Trois cents millions de dollars sur trois ans avec une marge d’intérêts de 11%. Voilà le message chiffré, mais non codé, du marché financier international. Le marché a réagi vite, très vite même.

Ezzeddine Saidane

Le message est clair. Si la Tunisie décide aujourd’hui d’aller sur le marché financier international pour emprunter de l’argent, elle ne pourrait pas lever plus que trois cents millions de dollars (peanuts) sur une durée inférieure à 5 ans (autour de trois ans) et avec une marge d’intérêts de 11%. La situation politique confuse, la situation économique menaçante, la polémique au sujet de la loi de finances complémentaire 2020 et la gestion calamiteuse des finances publiques sont clairement à l’origine de cette réaction du marché.

Pour fixer les idées, il n’y a pas mieux qu’une comparaison. Avant 2011 lorsque la Tunisie allait sur le marché financier international, elle obtenait des offres égales en moyenne à 4 à 5 fois le montant demandé, à des marges entre 0,5 et 0,7% et pour des durées allant jusqu’à 30 ans.

Vous voyez l’ampleur du gâchis.

Pourquoi cette information est-elle capitale aujourd’hui? Eh bien, l’ARP vient de voter une loi de finances (2021) qui, en réalité, n’en est pas une. En effet, une loi de finances implique au moins un équilibre entre les emplois et les ressources de l’État. La loi de fiance 2021 n’est pas équilibrée. Elle comporte des emplois (dépenses) sans ressources en face. Elle comporte des besoins en emprunts nouveaux dont le montant dépasse l’entendement.

D’ailleurs, avant même son approbation, on nous promet une loi de finances complémentaire pour le mois de mars 2021.

La loi de finances 2021 prévoit des besoins de mobilisation d’emprunts nouveaux de 18,7 milliards de dinars, dont 13,1 milliards de dinars d’emprunts extérieurs (en devises) et 5,6 milliards de dinars du marché intérieur, sans en préciser l’origine: c’est-à-dire auprès des banques tunisiennes avec un refinancement par la Banque centrale (BCT), ou directement auprès de la BCT, ou les deux à la fois.

Il faut rappeler à ce propos que la Tunisie est déjà en situation d’endettement excessif qui risque de l’entraîner dans un tourbillon de rééchelonnement de sa dette extérieure, avec la sérieuse atteinte à sa souveraineté qui en résulterait.

Comme indiqué ci-haut, le message donné par le marché financier international est clair. Comment, dans ces conditions, envisager la levée de plus de 13 milliards de dinars d’emprunts extérieurs ?

Il faut rappeler à ce propos que les relations de la Tunisie avec le FMI sont actuellement en stand-by. Le FMI est clairement non satisfait des performances de la Tunisie, et notamment des promesses de réformes avancées mais non respectées (période 2017-2019, suivez mon regard).

Les institutions financières internationales et le marché financier international déterminent leur position vis-à-vis d’un pays en fonction de la position du FMI vis-à-vis de ce même pays. Ainsi, un pays en difficulté, qui n’a pas de programme avec le FMI, peut difficilement envisager de mobiliser des crédits extérieurs.

Question: si la Tunisie n’arrive pas à mobiliser les crédits extérieurs inscrits dans la loi de finances 2021, par quoi va-t-elle les remplacer ? Quelle est la position de la BCT à ce sujet ? Il faudrait qu’on le sache maintenant et non pas à la fin de l’année, ou au moment où l’État va se trouver sans ressources pour faire face à ses obligations. Se manifester «à la minute 93» n’est pas une attitude responsable. Il est évident que l’on ne peut pas oublier la polémique provoquée par la loi de finances complémentaire 2020 et la position de dernière minute de la BCT à ce sujet.

Quid des 5,6 milliards de dinars d’emprunts ?

Venons-en maintenant aux 5,6 milliards d’emprunts à mobiliser sur le marché intérieur. Est-il raisonnable d’envisager la mobilisation d’un tel montant auprès des banques tunisiennes qui vivent une situation de tension de liquidités depuis des années ? Il suffit pour cela de suivre le montant du refinancement des banques par la BCT (bct.gov.tn).

Les emprunts massifs de l’État auprès des banques ont été jusque-là à l’origine d’un effet d’éviction des entreprises, qui accèdent aujourd’hui difficilement aux financements bancaires. En effet, les banques préfèrent prêter à l’État et se faire refinancer auprès de la BCT. C’est plus rentable, moins risqué et moins coûteux en termes de frais de gestion. Mais entre-temps les banques abandonnent leur rôle essentiel de financement de l’économie pour se transformer en rentiers.

Que dit la BCT devant une telle loi de finances, et donc une telle gestion irresponsable des finances publiques ? Rien.

Le moment n’est-il pas venu d’arrêter cette hémorragie des finances publiques et d’aller à l’origine du problème ? L’État accapare aujourd’hui près de 50% du PIB pour couvrir ses dépenses courantes, et consacre très peu pour les investissements publics (3% du budget de 2021). Le moment n’est-il pas venu pour rationaliser les dépenses publiques, rationaliser les importations et engager le pays sur la voie d’une véritable stratégie de sauvetage de l’économie, des finances publiques, et donc de l’État ?