Dr. Said AlDailami, délégué régional de la Fondation allemande Hanns Seidel pour la Tunisie, l’Algérie et la Libye, s’apprête à quitter Tunis au terme d’un mandat de six ans en tant que représentant régional résident. 

Dans cette interview qu’il a accordée à webmanagercenter, le délégué régional allemand revient sur les grandes réformes auxquelles la Fondation a contribué. Des réformes politiques qui s’inscrivent dans le cadre du suivi de la Constitution de 2014 et qui visent, par l’effet conjugué de la formation et d’une approche inclusive décentralisée, à atteindre trois objectifs, selon Dr. Said AlDailami.

Il s’agit de stabiliser la jeune démocratie tunisienne, d’améliorer les modalités de participation aux décisions politiques et d’ancrer dans le pays les valeurs de citoyenneté, de démocratie et de développement.

Au nombre de ces réformes, Dr. Said AlDailami a évoqué celles liées à la décentralisation, à la justice, au Parlement et aux centres de citoyenneté, de démocratie et de développement (CD²).

Optimiste quant à l’irréversibilité du processus de la démocratie en Tunisie, il suggère toutefois aux Tunisiens d’achever le bon travail entamé depuis l’adoption de la Constitution et d´installer, au plus vite, la Cour constitutionnelle. 

Entretien.

WMC : Dans quel but géostratégique l’Allemagne et ses fondations portent-t-elles un intérêt particulier à la Tunisie ?

Dr. Said AlDailami : Pour l’Allemagne, la Tunisie est un pays stratégique et prioritaire dans la région du Maghreb et en Afrique. La relation qu’elle entretient avec la Tunisie, depuis les années 60, est à la fois logique et cohérente.

Elle est logique en ce sens où l’Allemagne et la Tunisie partagent, de nos jours, la même valeur-démocratie en tant que système de vivre ensemble, un système que la politique extérieure allemande s’est engagée à défendre en dehors des frontières européennes.

Elle est cohérente dans la mesure où, dans le cadre de sa politique de voisinage, tout comme celle de l’Union européenne d’ailleurs, toute émergence de jeunes démocraties, particulièrement dans le bassin méditerranéen (Mare Nostrom) pour le cas de la Tunisie, a une importance stratégique. L’Afrique du Nord étant perçue par l’Union européenne comme son environnement et son voisinage immédiat.

La relation avec la Tunisie s’inscrit dans une dimension maghrébine, ce qui profite naturellement au rôle et à la place de la Tunisie dans la région. Il serait opportun pour la Tunisie d’institutionnaliser et de clarifier davantage le cadre juridique des organisations internationale travaillant sur la région à partir de la Tunisie.

C’est dans cet esprit que l’Allemagne, convaincue du processus politique engagé en Tunisie, depuis 2011 et auquel elle croit, a décidé d’accompagner la jeune démocratie tunisienne et d’intensifier son partenariat politique, technique et financier.

A part le soutien officiel de l’Etat fédéral d’Allemagne, les fondations allemandes –il y en a six en Tunisie– contribuent de leur côté et d’une manière indépendante à faire réussir le processus de transition démocratique en Tunisie.

Point d’orgue de cette foi allemande dans la démocratie tunisienne, les entreprises off shore allemandes implantées dans le pays n’ont jamais pensé à quitter la Tunisie en dépit des turbulences qu’elles avaient connues au début de la révolution de 2011.

Pour utiliser une image, nous considérons que la Tunisie est devenue “un port sécurisé, à partir duquel on peut travailler et coopérer sereinement“.

Pour l’Allemagne, la Tunisie, pays arabe doté d’une démocratie parlementaire et d’une Constitution moderne, est vue, à la faveur de sa transition pacifique vers la démocratie, comme l’espoir de la région.

C’est pourquoi, la Fondation Hanns Seidel estime, d’un point de vue géostratégique, indispensable d’aider la Tunisie à relever un certain nombre de défis. Parmi ceux-ci, figurent la stabilisation de sa jeune démocratie et l’amélioration des modalités de participation aux décisions politiques.

Toujours d’un point de vue stratégique, nous nous sommes engagés à aider les Tunisiens à surmonter les conditions de vie difficiles, surtout dans les zones rurales car la disparité de développement entre villes et campagnes est énorme.

L’ultime objectif est d’encourager les jeunes tunisiens à trouver dans leur propre pays les moyens de se former, de décrocher un emploi et de ne plus penser à émigrer et à courir des risques énormes. Le futur s’annonce meilleur.

Par l’effet de la Covid-19, les donneurs d’ordre et producteurs européens ont tendance à relocaliser leur site de production dans le bassin méditerranéen. Cela signifie que la Tunisie, site de production international confirmé, va en tirer profit en matière d’investissements directs étrangers et d’emplois.

Depuis son accès à l’indépendance en 1956, la Tunisie a beaucoup souffert d’une centralisation excessive. Mais depuis le soulèvement du 14 janvier 2011 et l’élaboration d’une nouvelle Constitution, la gestion des régions est hissée au rang de pouvoir autant que les pouvoirs législatif, exécutif et juridique. Votre Fondation a accompagné cette réforme. Voudriez-vous nous parler de votre contribution et des difficultés rencontrées ?

L’Allemagne, Etat fédéral par excellence, a constamment plaidé par conviction pour la décentralisation. Dans ce contexte, elle a toujours apporté son soutien à la Tunisie en la matière.

Ainsi, depuis 1998, la Fondation Hanns Seidel accompagne le Centre de Formation et d’Appui à la Décentralisation en Tunisie (CFAD). Cette structure a pour mission de former et de perfectionner les agents et cadres des collectivités locales et régionales.

La fondation, et à travers elle, l’Allemagne, a été heureuse que la politique de décentralisation soit érigée, avec l’adoption de la Constitution de 2014, en objectif constitutionnel, à travers l’institution du pouvoir local. L’objectif étant de renforcer l’autonomie des collectivités locales et régionales et de transférer vers elles des tâches, compétences et ressources.

Dans ce contexte, la mission du CFAD est au cœur de cet enjeu. Il est appelé à y jouer un rôle central. Car la réussite du nouveau dispositif constitutionnel et politique de la décentralisation dépend, en grande partie, de l’action de formation et de perfectionnement des agents et cadres des collectivités locales.

Au nombre des actions majeures entreprises en matière de décentralisation en Tunisie et auxquelles la Fondation a contribué de manière significative, je voudrais citer, en premier lieu, le code des collectivités locales.

Objet d’une approche participative marquée par l’organisation de plus de 40 ateliers de réflexion et de concertation dans toute la Tunisie, ce code est perçu comme un cas d’école, ce qui a amené la Fondation à le traduire en allemand.

Ce code reconnaît les collectivités locales comme pouvoir réglementaire, leur donne les moyens d’assurer la bonne gouvernance administrative et financière autonome.

Il y a lieu de signaler également le projet Bavière-Tunisie de coopération entre municipalités qui vise à soutenir durablement le renforcement des structures démocratiques locales et du savoir-faire municipal en Tunisie.

Il promeut l’échange direct d’expérience et l’élaboration conjointe de solutions locales dans tous les domaines de la libre administration locale et du développement municipal durable.

En novembre 2019, suite à une première visite d’étude en Bavière des représentants de 8 municipalités tunisiennes dans le cadre de ce projet, les communes bavaroises ont élaboré une proposition de partenariat avec 3 municipalités tunisiennes qui sont El Maamoura, Dar Chaabane et Hammam-Lif. Les prochaines étapes seront définies par le service pour les communes du Monde d’Engagement Global.

Enfin, la Fondation Hanns Seidel a joué un rôle déterminant dans l’accompagnement en amont des élections municipales de 2018. Elle a contribué à la formation accélérée de 620 jeunes femmes dans des régions (18 à 35 ans) souvent caractérisées par une faible participation quantitative et/ou qualitative à la vie citoyenne respective politique. Et ce afin de mettre à profit la parité instituée par le Pouvoir local pour participer à ces élections et se faire élire comme des conseillères municipales.

Résultat : 42,3% des femmes ayant présenté leur candidature aux élections municipales ont été élues pour gérer les différentes affaires des communes. Six (6) parmi elles sont élues maires.

Propos recueillis par Abou SARRA

La fondation Hanns Seidel est une fondation allemande indépendante établie au Maghreb depuis 1988. Elle entretient des relations traditionnelles avec la Bavière et constitue une partie intégrante des instruments de la coopération internationale allemande.

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