Malheureusement en Tunisie, on a cette fâcheuse habitude de ne se rendre compte que tel Tunisien a été grand et a servi généreusement le pays que lorsqu’il est décédé. C’est le cas,  aujourd’hui, de l’homme de culture, Chedli Klibi, qui a tiré sa révérence le 13 mai 2020, à l’âge de 94 ans.

Le défunt, un des bâtisseurs de la Tunisie indépendante, a particulièrement brillé en tant que ministre de la Culture. En 1961, le président Bourguiba avait décidé de créer un département dédié à la culture et l’a confié à Chedly Kilibi qui avait présenté, à l’époque, le meilleur projet culturel.

Ce projet, inspiré de celui du ministre français de la Culture de l’époque, André Malraux, avait été axé sur la création de comités culturels dans de toutes les régions et de maisons de la culture dans les délégations.

Chedli Klibi fut ministre des Affaires culturelles à trois reprises, de 1961 à 1970, de 1973 à 1971-1973 et de 1976 à 1978, soit 16 ans au total. Au cours de cette longue période, feu Chedli Klibi a eu tout le temps matériel de marquer de son empreinte la culture tunisienne et pour accomplir une véritable révolution culturelle. Cette dernière a été articulée autour de trois axes.

Chedli Klibi, père de la décentralisation culturelle

Le premier axe a porté sur la décentralisation. Au cours de son mandat, Tunis n’était pas la Tunisie dans le domaine culturel. Chaque village -pour ne pas dire chaque douar- était un espace culturel et avait accès à tous les supports culturels (bibilothèques publiques, bibliothèques itinérantes, salles de lectures, projections de films soit dans des salles de cinéma, soit en plein air…). 

Points d’orgue de ce volet de décentralisation, la création, en 1968,  au niveau institutionnel, des comités culturels régionaux, l’édification de maisons de culture dans toutes les villes, la création de musées à travers tout le pays (valorisation du patrimoine), et l’organisation de festivals multidisciplinaires et réguliers (Journées cinématographiques de Carthage, festivals internationaux de Carthage et de Hammamet…)

Le second a trait à la logistique. C’est sous son mandat qu’ont été créées les plus prestigieuses entreprises culturelles. Ma génération se souvient encore de la Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique (SATPEC) pour promouvoir la production cinématographique, la Société tunisienne de diffusion (STD) et la Maison de Tunisie d’édition (MTE) pour la distribution et la production du livre. 

Le troisième axe, le plus important à mon avis, a été l’investissement dans la formation. C’est sous son mandat qu’ont été planifiés et créés plusieurs établissements de formation à vocation culturelle. Il s’agit entre autres de l’Institut supérieur d’arts dramatiques, de l’Institut supérieur de musique et de l’Institut de formation des animateurs culturels.

Autant de structures qui ont contribué à l’amélioration de la visibilité de la culture en Tunisie, et surtout à la modernisation de la société tunisienne.

Chedli Klibi, fin lettré 

Autre qualité du défunt, sa grande culture et son amour pour l’écriture. Fin lettré, il est l’une des rares personnalités politiques tunisiennes à contribuer régulièrement aux médias du pays. Jusqu’à ces derniers jours, il n’a jamais cessé d’écrire. Depuis sa retraite de la politique, il s’est consacré à l’écriture. Il a publié, en 2012, en hommage de son ami Bourguiba « Habib Bourguiba : radioscopie d’un règne » et contribué, régulièrement, aux supports écrits et électroniques du groupe Leaders.  

Et pour ne rien oublier, sa seule erreur, durant toute sa carrière, aura été peut-être de s’être frotté, un jour, aux sinistres dirigeants arabes en acceptant d’être secrétaire général de la Ligue des Etats arabes (1979-1990) dans les circonstances qu’on connaît. Cette décision lui a été fatale. Lui, en tant que chef de projet culturel moderniste, à la Malraux, ne pouvait pas devenir du jour au lendemain un brillant diplomate, et surtout dans le monde arabe. C’était un suicide politique. Heureusement, il avait démissionné de ce poste 10 ans après mais il était trop tard.

Il était né et dédié à la culture. Le pays aurait pu en profiter davantage. L’essentiel est qu’il a été utile à un certain moment de sa carrière. Et tout ce qu’il a fait demeure valable jusqu’à ce jour.

Merci beaucoup Si Chedli. Que Dieu ait ton âme!