Depuis sa nomination en janvier dernier comme coordonnatrice résidente du Système des Nations unies en Tunisie, la canadienne Mme Leila Pieters ne cesse de communiquer sur des réformes que le gouvernement tunisien peut entreprendre pour améliorer la qualité de l’enseignement en Tunisie au double niveau préscolaire et scolaire.

Abou SARRA

S’exprimant dans le cadre d’interviews accordées à plusieurs médias tunisiens, Leila Pieters s’est longuement attardée sur les conclusions d’une étude technique sur les enfants de 0 à 5 ans ; étude menée en partenariat entre le ministère des Affaires sociales, la Banque mondiale et le bureau de l’UNICEF en Tunisie dont elle était la représentante jusqu’en décembre 2019. 

Cette étude projette, entre autres, d’octroyer un montant de 36 dinars par mois et par enfant de 0 à 5 ans, et ce sans distinction de classe sociale. Le plafond étant fixé à quatre enfants.

Le premier objectif recherché est d’atteindre un stade de cohésion sociale acceptable en Tunisie et de traiter tous les enfants du pays sur un pied d’égalité. L’ultime but est de permettre à tous les enfants tunisiens de disposer des mêmes chances pour se développer normalement.

A ce propos, Leila Pieters estime que « si le gouvernement peut donner des suppléments aux enfants les plus pauvres, c’est encore mieux ».

Une préscolarité pour tous les enfants garantit la cohésion sociale

Concrètement, grâce à ce montant mensuel, les enfants de 0 à 5 ans vont avoir tous accès à la vaccination, à une nourriture appropriée et à un encadrement préscolaire, ce qui permettrait aux femmes qualifiées -mais obligées de rester à la maison pour garder les enfants- de s’occuper autrement.

Mieux, avec cet argent, on va stimuler l’économie, créer -par effet d’entraînement- une dynamique d’emploi et de petits jobs. Ainsi, la maman qui reçoit 36 dinars par mois, pour ses 4 enfants, elle va l’investir pour ses enfants. Cela pour dire qu’il y a là un programme qui peut contribuer à réduire la pauvreté sur le long terme.

D’après Mme Pieters qui s’exprimait dans une interview accordée à un magazine de la place, les enfants en Tunisie sont plus pauvres que les adultes. « Aujourd’hui en Tunisie, 1 enfant sur 4 vit dans la précarité », a-t-elle déclaré dans un entretien accordé à un autre quotidien.

Pour garantir au programme précité le succès requis, la représentante de l’ONU suggère de l’accompagner par l’organisation de campagnes régulières aux fins de former, d’informer et d’expliquer aux communautés ciblées son bien-fondé. Il s’agit aussi d’assurer le suivi et le contrôle de ce même programme.

Le cash de l’informel serait à l’origine du décrochage scolaire

Le deuxième thème abordé par la coordonnatrice résidente du Système des Nations unies en Tunisie concerne le décrochage scolaire qui touche principalement les garçons, d’après elle.

Leila Pieters considère que la Tunisie a un problème avec ses garçons. « Il y a trop de garçons, dit-elle. 50% des enfants qui interrompent leur scolarité sont des garçons. Dans certaines régions, il y a certes un problème de filles mais le gros problème réside dans les garçons lesquels, en pleine crise d’adolescence, ont des problèmes de communication, de conflit de génération et d’accrochage à la drogue ».

Pour Mme Pieters, « le phénomène de décrochage touche particulièrement les garçons. Plus de 100 mille abandonnent chaque année leur scolarité pour diverses raisons. Ces garçons, soucieux d’autonomie financière, sont attirés par le cash et le trafic qu’offre facilement le secteur informel (30 à 35% de l’économie du pays) ».

Le système de “lycées pilotes“ est injuste

Concernant la baisse du niveau scolaire, Leila Pieters part du constat que « si on a autant d’enfants qui abandonnent l’école et si les résultats au baccalauréat sont si faibles, c’est qu’il y a un gros problème de qualité ».

Globalement, elle explique le phénomène par l’existence en Tunisie d’un système d’éducation à deux vitesses avec des lycées pilotes et des établissements privés performants d’un côté, et de l’autre des établissements publics à faible et moyen rendement.

Elle trouve surtout incompréhensible qu’on continue à maintenir encore ce système d’éducation publique discriminatoire. D’un côté vous avez des lycées pilotes, mieux équipés disposant des meilleurs professeurs et des meilleurs élèves. Conséquence : le plus net des ressources budgétaires on les donne aux lycées pilotes pour garantir un meilleur niveau aux promus qui sont dédiés aux facultés de médecine et aux écoles d’ingénieurs.

De l’autre côté, note-t-elle, vous avez des lycées moins équipés et auxquels sont affectés des enfants de niveau scolaire moyen ou ayant des difficultés d’apprentissage et vis-à-vis desquels l’Etat fait preuve d’austérité, ce qui contribue, automatiquement, à la baisse du niveau scolaire.

Elle propose l’abandon de ce système à deux vitesses et d’opter, comme partout dans le monde républicain, pour des établissements scolaires où les bons élèves et les moins bons se côtoient, et où les meilleurs animent et tirent vers le haut le niveau général de la classe.

Ces propositions et réflexions menées par les agences spécialisées de l’ONU pour aider la Tunisie à améliorer l’inclusion et la qualité de son système d’éducation sont à saluer, pensons-nous. Elles viennent dépoussiérer la grande réforme de l’enseignement renvoyée à maintes reprises aux calendes grecques.

Elles ont pour mérite de rappeler trois problématiques majeures du secteur : le non accès de la majorité des enfants tunisiens de moins de 5 ans à un système préscolaire efficace, l’abandon scolaire qui touche chaque année plus de cent mille jeunes et de la baisse du niveau scolaire qui ne permet pas au pays de disposer de bons cadres et de bons ouvriers spécialisés adaptés aux besoins des entreprises.

Néanmoins, nous ne pouvons nous interdire d’exprimer notre frustration de voir, toujours, des étrangers, fussent-ils de hauts cadres onusiens, se soucier pour nous alors que le contribuable tunisien paie ses gouvernements, ses députés et ses partis politiques pour qu’ils initient de telles réformes structurelles mais qui ne le font pas. Celle de l’éducation étant particulièrement d’une extrême urgence.

A rappeler que, par l’effet de la prévention qu’elle inculque aux jeunes scolarisés, l’éducation est en mesure de résoudre, en amont, beaucoup de maux de la société face auxquels les politiques se disent, aujourd’hui, impuissants (incivisme, braquage, délinquance, non respect du code de la route…), et de fournir aux entreprises des ouvriers qualifiés et compétents.