Un développement inclusif est nécessaire pour sortir les gens et les régions de la vulnérabilité, selon (Tahar El Almi)

L’économiste, universitaire et fondateur de l’Institut africain d’économie financière (IAEF-ONG), Dr Tahar El Almi, dans une interview accordée à l’agence TAP, plaide pour “un développement inclusif” en Tunisie, qui, selon lui, est le seul à même de “redresser la situation socio-économique et faire sortir les gens et les régions de leur vulnérabilité”.

L’universitaire rappelle que “l’appel à la dignité, crié haut et fort par les tunisiens en 2011, est resté sans réponse”, car on ne peut parler de dignité sans emploi. C’est qu’en répondant à cet appel qu’on pourrait espérer un début de reprise économique, explique-t-il.

Tahar el Almi souligne que, même si “les cinq priorités annoncées par le nouveau chef du gouvernement, Hichem Mechichi, vont bien dans ce sens…”, il lui faudra une forte dose de courage “… pour pouvoir imposer le tempo et dissiper les doutes sur sa capacité d’aller jusqu’au bout de sa démarche”.

En rappelant que les dépenses publiques ont connu depuis 2011 des écarts inquiétants, l’universitaire appelle à un arrêt de cette hémorragie: stopper tous les gaspillage des deniers publics (voitures de fonction, bons d’essence…), réorienter les dépenses publiques vers l’investissement dans l’infrastructure, l’éducation, la sécurité, la santé. Mais Tahar El Almi met en garde le gouvernement: “cet effort ne doit pas se traduire par des augmentations d’impôts”.

Un méga-plan de sauvetage…

L’économiste estime nécessaire que le gouvernement lance un plan de sauvetage de 25 milliards de dinars sur 3 ans (2021-2022-2023), en vue de soutenir l’économie et l’emploi. Et c’est au chef du gouvernement, Hichem Mechichi, de “… faire preuve d’une capacité de mobilisation de nouvelles ressources…”, en recourant à un emprunt intérieur et en tentant de récupérer l’argent qui circule dans le secteur informel, dit-il.

Cependant, tout ceci n’est possible qu’en regagnant (pour le CDG) la confiance des Tunisiens, “en faisant preuve d’une grande volonté de changement et en ramenant les niveaux d’imposition à des niveaux acceptables, car la contrebande c’est en quelque sorte une manière de contourner un système d’imposition excessif “.

L’universitaire réitère son idée: le meilleur moyen de lutter contre l’informel, c’est le changement des billets de banque en circulation, tout en imposant l’obligation d’ouverture d’un compte bancaire ou postal pour déposer l’argent.

En effet, “changer les billets de banque obligera le secteur informel à transiger avec l’administration fiscale, afin de régulariser sa situation, en contrepartie d’un impôt libératoire qui permettrait à l’Etat de mobiliser des ressources, de récupérer une bonne partie de la liquidité informelle et aux acteurs de l’informel de réintégrer le secteur organisé”.

Dans ce cadre, El Almi rend révèle le contenu d’une discussion qu’il a eue avec le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie: “J’ai discuté de cette possibilité avec le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi, qui m’a avancé le contre-argument que la Tunisie avait signé la convention internationale pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et qu’elle est, de ce fait, dans l’obligation de déclarer la provenance de tous les fonds qui y rentrent, ce qui rendra, selon lui, impossible une démarche pareille”.

Mais l’argument de l’économiste est le suivant: “… une amnistie fiscale pour les acteurs de l’informel doit d’abord écarter tous ceux qui seraient impliqués dans des affaires criminelles. Une fois ceux-ci écartés, appliquer une telle démarche dépendra de notre capacité de négociation avec nos partenaires internationaux. La Tunisie traverse une situation particulière. Le pays est à la dérive et ne peut plus emprunter à l’international. Il pourrait donc exceptionnellement recourir à ce genre d’amnistie pour une durée bien déterminée qui sera négociée avec les instances internationales”.

Appel à la réforme du secteur public

Selon El Almi, une réforme du secteur public ne pourrait être envisagée qu’en coordination avec l’UGTT et devrait revêtir deux aspects fondamentaux : un aspect quantitatif (relatif au nombre de fonctionnaires) et un aspect lié à la qualité des services publics.

Pour le premier aspect, il conseille à Mechichi de mettre en place un nouveau programme de départs volontaires, mieux négocié, mais aussi un redéploiement des fonctionnaires en trop vers les régions qui accusent une défaillance des services publics.

Concernant le qualitatif, il s’agit d'”améliorer la qualité des services publics passe inévitablement, par la digitalisation de l’administration, mais également, par des programmes de formation répondant aux vrais besoins de l’administration et par l’instauration de l’obligation de redevabilité de l’administration”.

Par ailleurs, “regagner la confiance revient à appliquer la loi à tout le monde. Une fois la confiance rétablie, la corruption et le clientélisme vaincus et le climat assaini, la reprise de l’investissement sera évidente, car les investisseurs ont plus besoin de confiance et de visibilité que d’incitations financières”.

En matière de maintien du pouvoir d’achat des citoyens, Taha El Almi estime nécessaire “… un strict contrôle des prix et des circuits de distribution est nécessaire. L’augmentation de ce pouvoir est surtout tributaire, d’une réduction de l’impôt, de la TVA, des droits de douanes… Mais aussi d’une reconsidération des secteurs qui consomment la grande part du pouvoir d’achat des Tunisiens (logement, santé, transport, éducation). Il faut réussir à mettre en place une politique de l’habitat qui en finit avec les dérapages faramineux que connaissent aujourd’hui les prix de l’immobilier, et rétablir la qualité des services publics, de manière à ce que les citoyens ne se trouvent plus contraints à recourir aux services privés qui sont beaucoup plus chers”.

Il appelle également à la protection des catégories vulnérables, laquelle “… nécessite un ciblage plus efficace de la compensation et des subventions, en réformant la Caisse de compensation et en accordant au pouvoir local le rôle qui doit être le sien dans l’identification des ménages vulnérables”.