Mardi 2 septembre 2020 marque, peut-être, un tournant dans l’ère de la Tunisie post-14 janvier 2011. Car pour la première fois depuis dix ans, nous assistons à la formation d’un gouvernement où les partis sont pratiquement inexistants et où les compétences sont un pur produit de l’Administration tunisienne.

Il faut reconnaître que notre pays a beaucoup souffert des partis qui offrent les postes ministériels aux courtisans, aux opportunistes et aux plus proches, faisant fi de leurs propres compétences et dédaignant peuple et hauts intérêts de l’Etat.

Les gouvernements des partis, les instances souveraines des droits-hommistes qui ont fragilisé l’Etat, les ONG qui se sont substituées à la justice et à l’Etat, les apprentis politiciens anarchistes et destructeurs et des médias répartis entre professionnels patriotes, mercenaires de la plume et des plateaux radiophoniques et télévisés et d’autres acculés à se soumettre aux ordres de ceux qui leur donnent chaque fin de mois un salaire de misère pour pouvoir survivre.

C’est une pieuvre dont les tentacules ont atteint organisations nationales, institutions de l’Etat et qui sont au service des nouvelles mafias qui ont occupé tous les centres de décision depuis la “révolution“. Il en est ainsi en Tunisie depuis 2011 ! Bien sûr, il y a eu la “démocratie et la liberté d’expression“ (sic). Il y a eu aussi la liberté d’action et de réaction !

On peut mettre en faillite le groupe CPG et écarter la Tunisie de la carte des producteurs et des raffineurs du phosphate et trouver une armée de défenseurs sur les réseaux sociaux et dans l’enceinte même du Parlement pour défendre les acteurs de la mise en faillite d’un fleuron industriel.

On peut fermer les vannes de la production pétrolière et gazière dans l’impunité totale sans que l’Etat exerce ses prérogatives et mette fin à des mouvements de contestation absurdes et dans nombre d’entre intéressés et politisés.

Bref, depuis 2011, l’Etat a perdu le monopole de la contrainte légitime gracieusement offert par les militants opposants éternels aux protestataires et même aux criminels qui recourent très souvent à la violence pour défendre leurs transgressions innombrables de toutes les lois en vigueur. Nous avons vécu les assassinats d’officiers de la Garde nationale par des contrebandiers aux frontières, et autres bavures dans un mutisme suspect de la part des médias et des décideurs politiques. Des assassinats qui n’ont pas beaucoup inquiété une classe politique structurellement opposante et “révolutionniste“ qui négocie avec les bandits qu’elle considère comme des militants et condamne toute tentative de l’Etat de protéger les acquis nationaux.

Le gouvernement Mechichi ré-édifiera-t-il l’Etat ?

N’est pas homme d’Etat qui veut et en Tunisie, et ce ne sont pas les années de prison, du militantisme basique ou du loyalisme aveugle qui peuvent en produire ! Nous avons vu des partis projeter des incompétents notoires à la tête de départements ministériels importants sans aucune considération pour les intérêts du peuple et du pays.

En témoigne d’ailleurs le choix de certains ministres par les partis qui ont composé le gouvernement Fakhfakh et nullement qualifiés pour gérer des départements aussi importants que ceux de l’Education nationale, du Commerce ou des Domaines de l’Etat. Suffit-il d’être politique pour décider de l’avenir d’une nation ? Ce qui nous renvoie à la célèbre citation de Lénine : «En Union soviétique, même les cuisinières peuvent gérer un Etat».

En Tunisie, plus que de choisir des incompétents, nous avons vu les partis de la haine diriger l’Etat ! Leur seul projet se réduisait au règlement de comptes ou la clôture de dossiers compromettants pour eux ou pour leurs bailleurs de fonds, courtisans et financiers.

Le gouvernement Mechichi, qui a reçu mardi 1er septembre la bénédiction de l’ARP avec 134 voix, est le premier depuis 2011 à être majoritairement composé de (hautes) compétences administratives, énarques et juristes, pur produit du système. Les ministres économiques sont hautement qualifiés et réputés pour leur maîtrise des dossiers.

Conscient de l’importance de rompre avec le cycle dramatique des gouvernements politiques qui comptent plus d’échecs que de réussites, le think tank cercle Kheireddine avait appelé en août à la formation d’un gouvernement de compétences : “nous proposons la rupture et le redressement“. On pouvait lire dans son appel à la nation : «Nous proposons de désigner un chef de gouvernement en charge de la formation d’un gouvernement (qu’on pourrait appeler “de salut public“, “de compétences nationales“… ), composé de grandes personnalités nationales, dotées d’un très haut niveau de compétence, patriotes, à l’éthique irréprochable, immédiatement opérationnelles, capables de redresser l’économie du pays».

Pour le Cercle, la tâche fondamentale dévolue à ce gouvernement est celle du redressement, du développement et de la refondation de la Tunisie. L’œuvre de redressement et de développement doit être « organisée, structurée, codifiée » et passible d’une évaluation et d’un contrôle partant d’une une feuille de route qui fixe les droits et obligations réciproques.

Samir Majoul, président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), avait également appelé à la formation d’un gouvernement de compétences économiques indépendantes de tous les partis politiques pour sauver le pays dans un contexte des plus difficiles.

Il s’agit de savoir aujourd’hui si Hichem Mechichi peut négocier une trêve sociale avec l’UGTT pour que le gouvernement puisse avancer sans embûches dans la relance de l’économie et le rétablissement de l’ordre et de la loi et s’il peut résister aux pressions des partis habitués à intervenir dans tout ce qui touche à la marche des affaires de l’Etat pour préserver leurs intérêts et ceux de leurs partis.

En un mot, la Tunisie passera-t-elle des partis de la haine au gouvernement de la reconstruction ?

Amel Belhadj Ali