C’est frustrant de constater qu’une grande partie des Tunisiens continuent à habiter dans des zones totalement enclavées et à se priver de commodités basiques alors que le ministère de l’Equipement peut valoriser des résidus industriels et agricoles pour construire des routes, au moindre coût, en leur faveur.

Effectivement, le pays dispose d’énormes quantités de résidus dont la recherche locale et internationale a prouvé leur utilité et efficacité dans la construction de routes et de pistes agricoles. Il s’agit, notamment, de la margine, du phosphogypse et des déchets de construction et de démolition.

La margine valorisée dans les pays oléicoles

S’agissant de la margine, produit résiduel de la production d’huile d’olive, de récentes expériences et études scientifiques ont apporté des solutions de valorisation de ce résidu dans la construction de routes.

Des études de recherche menées, depuis les années 90 en Tunisie, ont prouvé l’efficacité de ce déchet dans l’aménagement de pistes agricoles et rurales à même de dissuader les incendies de forêts et des champs céréaliers.

Cette technique a été expérimentée avec succès dans un pays comme l’Espagne, premier producteur d’huile d’olive à l’échelle mondiale. Des sociétés commerciales espagnoles se sont spécialisées dans ce domaine.

Par ailleurs, des systèmes de veille scientifique et des travaux de recherche sur cette question sont actuellement conduits au niveau européen en vue d’aboutir à des solutions de valorisation industrielle de ce résidu.

Avec le phosphogypse, on peut construire des routes plus durables

Vient ensuite le phosphogypse, matière polluante générée par la transformation de phosphate et rejetée dans la mer, des décennies durant, par les industries chimiques de Gabès (8 millions de tonnes annuellement).

Selon la chercheuse Hayet Omri, docteure en chimie, cette matière peut être utilisée dans la construction de routes. Elle est parvenue à mettre au point, avec une assistance d’experts belges, une technique pouvant éradiquer la pollution générée par les rejets du phosphogypse. Cette technique consiste en l’utilisation du phosphogypse dans la construction en le mélangeant à des résidus de plantes et de produits chimiques.

La chercheuse a déclaré aux médias avoir présenté son invention au ministère tunisien de l’Environnement qui a promis d’étudier sa proposition !

A l’international, le phosphogypse en tant que matériau de construction a été expérimenté avec succès en Russie.

En voici les quatre principaux avantages :

– la possibilité de construire une route à tout moment de l’année (toute l’année), y compris en hiver,
– la durée de vie du revêtement de phosphogypse est d’au moins 50 ans,
– la route construite avec du phosphogypse peut être mis en service après seulement quatre jours,
– le coût de la construction des routes avec du phosphogypse est estimé à moins de 30% qu’avec les produits conventionnels : ciment, sable, asphalte…

Mettre le holà à la pollution des déchet du BTP

Le troisième résidu qui pourrait être utilisé dans la construction des routes n’est autre que les matériaux recyclés issus de la démolition des bâtiments.

En Tunisie, les déchets de construction et de démolition accumulés dans le pays depuis l’an 2000, ont atteint environ 8 millions de m3, dont 70% se trouvent dans les grandes villes côtières de Tunis, Sousse et Sfax.

Ces déchets, jetés en milieu naturel et dans des décharges anarchiques, constituent un grand potentiel qui pourrait être exploité dans le cadre d’une stratégie d’économie circulaire, une économie qui produit des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets..

Depuis une année, le ministère de l’Equipement et de l’Habitat s’est intéressé à ce créneau. Il a décidé d’expérimenter la valorisation de ce type de déchets dans la construction des routes avec l’assistance du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Concrètement, il va lancer, à partir de l’année 2023, dans la région de Ben Arous, la construction d’une route expérimentale pilote intégrant des matériaux recyclés issus de la démolition du bâtiment et travaux publics (BTP).

Il faut admettre, que l’accumulation anarchique des flux de déchets de construction, de démolition et de construction dans les décharges municipales, dans les dépotoirs sauvages, dans les rues et les espaces publics, a engendré une pollution de l’écosystème et une atteinte considérable à l’esthétique urbaine. Cette anarchie est parfois la cause principale et directe des inondations dans les villes. Morale de l’histoire: le moment est venu pour mettre le holà à cette pollution.

A cette fin, la Tunisie peut tirer un grand profit de l’expertise développée par la France en la matière, particulièrement, de la base de données « Démolition », mise au point par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), une association à but non lucratif.  Cette base de données, dont la Tunisie peut s’inspirer, permet d’identifier les bâtis existants à démolir et à réhabiliter dans le cadre des grandes opérations d’aménagement.

In fine, nous avons voulu, montrer à titre indicatif, à travers les possibilités de valorisation qu’offrent ces trois résidus et leurs bienfaits sur la mobilité des communautés enclavées, que la Tunisie dispose d’un fort potentiel pour industrialiser ses déchets, de manière générale, et migrer, avec succès, vers les économies durables respectueuses de l’environnement et du bien être. Il suffit de le vouloir. Tout est à portée de main.