« Les pays réussissent parce qu’ils reviennent à la raison », c’est le titre d’un article que j’ai publié le 2 mars 2017 en couverture d’une très belle conférence présentée par l’économiste Hédi Larbi dans le cadre des rencontres du Cercle Kheireddine.

La conférence parle de quatre pays en transition politique et économique. Quatre cas modèles avec chacun ses spécificités : la Slovénie (après la chute du régime communiste), l’Uruguay (suite au passage du pays d’un régime militaire à un autre civil), la Suède et Singapour. Ces pays ont pu être sauvés parce que leur priorité a été la réalisation de la paix et de la stabilité sociale et la relance de l’activité économique. Leurs leaders ont été dans l’action et non dans la réaction. Ils ont appelé à une alliance sacrée pour réussir leur passage de crise.

La Tunisie d’aujourd’hui rappelle la Slovénie d’hier, celle où les institutions ont été mises à mal, le peuple démoralisé et l’économie effondrée. La Slovénie est passée de de 2 200 $ par tête d’habitant par an 32 000 $.

Je citerais un exemple : la Slovénie, premier pays exportateur d’Europe situé bien entendu dans la zone euro. En une année, pouvoirs publics et syndicats ont compris qu’il fallait s’entendre pour sauver le pays.

Dans la Slovénie postcommuniste, le président n’a pas pris un ton acide pour s’adresser aux investisseurs potentiels, les accusant presque tous de spolier le peuple pour ensuite se reprendre et dire qu’il s’agit seulement de dossiers relatifs à quelques groupes économiques.

Dans tous les pays du monde, il y a opérateurs privés respectables et des affairistes crapuleux. Sévir discrètement sans pointer du doigt les nantis, comme si tous ont construit leurs fortunes sur le dos du peuple grâce à des affaires louches, aurait servi à protéger l’image du pays, rassurer les investisseurs nationaux et internationaux et encourager la reprise de la dynamique économique. Le même principe est valable pour les corps des avocats, des magistrats ou des hauts commis de l’Etat. Sévir sans ternir car il s’agit de l’image que nous renvoyons au monde de notre pays.

L’administration paralysée

Une alliance sacrée entre partenaires sociaux et Etat, pourquoi pas ? Alors que le pays est totalement paralysé avec une administration ankylosée tant elle a été maltraitée, une entente entre décideurs publics et partenaires sociaux est plus que jamais impérieuse.

L’administration est aujourd’hui paralysée, les nominations attendraient à ce jour le bon vouloir de Carthage et les premiers décideurs ne décident plus dans leurs ministères.

Près de 40 jours sans gouvernement, c’est plus que peut supporter un pays presque à l’arrêt au bout de 10 ans de gouvernance de partis en usant comme un butin de guerre rackettant les plus riches et affamant les plus pauvres.

Aujourd’hui les temps sont à l’action. La Tunisie doit être dotée au plus tôt d’un gouvernement auquel on peut accorder sa confiance. Le président responsable de la sécurité nationale dans toutes ses dimensions doit avoir l’humilité de laisser la gestion économique aux acteurs publics rôdés à la gestion des affaires de l’Etat et s’investir dans la reprise de la confiance des Tunisiens en eux-mêmes et en leur capacité à dépasser le cap et entre eux.

Les discours prônant la division entre les enfants d’un même peuple risquent de mener le pays vers sa perte. Un président est porteur d’espoir et de projets, il n’est pas un justicier ou un inquisiteur. Même un Omar Ibnou Al Khattab doté des plus nobles intentions ne pourrait pas faire un bon chef d’Etat au 21ème siècle s’il ne s’adaptait pas au contexte présent.

Les temps ont changé, les approches aussi. Et en Tunisie, l’économie souffre et ça se répercute sur tout le reste et en prime sur le peuple que Kaïs Saïed veut sauver. Il est temps de revenir à la raison.

Des chiffres pas trop rassurants

Les chiffres ne mentent pas, en l’occurrence ceux que nous voyons ne rassurent pas. En Tunisie, bien que les recettes fiscales soient assez conséquentes contrairement à ce qu’on pense ayant retrouvé leur niveau d’avant la pandémie, en s’établissant à 12 milliards de dinars à fin mai 2021, on n’arrive pas à boucler le budget 2021 et à finaliser le budget 2022. Le hic se situe au niveau de la masse salariale qui continue à peser de tout son poids sur le budget de l’Etat alors que le PIB est en régression et la croissance économique en panne.

Les rémunérations au titre des salaires continuent, comme mentionné dans le rapport de conjoncture de la BCT, à mettre la pression sur l’espace budgétaire en se maintenant en hausse, pour atteindre 8 496 milliards de dinars, au terme des cinq premiers mois de 2021, contre 7 988 milliards de dinars un an auparavant.

De l’autre côté, les dépenses d’investissement ont accusé une baisse importante de 40% (ou -660 millions de dinars, MDT) pour s’établir à seulement 989 MDT à fin mai 2021, ce qui est de nature à compromettre les chances d’une reprise rapide de la croissance, cette dernière ayant tant besoin de l’investissement public pour fédérer l’investissement privé.

Cela fait 10 ans que l’Etat n’est plus la locomotive des investissements avec un titre II qui se réduit comme peau de chagrin renflouant la case allouée aux salaires dans le budget de l’Etat. Et le plus révoltant est qu’il n’en tient qu’à l’Etat de relancer la locomotive des investissements publics en entamant la réalisation de projets dont les lignes de financements ont été allouées. Il s’agit de 2 milliards de dinars bloqués pour cause de lenteurs administratives et d’aberrations législatives.

Sur un tout autre volet, la Tunisie est face à un encours d’une dette publique qui a poursuivi son ascension, dépassant la barre de 98 milliards de dinars, au terme des cinq premiers mois 2021, en hausse de 9,3 milliards de dinars et de 5,3 milliards par rapport aux niveaux atteints une année auparavant et à fin 2020.

Dans sa note sur la conjoncture économique publiée en août 2021, la Banque centrale attire l’attention sur la détérioration de la situation des finances publiques, la baisse de la production nationale des ressources naturelles et la balance des paiements fragilisée par la baisse des recettes touristiques et l’investissement étranger, les difficultés grandissantes relatives aux levées de fonds à l’international et la pression importante sur le taux de dinars.

Des défis auxquels sera confronté le prochain gouvernement qui doit apporter des solutions rapides à des problèmes persistants.

Espérons qu’il ne sera pas soumis aux pressions populistes et improductives de lutte contre la corruption et qu’il saura trouver des pistes réalistes et réalisables pour éviter à la Tunisie un scénario à la libanaise.

Amel Belhadj Ali