Malgré la richesse et la diversité du patrimoine historique et archéologique tunisien et en dépit des découvertes combien importantes ces dernières années, il est ahurissant de constater que depuis 1997 aucun site ou monument tunisien n’a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce qui rend la Tunisie loin des projecteurs de l’actualité patrimoniale mondiale, et affecte son attractivité culturelle et touristique.

Le chercheur et universitaire Habib Ben Younes tire la sonnette d’alarme et dénonce une négligence qui expose notre héritage à un péril imminent si rien n’est fait pour renverser la vapeur pour mieux restaurer, entretenir, protéger et valoriser ces trésors mal exploités. Pour y parvenir , il pointe du doigt les défaillances structurelles qu’il faut pallier.

En effet, la Tunisie compte 7 sites et monuments classés en tant que patrimoine mondial depuis 1979 jusqu’à 1997: Médina de Tunis / Site de Carthage /Amphithéâtre d’EL Jem (1979), Site de Kerkouane (1986), Médina de Sousse / Médina de Kairouan (1988) et le Site de Dougga (1997). De cette date jusqu’aujourd’hui, aucun autre nouveau site tunisien n’a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Sur ce point, le chercheur et universitaire Habib Ben Younes, directeur de recherche scientifique et archéologique à l’Institut national du patrimoine (actuellement à la retraite) a fait quelques réflexions sur l’état des lieux de ces sites.

En effet, il a tenu à préciser que l’état de ces ensembles, notamment après le 14 Janvier 2011, mais même auparavant mais d’une manière moins virulente, n’est pas à la hauteur du statut exceptionnel et universel dont ils devraient bénéficier, a estimé Habib Ben Ouanes, ancien conservateur général du musée national du Bardo puis directeur de la division du développement muséographique à l’INP. Les raisons, a-t-il avancé, sont structurelles mais aussi et surtout culturelles.

Nul, a-t-il expliqué, n’ignore la modicité du budget du ministère des affaires culturelles chargé de la culture et des Institutions, sous tutelle, l’Institut national du Patrimoine (INP) d’un côté et l’Agence de mise en valeur du Patrimoine et de la promotion culturelle (AMVPPC) dont les revenus ont fondu avec la crise du tourisme et la conséquence des attentats.

Le manque de personnel à tous les niveaux constitue, également, un grand handicap pour l’élaboration de tout programme comprenant les volets de la maintenance, conservation, mise en valeur, et surtout promotion de ces ensembles.

Les raisons culturelles touchent un spectre plus large, en effet, notamment dans les médinas qui sont au nombre de 4, l’adhésion populaire n’est pas acquise à ce concept.

Les mutations sociales, économiques … touchent et modifient le tissu urbain, les fonctions originelles de certains quartiers. Ainsi ces ensembles urbains, s’éloignent petit à petit de leur histoire. La coordination peu efficace entre municipalités, associations de Sauvegarde et autorités archéologiques constituent, parfois, un frein contre les interventions urgentes et contre un plan harmonisé de surveillance et de programmation.

Les recommandations de l’UNESCO sont bien connues par les instances officielles qui n’ont pas les moyens humains et matériels de les accomplir. L’exemple de Carthage est éloquent puisque, pour plusieurs raisons, le site est toujours sous la menace de déclassement de la liste du patrimoine mondial.

Le site de Kerkouane dont la restauration est au point mort, site fragile par excellence puisqu’il se trouve sur une côte très venteuse, voit l’intégrité de ces monuments menacés.

Les agressions dans les médinas sont visibles rien que par le nombre croissant de devantures en aluminium et des enseignes lumineuses à l’intérieur des souks, ce qui défigure totalement plusieurs parties de ce tissu urbain exceptionnel.

Le site de Carthage qui possède plusieurs antiquariums, celui dit paléo-chrétien ouvert après le 14 Janvier et qui a connu un vol retentissant de la statue de Ganymède reste toujours fermé. L’exposition dans celui des villas romaines n’a pas encore vu le jour depuis 10 ans.

Le tophet toujours à l’état ” brut ” reste incompréhensible, les ports puniques délaissés à leur sort. Enfin le musée qui ferme ses portes sans préavis avant même le début de projet de restructuration qui va durer trois à quatre années constitue un exemple éloquent d’un laisser aller unique dans son genre pour un pays qui respecte son patrimoine. Donc pouvons-nous parler de valorisation dans ce cas, s’interroge-t-il?.

Pour être bref à propos du Musée National du Bardo dont la totalité du programme d’exposition du projet financé partiellement par la Banque Mondiale n’a pas encore été achevé, “nous ignorons les termes de l’achèvement du projet de l’étude et surtout de la restauration des sculptures qui ont laissé une grande partie du musée fermée devant le public”.

Deux jeunes diplômés formés par les restauratrices du Musée du Louvre, selon une ancienne Conservatrice Générale du Musée, ont été envoyés afin de poursuivre des cours à l’Ecole de Restauration de Tours, l’une des plus réputée. Après obtention de leur diplôme et retour vers la Tunisie, ils n’ont pas été réintégrés par l’INP et le Ministère. Cela résume tout, conclut-il.