Au départ, un constat : les syndicats de l’UGTT ont cette tendance à se taire quand les directions générales de leurs entreprises publiques s’amusent à annoncer au grand public, parfois avec un certain cynisme, d’énormes déficits structurels mais sans évoquer les responsabilités à l’origine d’une telle situation.

Abou SARRA

Avant le soulèvement du 14 janvier 2011, les syndicats étaient, en dépit d’une marge de liberté très limitée, à l’affût de telles informations pour dénoncer, dans leurs réunions et par le canal des médias nationaux et internationaux, toutes sortes d’abus : mauvaise gouvernance, malversations, clientélisme, népotisme et autres.

Des syndicats alliés des gouvernants corrompus

Après 2010, les syndicats de l’UGTT, qui ont gagné en puissance financière et humaine, ont complètement changé et sont devenus des alliés inconditionnels de leurs gouvernants.

Au nom de l’élan soi-disant révolutionnaire, ils ont commencé par intégrer, de manière antiéconomique, des dizaines de milliers d’intérimaires et renflouer ainsi leurs troupes. Ils ont ensuite tout fait pour obtenir une augmentation du taux de cotisation de leurs adhérents, lesquelles cotisations, rappelons-le, sont prélevées à la source, ce qui leur garantit des ressources financières régulières.

Mieux, ils ont été rassurés – par le biais du mécanisme de la filiation et par le canal de conventions conclues, à cette fin, avec les directions des entreprises publiques – de l’embauche de leurs progénitures…

Morale de l’histoire : ils sont devenus alliés de leurs directions générales pour le meilleur et pour le pire, souvent au détriment de la qualité du service public (transport, eau, électricité, éducation, santé, administration, etc.).

C’est ce qui a amené l’universitaire et l’ancien ministre des Finances, Hassine Dimassi – pour la petite histoire, un ancien syndicaliste -, à qualifier les entreprises publiques de « structures féodales aux mains des syndiqués de l’UGTT dont la préoccupation consiste à réclamer constamment des avantages et des augmentations salariales, à y recruter en priorité leurs enfants et à demander des fonds de l’Etat en cas de déficit ».

Le phénomène a pris de l’ampleur, ces derniers temps, au point de prendre la forme d’une complicité criante.

Des scandales

Les cas où des entreprises publiques, épinglées pour négligences et présomption de corruption et qui sont soutenues par leurs syndicats, sont devenus monnaie courante.

A titre indicatif, la réaction incompréhensible du syndicat des cadres de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) à la récente émission par un juge d’instruction de mandats de dépôt à l’encontre de 14 cadres soupçonnés de corruption financière et administrative dans l’extraction et le transport du phosphate.

Dans un communiqué publié le 13 août 2021 portant l’enseigne de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), ce syndicat a appelé les agents de la CPG à ne pas croire ces informations sur les soupçons de corruption et à condamner la comparution de cadres de la compagnie devant la justice, criant à la “complotite“ et à des manœuvres visant la privatisation de la compagnie.

Autre exemple, il y a quelques mois, dans un communiqué, le syndicat de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) a apporté un soutien ferme à la direction générale de cette entreprise publique et démenti les accusations formulées à son encontre, s’agissant du scandale de la distribution d’une eau insalubre, polluée et impropre à la consommation.

Ce sont pourtant des médias crédibles (la chaîne de télévision publique ElWatnia1…) et la Commission parlementaire de la réforme, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption qui ont alerté l’opinion publique de la pollution des barrages, particulièrement du Barrage Sidi Salem.

Cet ouvrage hydraulique approvisionne en eau potable et en eau d’irrigation la moitié de la population du pays : le Grand Tunis, le Cap Bon et ses orangeraies, la région du Sahel et Sfax.

A l’appui d’images saisissantes et de témoignages accablants de simples citoyens, de techniciens et de maires de villes jouxtant le barrage, journalistes et députés ont montré l’ampleur de la contamination des eaux brutes du barrage par des eaux usées non traitées.

Même le président de la République, Kaïs Saïed, a attesté en public, dernièrement, de l’insalubrité des eaux distribuées par la SONEDE, dont l’eau serait également, pour l’histoire, boycottée par les touristes sur recommandation des tour-operators.     

La centrale syndicale serait dépassée ?

Logiquement, face à une telle situation, aucun Tunisien, digne et doté d’un minimum de conscience et de bons sens – fût-il un simple citoyen, syndicaliste, politicien – ne peut tolérer un scandale pareil, et surtout se ranger du côté des mauvais gestionnaires responsables de ce crime.

Heureusement, du côté de la direction de la centrale syndicale, apparemment dépassée par ces débordements corporatistes inacceptables, on cherche à tempérer, à rassurer et à affirmer, à gorge déployée, que l’UGTT ne sera jamais du côté des corrompus et de ceux qui les soutiennent.

Dont acte.