Marouene Ben Slimene, DG de l’ATFP  : « A travers la formation professionnelle, nous voulons redonner de l’espoir à nos jeunes et leur foi en leur pays »

Cent-trente-six (136) centres de formation et un budget de près de 450 millions de dinars. Trop peu de moyens pour une mission importante. Un défi que Marouene Ben Slimene, DG de l’ATFP (Agence tunisienne de formation professionnelle) compte bien relever.

« Notre objectif n’est pas de former les jeunes et les lâcher dans la nature. Nous les formons, accompagnons et les aidons à réussir leur vie professionnelle et personnelle ». 

Pour le DG de l’ATFP, le rôle de l’agence est de doter les apprenants de compétences, de connaissances et de technicités valables pour toutes les filières et tous les métiers sollicités sur le marché du travail.

Former, c’est aussi œuvrer au développement personnel des jeunes et leur épanouissement.

Entretien.

WMC : Quelle approche adoptez-vous à l’Agence tunisienne de formation professionnelle (ATFP) pour répondre aux besoins des entreprises qui évoluent sans cesse ?

Marouene Ben Slimene : Il faut comprendre que le marché de la formation change rapidement, nous assistons à des évolutions sur le fond à travers l’apparition de nouvelles thématiques de formation sollicitées par le marché du travail, et sur la forme s’agissant de l’innovation et des modes d’apprentissage.

Le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle et l’ATFP ont conçu des programmes à la carte pour satisfaire les besoins des entreprises. Nous identifions les profils souhaités et nous mettons en place des cursus d’apprentissage soit en révisant la formation initiale en y créant de nouveaux postes, soit en élaborant des formations accélérées d’un mois et demi à trois mois. Nous adoptons cette approche pour des spécialités fortement demandées par le marché de l’emploi.

On parle beaucoup de diplômes universitaires mais les cursus scolaires sont malheureusement coupés de la réalité économique du pays. Quels sont les plans de récupération de ces diplômés qui ne réussissent pas ?

Nous mettons en place des programmes de réinsertion et de changement de spécialités. Les diplômés recyclés grâce aux formations spécialisées peuvent accéder à des postes qu’ils ne pouvaient avoir par le biais de leurs diplômes universitaires.

Avez-vous établi des profils spécifiques à ces diplômés et pensez-vous réussir là où l’université a échoué ?

Je suis convaincu qu’une approche agile dans la gestion de tout établissement public est déterminante. Nous ne devons pas être déconnectés de la réalité, et devons surtout être attentifs aux spécificités du marché tunisien.

Il faut reconnaître que pendant au moins deux décennies, nous avons introduit dans l’enseignement supérieur des spécialités qui ne sont pas du tout intéressantes pour le marché de l’emploi et pour les besoins de la Tunisie. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est réajuster le process.

Nous ne devons pas être déconnectés de la réalité, et devons surtout être attentifs aux spécificités du marché tunisien.

Nous procédons à la reconversion des diplômés pour qu’ils puissent s’intégrer plus aisément dans le marché de l’emploi.

Y a-t-il une coordination entre le ministère de l’Enseignement supérieur et l’ATFP en la matière ?

Il y a des conventions et des accords de partenariat, mais nous ne pouvons pas parler d’une coopération étroite. Pour y remédier, nous avons engagé des pourparlers avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour une plus grande coordination. Notre but est de permettre la réintégration de nos apprenants les plus brillants à l’université et d’offrir aux universitaires en mal d’emploi des formations qui leur permettent de s’intégrer dans le marché du travail.

Ce que nous voulons, c’est construire des ponts entre l’université et les centres de formation professionnelle. C’est ce qui se passe dans des pays comme l’Allemagne ou la France.

Le monde est à l’industrie 4.0, quelle est la place des hautes technologies dans les centres de formation professionnelle ?

Peut-on aborder l’innovation dans tous ses aspects sans parler des nouvelles technologies ? Nous avons mis le paquet pour développer ces technologies dans nos centres. Mais nous devons prendre en compte la transformation profonde des cursus qui y sont dispensés et le facteur temps.

Les changements se font à un rythme rapide, mettre tout un dispositif, acquérir du matériel qui coûte des milliards pour ne pas optimiser son usage, ce n’est pas la meilleure solution pour des formations performantes. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le concept des formations de courte durée en partenariat soit avec des bailleurs de fonds ou avec des professionnels.

Nous offrons la formation académique dans nos centres et l’exercice pratique se fait sur terrain. Nous bénéficions aujourd’hui tour à tour du soutien des partenaires techniques et financiers et des opérateurs privés qui nous offrent leur assistance pour former nos apprenants dans les hautes technologies.

Donc la formation académique sera étatique, la formation pratique se fera dans le privé ?

Effectivement. Le changement rapide et évolutif du tissu économique nous impose souplesse et agilité pour accompagner les jeunes demandeurs d’emploi et les entreprises sollicitant les nouvelles spécialités.

Il y a des métiers en déperdition, surtout les métiers artisanaux. C’est un patrimoine artisanal très riche que la Tunisie est en train de perdre, qu’il s’agisse de la chechia, de la soierie, de la sellerie, etc. Que faites-vous pour préserver ces métiers générateurs d’emploi surtout adaptés à l’ère du temps ?

Vous savez que nous avons des centres de formation professionnelle dédiés à ces métiers. Ils représentent un acquis culturel important pour la Tunisie que nous voulons et que nous devons conserver et améliorer. Nous avons l’idée de les mettre au goût du jour tout en préservant leurs spécificités, considérant qu’ils représentant une part très importante de notre patrimoine culturel et civilisationnel et un facteur d’attraction pour le site Tunisie.

Et donc comment fonctionnent ces centres ?

Il y a des centres repris de l’ancien Office de l’artisanat gérés aujourd’hui par l’ATFP, des centres pour les femmes rurales -dont les activités sont très proches des métiers artisanaux, et nous y dispensons des formations- et il y a aussi des accords de partenariat avec des associations qui font du volontariat, qui viennent à nous et nous donnent les moyens nécessaires pour assurer des formation dans ces métiers-là.

Généralement, ils se proposent pour former des jeunes dans les métiers artisanaux dans le cadre de programmes de financement étrangers, et nous offrons la logistique et l’assistance technique.

La réussite n’est pas impossible en Tunisie, il faut juste leur montrer le chemin et les aider à réussir.

De combien de centres dispose la Tunisie ?

136 centres de formation, sur tout le territoire national répartis entre centres de formation à spécialités multiples ou centres de formation sectorielle dédiés à des spécialités bien déterminées.

La demande a augmenté sur des spécialités très importantes dans le BTP comme le carrelage, la maçonnerie et tous les métiers du bâtiment. Qu’en est-il de la formation dans ces métiers ?

Le contexte économique national et international fait que la demande dans ces spécialités a augmenté de façon exponentielle, alors que le nombre des formés est resté le même. Nous sommes devant un dilemme : alors que la demande à l’international a augmenté, nous souffrons des départs massifs des experts et des spécialistes dans ces domaines vers l’étranger. Pour y remédier, nous avons entrepris des programmes de formation de courte durée remplaçant ceux de 2 ans, sachant que ce sont des métiers qui exigent de très gros moyens et des investissements lourds.

nous voulons réapprendre à nos jeunes à rêver, leur donner les moyens de réaliser leurs rêves et les accompagner jusqu’à ce qu’ils réussissent à les atteindre.

Est-ce que les corps professionnels s’adressent à vous pour des formations spécifiques ?

Certainement. Lorsque nous parlons de formations de courte durée, de formation-reconversion ou de formation-assistance, nous les programmons toujours en partenariat avec les corps professionnels. Nous ne pouvons décider seuls au risque de voir nos diplômés victimes du chômage.

Nos diplômes sont co-signés avec ces corps là, donc ils doivent être partenaires dans la formation et dans les technicités que les apprenants doivent acquérir. Une partie de la formation se fait en alternance. Les professionnels accueillent les apprentis et généralement les recrutent à la fin du cursus.

Combien d’apprentis dans ces formations ?

En 2021, ils étaient 57 000 apprentis.

Comment se fait leur intégration dans le marché du travail ?

Les informations sur les demandes d’emploi nous parviennent de l’Agence de l’emploi et du travail indépendant. Nous avons des statistiques mensuelles qui nous parviennent sur la situation des demandeurs d’emploi, les spécialités de ces demandeurs, les offres satisfaites et celles non satisfaites.

A partir de là, nous réajustons nos programmes de formation pour satisfaire le marché de l’emploi.

Comment concevez-vous votre mission à l’ATFP ?

Plus que l’aspect technique se rapportant à la mise en place de formations spécifiques visant le marché de l’emploi, l’encouragement de l’initiative privée et/ou la création de projets, nous voulons réapprendre à nos jeunes à rêver, leur donner les moyens de réaliser leurs rêves et les accompagner jusqu’à ce qu’ils réussissent à les atteindre.

La réussite n’est pas impossible en Tunisie, il faut juste leur montrer le chemin et les aider à réussir. « La seule limite à notre épanouissement de demain sera nos doutes d’aujourd’hui », disait Franklin Roosevelt. Travaillons et ne doutons jamais de la Tunisie.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali