” Métamorphoses du ûd. De l’organologie à l’espace compositionnel ” est l’intitulé d’un nouveau livre de Hamdi Makhlouf, luthiste, compositeur, musicologue et maître assistant à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis (ISM). Co-édité par le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes (Ennejma Ezzahra) et les Éditions Sotumedias, cet opus sera présenté lors d’une rencontre dédicace le jeudi 1er octobre (10H00) au palais Ennejma Ezzahra.

Ce livre de 280 pages suggère selon son auteur une lecture différente de l’évolution historique et organologique du ‘ûd (luth arabo-oriental), mais aussi les facettes de sa pratique depuis la deuxième moitié du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Hamdi Makhlouf met en valeur une relation concomitante entre deux variables : le développement de la facture et de la morphologie de l’instrument et l’évolution de l’interprétation et de la composition musicale.

L’organologie du ‘ûd, tant rebattue depuis au minimum un demi-siècle, ne cesse en effet de susciter l’intérêt des chercheurs. La première partie de ce livre renvoie d’ailleurs à plusieurs sources archéologiques et historiques en se concentrant uniquement sur les aspects de la facture instrumentale. L’approche menée a permis de dégager aussi quelques idées-clefs sur les transformations multiples de la forme et des mesures, notamment dans les écrits des théoriciens médiévaux, comme Al-Kindî, Al-Fàràbî, Ibn Sîna et Al-Urmawî, et qui présentent un certain nombre de divergences qui laissent entrevoir des questions compositionnelles et interprétatives. En outre, à travers une observation minutieuse de ces transformations, l’auteur relève six caractéristiques fonctionnelles et fondamentales du Ou?d (manche, inclinaisons de la caisse de résonance au niveau du manche, rondeurs inférieures de cette caisse, chevalet, barres d’harmonie et cordes) qui varient d’un luthier à un autre selon des choix subjectifs (adaptabilité, dimensions, finition et surtout la qualité sonore). Dans cette perspective, le ‘u?d actuel peut être effectivement considéré comme le résultat d’une fusion morphologique entre deux modèles préférés des ‘ûdistes contemporains (modèles turc et irakien) ; une fusion concrétisée dans la finition d’une facture modélisante et traduite par l’élaboration de processus compositionnels et interprétatifs spécifiques.

Les interrogations autour de l’organologie du ‘ûd ont mené l’auteur, dans une deuxième partie, à se focaliser sur la pratique de cet instrument. En effet, Hamdi Makhlouf la conçoit comme un espace compositionnel émergeant d’une interrelation entre trois espaces allant de l’idée compositionnelle jusqu’à la réalisation d’une œuvre musicale : un espace d’écoute qui concerne les références auditives actuelles du ‘ûdiste compositeur ; un espace formel qui englobe l’ensemble du matériau qu’un ‘ûdiste choisit à partir de l’espace d’écoute, et, enfin, un espace sémantique qui réunit les données extérieures (intentionnelles) au matériau d’une œuvre composée. Des œuvres des frères Jamil et Munir Bashir, mais aussi du trio Joubran, de Dhafer Youssef et de Naseer Shamma, ont constitué le cadre analytique de cette partie de l’ouvrage.

En tant que luthiste et compositeur, Hamdi Makhlouf n’a pas hésité à aborder une des questions les plus chères à son cœur : l’écriture des expressions musicales actuelles. Il consacre la troisième et dernière partie de ce livre à une réflexion originale sur la représentation tangible de l’espace compositionnel du ûdiste compositeur et interprète contemporain. Il repense en effet cette question sous l’angle d’une écriture adaptée et qui l’a intitulée modélisation sémiotique. Il explore à cette occasion le deuxième mouvement de la composition phare du luthiste irakien Naseer Shamma, l’Amiriyya, pour réaliser cette modélisation et répondre à deux besoins fondamentaux : premièrement, le choix de signes fonctionnels sur le plan syntaxique et sémantique et la création d’un espace graphique qui représente les phases interprétatives avec leurs différents types en approchant l’espace compositionnel dans ses dimensions formelle et sémantique.

Les efforts fournis par les éditeurs (Sotumedias et Ennejma Ezzahra) ont été d’un grand recours dans la parution de cet ouvrage. Hamdi Makhlouf y met la synthèse de sa réflexion sur le ‘u?d depuis une quinzaine d’années. Son travail selon les mots de son préfaceur, le professeur Jean-Marc Chouvel : ” ouvre des perspectives essentielles pour la musique orientale. (…) La musicologie a toujours beaucoup à gagner d’être saisie par de grands musiciens. Et la musique elle-même doit beaucoup à l’esprit de recherche”.