

Les EUT fortement utilisés ailleurs

Dans le monde, les EUT sont intensivement utilisées. Un pays comme Israël utilise ces eaux à hauteur de 86%. Une grande métropole comme la ville américaine de San Francisco assure ses besoins en eau grâce aux EUT. Mieux, les Américains utilisent les EUT pour recharger les nappes souterraines tandis que les bateaux de croisière, équipés d’unités de traitement d’eaux usées, utilisent les EUT pour subvenir à leurs besoins en eau.

Confrontée au stress hydrique depuis des décennies, la Tunisie, pays aride et semi-aride, qui n’exploite les EUT qu’entre 15 et0%, n’a pris conscience des multiples avantages qu’elle aurait pu tirer des EUT que tardivement.

C’est tout récemment, plus exactement en 2022, que le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche a élaboré une stratégie pour le développement des ressources en eau à l’horizon 2050 « Eau 50 » et dans laquelle il a prévu le recours aux ressources non conventionnelles dont les EUT.

Cette stratégie prévoit une enveloppe de 28 milliards de dinars pour la construction de 50 stations d’épuration d’eaux usées dans les zones urbaines et 508 dans les zones rurales. D’ici 2050, la stratégie « Eau 50 » projette de produire 500 à 600 millions de m3 d’EUT, soit l’équivalent de la capacité d’un barrage comme celui de Sidi Salem.

Mieux, confronté, cette année de manière brutale à une sécheresse hivernale inédite, le gouvernement a décidé d’accélérer la réalisation de certains projets urgents. Il s’agit, notamment, du projet qui sera lancé avec un cofinancement de la Banque mondiale (200 millions d’euros) dans le cadre d’un partenariat public-privé, impliquant partenaires tunisiens – l’Office national de l’assainissement (ONAS), une banque privée tunisienne (BIAT) et le groupe d’ingénierie Scet – d’un côté, et la multinationale française Suez, entreprise spécialisée dans la gestion de l’eau et des déchets, de l’autre. Cette dernière détient 80% du projet.

Un avant-goût de l’utilisation à grande échelle des EUT en Tunisie

Concrètement, ce projet porte sur la gestion des eaux usées de quatre gouvernorats du sud tunisien, desservant près d’un million d’habitants : Sfax, Gabès, Médenine et Tataouine.

Le projet porte sur la réhabilitation et d’extension des infrastructures et, d’autre part, par l’Etat tunisien, pour ce qui est de l’exploitation et de la maintenance de ces infrastructures. Celles-ci «se composent de 14 stations d’épuration d’eaux usées, 106 stations de pompage et 1 900 km de réseau d’assainissement, dont la capacité de traitement s’élève à 39 millions de mètres cubes par an », précise un communiqué.

Le contrat prévoit également « la réhabilitation des stations d’épuration des eaux usées existantes ainsi que la réalisation de travaux complémentaires qui permettront la réutilisation des eaux usées pour l’agriculture, grâce à l’emploi de procédés tertiaires », de traitement de l’eau, tels que les UV (rayons ultraviolets) et l’élimination du phosphore.

Avant de traiter, il faut assainir

En dépit de ces assurances techniques offertes par la multinationale Suez quant à la bonne qualité des eaux qui seront traitées et épurées, l’experte en eau, Raoudha Gafrej, insiste sur un prérequis à assurer avant le traitement des eaux usées, à savoir celui de l’assainissement de ces eaux. « Car selon la loi, dit-elle, l’eau usée doit être traitée avant d’être jetée dans la nature ».

Pour contourner le coût élevé de l’assainissement, l’experte propose une solution préventive : consommer moins, recycler et réutiliser cette même eau et surtout ne plus la jeter dans la nature d’autant plus que la technologie pour la traiter est disponible.

A bon entendeur.