L’adoption du nouveau Code des eaux, actuellement discuté en plénière à l’ARP, constitue un tournant dangereux pour le pays, selon Raoudha Gafraj, experte en ressources en eau et changements climatiques.

Gafraj souligne dans un post sur facebook que le nouveau code témoigne de l’incapacité du ministère de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche à gérer ce secteur.

Cette experte et universitaire bien connue dans le domaine, pointe du doigt des contradictions dans le nouveau projet de code, notamment entre l’affirmation de la main mise de l’Etat sur les ressources en eau et la régularisation de la vente de l’eau par des privés, laquelle constitue selon ses propos, une forme de privatisation.

L’assainissement des eaux, objet de concession depuis 2008, constitue selon ses propos, un second exemple de privatisation, étant donné que les eaux assainies peuvent être réexploitées.

S’agissant de la garantie de l’égalité de l’accès à l’eau et à l’assainissement, que le projet du nouveau code tend à réaliser, Gafraj estime qu’elle serait impossible étant donnée que les coûts du raccordement des agglomérations rurales de moins de 3 000 habitants au réseau d’assainissement sont trop chers et non rentables, d’autant que les projets de raccordement sont généralement, financés par des bailleurs de fonds internationaux.

Elle estime, en outre, que le nouveau projet n’a pas traité, d’une manière approfondie, le rapport entre les ressources en eau et les changements climatiques, notant que la création d’un conseil supérieur de l’eau, présidé par le chef du gouvernement ne fait qu’alourdir les charges de l’équipe aux commandes de la Kasbah.

Cet avis n’est pas cependant, partagé par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) qui a participé aux négociations sur le projet du nouveau code des eaux.

Le forum avait au début critiqué la version soumise à l’ARP, estimant qu’elle reflète une tendance vers la marchandisation de l’eau et une volonté par ses auteurs à se plier aux exigences des bailleurs de fonds internationaux.

Il estime que le projet approuvé par la Commission de l’agriculture constitue un premier pas sur le chemin de la réalisation de la durabilité des ressources et de la justice hydrique.

Le département de la Justice environnementale du Forum a exprimé, en juin dernier, sa satisfaction quant au contenu du nouveau projet qui correspond à sa vision en matière d’amélioration des services de l’eau et de préservation de cette richesse nationale de laquelle dépendent la souveraineté nationale et la paix sociale.

Il a, également, appelé à soutenir les propositions de la commission relatives à la suppression du système des groupements hydrauliques et l’instauration de l’obligation d’établir l’égalité entre les villes et les zones rurales en matière de services d’assainissement.

Il a formulé l’espoir de voir un changement des politiques hydrauliques et agricoles conformément aux nouvelles propositions, souhaitant que les fonds nécessaires à ce changement soient mobilisés pour que le nouveau code ne reste pas lettres mortes.

L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a entamé, lors d’une plénière tenue, mercredi après-midi, la discussion du Projet de loi organique n° 66/2019 portant sur la promulgation du code des eaux, lors d’une séance marquée par les habituels confrontations entre les députés d’Ennahdha et ceux du PDL (Parti destourien libre).

La refonte du code des eaux est notamment exigée, selon des experts, par les bailleurs de fond internationaux, notamment la Banque mondiale dont le représentant de la banque à Tunis, Tony Verheijen, a publié le témoignage suivant sur le blog de la banque.

” Lors de mon troisième été en Tunisie, des manifestations ont éclaté un peu partout dans le pays, à une fréquence inhabituelle. (…) La plupart de ces mouvements sociaux ont eu pour enjeu de protester contre les pénuries d’eau “.

Il a, notamment, noté dans ce témoignage paru en avril 2019, la dilapidation de cette ressources par les plus riches ” pour le lavage de véhicules et l’arrosage, affirmant que les hôtels également ” ne semblent pas trop se soucier de la façon dont l’eau est utilisée”.

La discussion du nouveau code des eaux à l’ARP , se déroule alors que les problèmes dus au stress hydrique que connait le pays se multiplient avec la montée des températures et la régression des réserves.

A cet égard, le PDG de la SONEDE, Mosbah Hellali, avait déjà alerté dans une interview accordée à l’Agence TAP début juillet, que le taux de remplissage des barrages a atteint 43,9% en 2021, contre 76,1% en 2019, suite à deux années consécutives de sécheresse.
L’année en cours s’annonce encore plus difficile que 2020, pour la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE).

Ainsi, il a avait annoncé que certaines zones comme le Sahel, le Cap-Bon, Sfax, le sud-est et Gafsa connaîtront cet été des coupures, et ce, en raison de la densité de la population et de l’activité industrielle dans ces zones qui souffrent déjà d’un déficit structurel en eau.

La région de Sfax enregistre un déficit estimé à 15%, contre 25% pour les régions du sud-est, de Tataouine et de Gabès, d’après le premier responsable de la SONEDE.