Il est bien connu que le tabagisme tue plus de 8 millions de personnes chaque année, soit près de deux fois le nombre de décès liés à la pandémie de Covid-19 à ce jour. Entre 1999 et 2019, le tabagisme a été à l’origine de 20,2% des décès toutes causes confondues chez les hommes et de 5,8 % chez les femmes (The Lancet, Vol 397, 19 juin 2021).

Lors du 4e sommet scientifique sur la réduction des méfaits du tabac : Novel products, Research & Policy, organisé virtuellement les 29 et 30 septembre 2021, auquel ont assisté plus de 300 participants de 42 pays, dont 62 orateurs de 31 pays, les experts ont convenu que la réduction des méfaits du tabac était la ligne de défense.

Le sommet scientifique sur la réduction des méfaits du tabac est organisé par SCOHRE, l’Association internationale pour la lutte contre le tabagisme et la réduction des risques nouvellement créée, qui cherche une nouvelle approche plus large des politiques de lutte contre le tabagisme qui ne négligera pas les fumeurs.

Au cours de cette 4ème session, une approche à 360º a été adoptée et a couvert tous les aspects avec la participation de défenseurs de la réduction des méfaits du tabac issus de divers domaines de recherche pour débattre de questions allant de la science fondamentale à l’éthique, aux droits de l’homme, aux politiques de santé et à l’économie.

Réduction des risques

Les progrès mondiaux en matière de lutte antitabac ont été catalysés par l’adoption de la CCLAT de l’OMS en 2005. Malgré ces progrès, il y a actuellement 1,14 milliard de fumeurs actifs.

Comme l’a souligné le professeur Giuseppe Biondi-Zocai, «… l’épidémie de tabagisme est là pour rester, à moins que nous ne fassions quelque chose pour la prévenir et réduire son fardeau ». Ces dernières années, de nombreux fumeurs ont remplacé le tabagisme conventionnel par des produits à risque modifié, de nouveaux produits libérant de la nicotine qui présentent moins de risques que les cigarettes. Il s’agit de la “réduction des risques”.

Le professeur Ignatios Ikonomidis dira pour sa part que la stratégie de réduction des risques est une arme puissante que nous devons apprendre à utiliser efficacement.

Risques et avantages des e-cigarettes

Le professeur Kenneth Ε. Warner a évoqué la nécessité d’équilibrer les considérations sur les risques et les avantages des e-cigarettes, et a présenté les conclusions d’un article récent publié dans l’American Journal of Public Health en août 2021 qui décrit la situation aux États-Unis, où les agences de santé gouvernementales et les organisations médicales et sanitaires non gouvernementales se concentrent fortement sur les risques pour les enfants plutôt que sur les avantages potentiels pour les fumeurs adultes.

“Nous pouvons augmenter le nombre d’abandons du tabac grâce au vaping”, a conclu le professeur Warner. La capacité du vaping à promouvoir le sevrage tabagique est importante et mérite plus d’attention, car aider les fumeurs adultes à arrêter est une question de justice sociale.

Caitlin Notley, professeur en sciences des addictions au Royaume-Uni, a analysé l’expérience britannique en terme de lutte contre le tabagisme et les conséquences des influences sociales et culturelles sur les résultats à long terme en matière de comportement et de santé.

Selon elle, la stratégie de réduction des méfaits du tabac s’ajoute aux mesures de lutte contre le tabagisme et les complète. Le concept de “dépendance à la nicotine” a été médicalisé et finalement accepté, et fait désormais partie des stratégies de traitement au Royaume-Uni, a ajouté le professeur Notley.

Des sociétés sans tabac, c’est possible

Le Royal College of Physicians a également abandonné l’abstinence au profit de la réduction des risques. Les parties prenantes au Royaume-Uni s’accordent aujourd’hui à dire que le principal objectif de la lutte antitabac est de réduire les décès et les maladies causés par le tabagisme ; on se préoccupe moins de réduire la dépendance à la nicotine. Toutefois, il faut s’attaquer aux perceptions erronées de la nocivité qu’a le public : environ un tiers des jeunes pensent que les e-cigarettes sont aussi nocives que le tabac à fumer, tandis que les adultes ont également des perceptions inexactes. Les divisions dans le domaine de la THR qui remettent en question les preuves sont inutiles et alimentent l’incertitude du public quant à savoir si les e-cigarettes sont une option plus sûre que le tabac, a-t-elle conclu.

Lors de la session intitulée “Dans quelle mesure les données scientifiques influencent-elles les décisions politiques ?”, présidée par le Dr Dimitri Richter, Eva Kaili, députée européenne, a déclaré que les décideurs politiques se voient offrir des options afin qu’ils puissent décider sur la base de données scientifiques et pas seulement sur la base des nouvelles ou de sources non vérifiées.

L’objectif est d’avoir des sociétés sans tabac, nous avons besoin de données scientifiques et de participer davantage aux discussions avec les scientifiques, d’être ouverts d’esprit, d’écouter et de comprendre que nous ne pouvons pas ignorer le fait que nous avons 25% de consommateurs de tabac dans la population de l’UE. Nous devons donc être capables d’explorer toutes les solutions, a-t-elle conclu. 

Le point de départ de la transformation de l’industrie du tabac

Clive Bates a animé un débat intitulé “Transformation de l’industrie du tabac : stratégie, concurrence et éthique” avec des représentants des unités de recherche et de développement de l’industrie du tabac. Tous les panélistes ont convenu que les besoins des consommateurs sont le moteur et la science la boussole.

Le Dr Gizelle Baker, PMI, a déclaré : “Les méfaits sont causés par le tabagisme et les cigarettes ; les maladies liées au tabagisme sont le point de départ de la transformation de l’industrie du tabac. Les nouveaux produits ont le potentiel d’avoir un impact énorme sur la santé publique, en faisant passer les gens à des alternatives moins nocives et en réduisant la charge des maladies liées au tabagisme”.  

Se servir des dommages pour améliorer l’efficacité de l’arrêt du tabac

Le professeur Andrzej Fal, président de la session “dimensions économiques du contrôle du tabagisme et de la réduction des risques”, a souligné que la réduction des dommages causés par le tabac est l’outil le plus récent pour améliorer l’efficacité de l’arrêt du tabac, limiter les pertes de santé et la charge financière. Le fardeau financier du tabagisme est énorme.

Si nous parvenons à réduire le tabagisme de 1 % en Europe, nous économiserons 40 milliards d’euros qui pourront être investis dans d’autres domaines, a déclaré Tomas Drucker, ancien ministre de la santé et ministre de l’intérieur de la République slovaque. Les chiffres sont révélateurs de l’importance du problème. Nous devons utiliser tous les outils disponibles pour réduire le tabagisme.

Le panel a suggéré une taxation différenciée des produits innovants potentiellement moins nocifs. M. Pesko a conclu que les produits devraient être taxés en fonction de leurs externalités et de leurs internalités, en fonction des coûts et des avantages qu’ils présentent. 

Les limites des programmes d’élimination du tabac en Afrique

Au cours de trois sessions uniques, consacrées respectivement à l’Asie, à l’Afrique et à l’Amérique latine, des experts de différents pays ont partagé les politiques et l’expérience de leur pays en matière de mise en œuvre de la réduction des risques liés au tabac, ainsi que les questions pertinentes d’éthique et de droits des personnes. Le panel d’experts pour l’Afrique était dirigé par Fares Mili & Solomon Rataemane, tous deux membres fondateurs de SCOHRE.

Dr Mili a déclaré que les programmes d’élimination du tabac n’ont pas encore été en mesure de réduire la prévalence du tabagisme dans les pays africains. D’autres voies devraient être envisagée pour parvenir à l’arrêt du tabac en Afrique.

Dr Uta Ouali, psychiatre principal à l’hôpital Razi de La Manouba en Tunisie, a préconisé la nécessité de stratégies unifiées de réduction des risques. Les patients souffrant par exemple de troubles de l’alimentation et de dépendance au tabac devraient bénéficier des produits THR, notamment le Snus, les produits du tabac chauffés et les e-cigarettes. La substitution doit être un processus complet et soutenu.