Tout comme la visite faite à cette même période il y a une année, celle effectuée le 24 janvier 2023 en Tunisie par le directeur général du Trésor français, Emmanuel Moulin, a suscité plein d’interrogations.

Cette dernière visite sous-médiatisée, cette fois-ci, surprend par son timing. Elle intervient au lendemain de la déprogrammation par le conseil d’administration du FMI du dossier présenté par le gouvernement tunisien pour la validation des facilités convenues au plan technique et estimées à 1,9 milliard de dollars.

La seule information diffusée sur cette visite a été un communiqué incolore publié par la présidence du gouvernement sur l’entretien qu’a eu Emmanuel Manuel avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, en présence de la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, et l’ambassadeur de France en Tunisie, André Parant.

Le communiqué nous apprend que « cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la tradition des concertations et d’échange des points de vue entre la Tunisie et la France dans différents domaines, notamment économique et social ».

Toujours selon la même source, « les deux responsables français ont affirmé l’engagement de leur pays à appuyer les efforts de la Tunisie en vue d’aller de l’avant en matière de mise en œuvre de son processus de réformes, pour redresser son économie, relancer sa croissance et promouvoir son progrès social ».

Le scénario du rééchelonnement se profile

Pour les observateurs de la chose économique tunisienne, c’est la casquette que porte Emmanuel Moulin en qualité de président du “Club de Paris“ qui soulève des interrogations. Pis, le directeur général du Trésor français est connu en France pour être un expert de la gestion des crises.

Lors de sa visite, il y a une année, cette casquette avait alimenté les cogitations sur un éventuel recours de la Tunisie au Club de Paris. Cette institution étant un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. C’est le cas justement d’un pays surendetté comme la Tunisie.

D’après les experts, la dette tunisienne devient insoutenable. Une dette est dite insoutenable lorsque le pays concerné ne parvient pas ni à rembourser sa dette ni à investir pour se développer.

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Le gouvernement de Najla Bouden se débrouille, depuis une année, comme il peut, pour rembourser difficilement la dette du pays parce qu’il y va de son crédit à l’international.

Quant à l’investissement public, il n’y pense plus. Pour preuve, la loi de finances 2023 ne prévoit rien de significatif en la matière, et même s’il fait semblant de le faire, cet engagement est difficilement honoré.

Cette insoutenabilité de la dette, associée à un éventuel refus du crédit attendu par le FMI, expliquerait logiquement le rééchelonnement de la dette publique de la Tunisie laquelle représente, actuellement, plus de 100% du PIB.

Cette option pour le rééchelonnement, mécanisme qui consiste à allonger la durée du crédit, parfois en modifiant son taux, serait ainsi une sorte de plan B voire une alternative au cas où le FMI refuserait d’accorder un crédit à la Tunisie. C’est une lourde opération qui peut s’avérer fort coûteuse pour la Tunisie. Et pour cause : les deux tiers de sa dette sont contractés en devises.

Club de Paris, pas question, dit le gouvernement

Officiellement, pour le moment, cette éventualité de rééchelonnement a été démentie par la ministre des Finances. Intervenant au journal de 20 heures de la chaîne publique El-Wataniya 1, elle a écarté cette hypothèse et révélé, sans être trop précise, que la visite d’Emmanuel Moulin s’inscrit dans le cadre «d’un soutien technique à la Tunisie dans le cadre de ses négociations avec le FMI».

Il y a une année, des sources indépendantes avaient essayé de décrypter les raisons qui avaient amené le directeur général du Trésor français à venir en Tunisie. Elles avaient révélé qu’en réponse à une requête du chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, le président Macron, en bons termes avec le locataire du palais de Carthage, aurait missionné Emmanuel Moulin pour apporter une assistance technique à la Tunisie.

Concrètement, il s’agit d’aider les Tunisiens à mettre sur pied une grande réforme réclamée par les bailleurs de fonds (Banque mondiale et FMI).

Cette réforme vise à créer en Tunisie une agence pour la gestion de la dette de l’Etat tunisien et de ses participations dans les entreprises publiques.

Dans l’hypothèse où cette approche serait retenue, Emmanuel Moulin serait venu, début 2023, en Tunisie pour informer la cheffe du gouvernement des propositions faites sur l’avancement de cette réforme.

Empressonsnous de signaler qu’à défaut de communication, ce scénario ne serait qu’une simple hypothèse.