Confrontés, en cette période automnale, à un déficit pluviométrique aigu et à la cherté du fourrage par l’effet de la spéculation et de l’importation des intrants, les éleveurs tunisiens sont dans une situation très difficile. Au regard de l’augmentation du coût de production généré par les facteurs précités, plus de 15% officiellement, les éleveurs du pays risquent soit de vendre leur cheptel, soit d’abandonner leur activité.

Cette situation n’est d’ailleurs pas conjoncturelle, elle devient structurelle. Pour ne citer qu’un chiffre officiel édifiant concernant l’élevage bovin, entre 2016 et 2019, le nombre de bovins est passé de 450 000 à 400 000, soit une baisse de 50 000 dont 30 000 pour la seule année 2019.

Veaux

Abou SARRA

Tout le monde se rappelle du trafic de bovins qui a eu entre la Tunisie et l’Algérie au temps du gouvernement Youssef Chahed.

Les astuces des spéculateurs

« A l’origine de cette situation, la spéculation et l’absence de contrôle », martèle le président de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), Abdelmajid Zaar.

D’abord les spéculateurs qui ont pour habitude d’acheter, en grandes quantités, le fourrage (paille, orge….) durant les périodes de production, de les stocker, et de le revendre, ensuite, aux prix forts durant les périodes de sécheresse.

Toujours d’après l’UTAP, les prix peuvent atteindre le triple et le quadruple du prix conventionnel lors des déficits pluviométriques.

L’autre forme de spéculation, évoquée dans les médias par Mnaouar Sghaier, directeur de l’Unité de production animale à l’UTAP, consiste en la conversion des grossistes de fourrages, notamment de l’orge fourrager et du son d’avoine, en détaillants avec comme corollaire la transgression de la règle de la concurrence et la pratique de prix élevés, ce qui nuit considérablement aux détaillants et à l’utilisateur final, l’éleveur.

Les éleveurs du centre et du sud, qui représentent 65% du total des éleveurs, sont les plus lésés en raison de l’aridité de cette zone et de la faiblesse de la moyenne pluviométrique annuelle estimée entre 100 et 300 millimètres ; le nord étant mieux arrosé avec une moyenne de 400 à 500 mm.

Les aliments fabriqués en Tunisie ne sont pas conformes aux normes

La triche au niveau de l’industrialisation des aliments composés pour bétail, camélidés et volailles est citée également comme autre forme de spéculation. L’industrie des aliments composés pour animaux assure 25% des besoins du pays en alimentation animale, les 75% restants étant des fourrages cultivés localement.

La Tunisie importe en devises les intrants (grains, vitamines…) des aliments préparés industriellement à base de céréales fourragères compensées : maïs, soja, sorgho, avoine, orge… Les 150 industriels du pays spécialisés dans ce domine devaient mélanger ses intrants, entre autres, avec de l’orge et de la paille pour produire ces aliments.

Malheureusement, les aliments fabriqués en Tunisie ne répondraient pas aux normes internationales en matière de qualité nutritive, aux dires de certains spécialistes. Ils seraient en deçà en raison de l’absence de contrôle administratif et des surcoûts générés à l’import par la dépréciation du dinar vis-à-vis de l’euro et du dollar. Seules les grosses entreprises, voire les holdings, sont contrôlées parce qu’elles sont bien structurées. En contrepartie, ces mêmes holdings ont, de fait, le monopole d’importer les intrants.

Consciente des dérapages, l’administration a imposé, depuis 2007, aux industriels un cahier des charge strict dont l’obligation de disposer d’un entrepôt d’environ 3 000 mètres carrés pour exercer cette activité.

L’effet ne s‘est fait pas attendre. Le nombre des unités spécialisées dans ce domaine a régressé d’un millier, au départ à 150 actuellement. Cela n’a pas empêché que, sur le terrain, la triche prolifère.

D’après les procès verbaux des rares contrôles effectués par les services des ministères de l’Agriculture et du Commerce, cette triche est généralement perceptible à travers la non-correspondance, voire la non-conformité de la composition de l’aliment affichée sur l’emballage et le contenant.

Des pistes à explorer

Pour remédier à toutes ses problématiques auxquelles sont confrontés les éleveurs, les experts recommandent l’exploitation de nouvelles variétés de fourrages. Au nombre des suggestions, figurent la création d’une usine de bouchons de luzerne (fourrages déshydratés pour l’alimentation des animaux de ferme), l’intensification de la culture des légumineuses fourragères (fève égyptienne…), l’exploitation de la figue de barbarie disponible en grande quantité en Tunisie et la valorisation des restes des cultures industrielles telles que la betterave à sucre.

Ces mêmes experts font une mention spéciale pour le tourteau de colza, produit dérivé de la plante du colza. Introduite en 2015 par le groupe agro-industriel, la Rose Blanche, la culture du colza ne cesse de se développer en Tunisie. Pour preuve, la superficie réservée à cette culture de rotation est passée de 515 hectares en 2015 à 8 500 en 2018 et à 1 2000 hectares en 2019.

A noter que la production collectée par la Rose Blanche devait être triturée, ensuite, par l’entreprise Carthage grains. Cette société fait de la trituration des grains de colza et produit le tourteau de colza, produit dédié à l’alimentation animale en raison de sa forte teneur en protéines et son apport en phosphore.

Au niveau des incitations, syndicats (UTAP, Synagri…) et experts recommandent au gouvernement de compenser la culture des fourrages verts dont particulièrement le colza, de mettre en place des mécanismes devant aider les éleveurs à construire des entrepôts dédiés au stockage des fourrages verts et de les accompagner à travers tous les stades de production (assistance technique, vulgarisation, management commercial…).