Interpellé récemment sur une éventuelle intention du gouvernement d’instituer, dans le cadre de la loi de finances complémentaire pour 2020, une taxe sur la fortune, le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Ghazi Chaouachi, a déclaré qu’il n’existe aucun projet dans ce sens.

Abou Sarra

Avec ce démenti, le ministre, dont le parti Ettayar a fait depuis la formation du gouvernement Fakhfakh une grande campagne pour l’institution en Tunisie d’une taxation du patrimoine dont l’impôt sur la fortune est une composante, a fait une marche en arrière.

La taxation sur le patrimoine, de quoi s’agit-il ?

En théorie, ce type de fiscalité se définit comme étant l’ensemble des impôts prélevés sur la détention de capital (impôt sur la fortune, taxe foncière…) et sur la transmission de capital (changement de propriétaires, droits d’enregistrement et de succession…).

Ces divers impôts sont calculés à partir de l’importance du patrimoine transmis ou détenu (ce qui suppose pour la plupart de ces impôts d’en estimer la valeur), lit-on dans les manuels économiques.

La taxation du patrimoine peut prendre trois formes : la taxation des revenus du patrimoine (intérêts, loyers, royalties…), la taxation du stock de patrimoine et la taxation de la transmission du patrimoine (au décès ou au court de la vie).

Pour revenir à cette marche arrière du parti Ettayar, il semblerait que ses ministres, en particulier Mohamed Abbou -ministre d’État auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption- et Ghazi Chaouachi, ont été confrontés à la dure réalité fiscale dans le pays.

Ainsi, ils ont très vite compris qu’ils ne peuvent pas cautionner l’institution de nouveaux impôts sur les fortunes étant donné que la pression fiscale en Tunisie serait l’une des plus élevées au monde. Elle est estimée en 2020, selon l’expert-comptable Walid Ben Salah, à 34,5%, soit l’équivalent de celle (35%) qui prévaut dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec en moins en Tunisie des prestations publiques acceptables (transport, santé, éducation). 

Des niches fiscales à explorer pour oublier la taxation sur la fortune

Ces mêmes ministres d’Ettayar se sont rendu compte, par contre, qu’ils peuvent explorer d’autres pistes pour renflouer les ressources fiscales de l’Etat. Parmi celles-ci, figurent l’activation des 500 mesures fiscales non-mises en œuvre depuis 2011, la lutte contre l’évasion fiscale estimée à 25 milliards (d’après Fayçal Derbal, ancien ministre conseiller chargé de la fiscalité dans le gouvernement Youssef Chahed), la lutte contre les sphères de l’informalité (commerce parallèle, contrebande, blanchiment d’argent …) où circulent 4 milliards de dinars non imposables, selon Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), la révision à la hausse de la taxation des forfaitaires et des professions libérales dont la contribution ne dépasse pas 2% des recettes de l’impôt sur le revenu…

A reconnaître cependant que le parti Ettayar n’est pas le seul à réclamer une telle taxation du patrimoine. Lors de la période du confinement dû à la Covid-19, plusieurs universitaires, think tank et autres partis de gauche se sont prononcés pour l’institution dans le pays de ce type de fiscalité. Ils y ont perçu une voie à explorer pour relancer la croissance économique.

L’appel le plus récent en ce sens a émané d’Oxfam-Tunisie, membre du mouvement citoyen international Oxfam qui lutte contre les inégalités pour venir à bout de la pauvreté par l’élaboration de solution durables (fiscalité équitable…).

Dans un rapport publié le 17 juin 2020, Oxfam Tunisie estime que « le système fiscal tunisien privilégie les formes d’impôts les plus inéquitables, pénalise les classes moyennes et pauvres du pays et prive l’Etat de revenus importants ».

Pour y remédier, le mouvement citoyen propose entre autres de « revoir à la hausse les taux d’imposition pour certains impôts sur la richesse, le patrimoine foncier, ainsi que les droits de succession ».

En Tunisie, cette taxation est également revendiquée par la gauche tunisienne. Le secrétaire général du parti ouvrier communiste tunisien (POCT), Hamma Hammami, ne rate aucune sortie en public pour réclamer la taxation des grandes fortunes. Son argumentaire est qu’il est inadmissible que le PIB du pays soit réalisé seulement par 5% de la population, représentant les plus fortunés du pays. D’où l’impératif de les taxer fortement, et ce dans un souci, d’après lui, d’équité et de justice sociale.

Les néolibéraux du pays sont également appâtés par la taxation du patrimoine. En théorie, il s’agit, pour eux, de renforcer le mécanisme du marché visant à exproprier ceux qui profitent des situations de rente.

Le but recherché est d’accroître par la fiscalité la sanction par le marché des comportements non rentables, voire des patrimoines non productifs (logements secondaires fermés, œuvres d’art, antiquités, collections de tous genres…). L’idéal d’un impôt sur le patrimoine serait pour eux un impôt qui taxe les patrimoines improductifs.

Dans le monde, peu de pays s’intéressent à la taxation de la fortune  

Dans le monde, peu de pays ont mis en place un impôt sur le patrimoine. La fiscalité du patrimoine reste relativement marginale comparée aux autres formes de taxation.

Le plus souvent, la règle suivie, quand c’est le cas, consiste à imposer le patrimoine aux fins de toucher une minorité de grandes fortunes (comme en France) ou de le généraliser à tous les ménages (comme en Suisse, Suède et Norvège).

Les quelques succès enregistrés en la matière sont signalés en Suisse, en Norvège, en Espagne et en France où ce type d’impôt est prélevé de façon annuelle.

Généralement, sur le terrain, la taxation via un impôt sur le patrimoine ou un impôt sur les successions est aujourd’hui fortement décriée.

Partout ou presque, dans le monde, l’impôt sur le patrimoine est perçu comme un impôt inefficace, à faible rentabilité et surtout désincitatif.