Le président de la République, Kaïs Saïed, qui ne cache pas son hostilité pour les « capitalistes » et le capital, et par conséquent les investisseurs et leurs financements, vient de se réunir avec le CDG, le ministre de la Justice, ceux de l’Economie et des Finances et des Domaines de l’Etat, et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie.

Objet de la réunion : récupération des biens mal acquis à l’étranger. Donc la Tunisie va investir encore plus, perdre plus d’argent pour payer des avocats qui ne récupéreront peut-être pas grand-chose, parce que les aveugles de la haine, limités à souhait, n’ont pas su gérer ce dossier.

Monsieur le président sait-il que seuls cinq milliards de dollars des 20 à 40 milliards de dollars spoliés chaque année aux pays en développement du fait de la corruption ont été rendus et sur 15 ans ?

Monsieur le président sait-il lui, le grand constitutionnaliste, que le recouvrement des biens mal acquis relève de procédures très complexes ? Selon la Banque mondiale, cet exercice implique « la coordination et la coopération d’agences nationales et d’administrations publiques dans de nombreux pays soumis à des systèmes juridiques et à des procédures différentes et requiert des techniques d’enquête et des compétences spéciales permettant de “suivre l’argent“ au-delà des frontières nationales, ainsi que la capacité à agir rapidement pour éviter l’évaporation des avoirs. Afin de garantir l’efficacité requise, l’autorité compétente (“l’autorité“) doit être en mesure d’initier et de conduire des poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux et étrangers, ou de fournir aux autorités d’un autre pays les preuves ou les informations requises par l’enquête (ou les deux) ».

Ceci pour ce qui est du côté procédural, reste la confiance qu’on met dans le système judiciaire d’un pays comme la Tunisie où la justice n’est pas aussi aveugle qu’on le pense et peut juger et condamner pour délit de faciès. Ce qui explique le refus de rapatrier les Tunisiens qui ont fui le pays après le 14 janvier par peur de voir la justice s’acharner sur eux pour des raisons subjectives sans aucun rapport avec les charges retenues contre eux.

Comment faire confiance à une justice politisée ? Comment accorder sa confiance à un régime qui a fait d’une instance telle que l’«Instance vérité et dignité» une arme fatale pour se venger, régler de comptes et effectuer des transactions douteuses ?

Mais plus que cela, monsieur le président sait-il que d’expérience, après la chute des régimes incriminés, les Etats ont le plus grand mal à récupérer leur dû ?

Sait-il que non seulement certains paradis fiscaux qui abritent des comptes secrets refusent de révéler les comptes de leurs clients mais ils préfèrent bénéficier eux-mêmes des sommes colossales dissimulées dans leurs banques que de les livrer aux Etats demandeurs ?

Qui fera confiance à la Tunisie dans l’état actuel des choses ?

Monsieur le président, toutes les procédures de travail judiciaire et diplomatique pour récupérer ces fonds ne serviront à rien si vous ne vous engagez pas à respecter les droits des fugitifs à des procès équitables, si vous ne leur donnez pas les moyens de se défendre et si vous n’engagez pas avec eux des transactions pour rapatrier tous les biens sinon une partie de ces biens.

La complexité des affaires liées aux biens mal acquis ainsi que le manque d’expérience en la matière avec pour conséquence des lacunes procédurales conjuguée à la fragmentation politique et la diabolisation des hommes d’affaires accusés de corruption systémique ne peuvent aider à la récupération des biens spoliés.

Pire, vous est-il jamais venu à l’idée, monsieur le président, de faire un audit sur la gestion des biens confisqués et les pertes du pays à cause de la mauvaise gouvernance et des trafics dont ils furent l’objet ?

La classe politique qui règne depuis 2011 donne une piètre image de la Tunisie, monsieur le président, et votre posture de rejet par rapport aux créateurs de richesse nationaux n’aidera pas le pays à relancer les investissements.

Quant à la situation financière du pays, il ne tient qu’à vous de la changer en mettant en confiance le secteur privé et les investisseurs nationaux et pas en les considérant tous comme des voleurs et des corrompus. Habib Karaouli, PDG de Cap Bank, avait attiré l’attention sur la dangerosité de pareil discours dans un entretien paru sur Jeune Afrique : « C’est un discours extrêmement dangereux qui ostracise ceux qui peuvent investir, excluant par conséquent toute possibilité de relance économique. À vrai dire, cela est révélateur d’une incapacité à répondre aux réels enjeux socio-économiques. On installe un amalgame pernicieux entre affairisme et entrepreneuriat : toute réussite ou création d’entreprise et de richesse sont suspectes, donc potentiellement condamnables ».

Ce n’est pas en reprenant la bataille lancée il y a 10 ans que la Tunisie reprendra du poil de la bête et assurera sa relance économique.

Après la chute du Mur de Berlin, les Allemands ont décidé de renoncer aux campagnes de dénonciation, de dénigrement et de vengeance à l’égard de leurs compatriotes de l’Est, le but était de tourner la page et de s’investir dans la reconstruction du pays et l’unification des deux Allemagnes.

Les Allemands n’ont pas été dans l’inquisition mans dans l’édification. C’est la différence entre des hommes et des femmes d’Etat qui se projettent dans le futur et les autres, ceux qui s’arquebouttent à des discours populistes à souhait parce que sans projets et sans vision.

Amel Belhadj Ali