Les diplomates-représentants des trois principaux bailleurs de fonds de la Tunisie, en l’occurrence Patrice Bergamini pour l’Union européenne (UE), Jérôme VACHER pour le Fonds monétaire international (FMI) et Tony Verheijen pour la Banque mondiale (BM), ont longuement traité de la transition économique en Tunisie dans le cadre d’interviews accordées à des médias tunisiens et étrangers.

Au regard de leur importance pour l’avenir géostratégique et économique de notre pays, webmanagercenter a jugé utile d’en publier de larges extraits.

Globalement, les analyses des trois diplomates reflètent l’approche que se font leurs employeurs de la Tunisie et ont pour dénominateur commun de relever que les crédits qu’ils ont accordés au pays, depuis 2011, n’ont pas été utilisés à bon escient. Entendre par-là que les prêts contractés n’ont pas été dépensés pour stabiliser l’économie en cette période de transition ; ils ont été orientés davantage vers la consommation que vers l’investissement.

Les obstacles à la transition économiques

Ils ont été également d’accord pour relever que les principales réformes structurantes convenues n’ont pas été réalisées, s’agissant notamment de la réduction de la compensation, de la transformation des entreprises publiques, de la révision de la fiscalité, de la maîtrise des dépenses publiques, de la réduction de la masse salariale et de la lutte contre la corruption…

Chacun des trois diplomates a eu toutefois à nuancer son analyse en mettant l’accent sur un dossier bien particulier plutôt que sur un autre.

Ainsi, Patrice Bergamini a beaucoup insisté sur cette fragilité économique de la Tunisie, laquelle fragilité ne lui permet pas de faire face ni de résister aux turbulences que connaissent ses deux voisins : guerre civile en Libye, manifestations politiques en Algérie (mouvement Hirak).

Il a fait assumer la responsabilité de cette déficience économique aux positions d’ententes et de monopoles qui prévalent en Tunisie et qui entravent, selon lui, la transition économique.

Pour y remédier, il plaide pour la mise en place de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), lequel favoriserait la transparence, la libre concurrence et une meilleure équité des chances pour les Tunisiens.

Mais Bergamini regrette la dénomination de cet accord. Plutôt que de l’appeler “libre-échange“, dit-il, il aurait fallu parler d’“accord d’arrimage économique, d’intégration économique“. Car «son objectif est de soutenir la croissance, le développement de l’emploi, la mise à niveau de l’économie tunisienne».

Jérôme VACHER, représentant du FMI, lui n’a de fixations que pour deux contreperformances.

La première porte sur le poids de la masse salariale (plus de 15% du budget). «L’évolution de la masse salariale représente toujours une préoccupation pour nous», a indiqué le responsable du FMI.

La seconde a trait aux subventions énergétiques. Pour le responsable du FMI, «ces subventions, très inégalitaires, financent de la consommation plutôt que de l’investissement, et de surcroît de produits importés».

Tony Verheijen, représentant-résident de la Banque mondiale en Tunisie, considère que le grand mal dont souffre la Tunisie réside dans son non-ouverture à l’économie mondiale et dans la mauvaise gouvernance du secteur public.

Il a mis en exergue le non-professionnalisme des membres des conseils d’administration des entreprises publiques qui seraient plus des fonctionnaires que des experts, et l’aversion de l’administration aux projets innovants financés par la Banque mondiale.

Les admonestations des bailleurs de fonds

Par-delà ces nuances, les trois diplomates mettent en garde les futurs gouvernants contre la poursuite de telles pratiques.

L’ambassadeur de l’UE avait déclaré, à ce sujet que «les vainqueurs des prochaines élections législatives et présidentielle seront placés face à un choix : soit ils comprennent qu’il faut faire évoluer un modèle économique faisant la part trop belle aux positions monopolistiques, soit ils ne le comprennent pas et dans ce dernier cas, oui, il y aura une inquiétude».

Selon le représentant du FMI, «la capacité et la détermination d’un gouvernement à prendre des engagements sont un aspect important pour nous».

Pour Tony Verheijen, la situation économique (en Tunisie) sera tellement difficile entre 2020 et 2021 que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps. Nous pouvons parler après aussi du côté investissement parce que nous avons mis 1,8 milliard de dollars dans des projets d’investissement. Nous sommes aussi aujourd’hui dans une situation critique où ces projets ne se mettent pas en œuvre car le gouvernement n’en est plus capable, alors que beaucoup d’argent est disponible.

«La Tunisie a tous les atouts nécessaires mais il n’y a ni le financement, ni le savoir-faire, ni les instruments pour monter ces projets. Je crains que si on n’arrive pas à faire face aux difficultés, il y ait un autre courant à la Banque qui voudra peut-être envisager une approche moins conciliante avec la Tunisie», s’inquiète-t-il.

Happy end, des assurances

En dépit de ces mises en garde et admonestations, les trois diplomates ont été unanimes pour rassurer la Tunisie de la poursuite de leur aide.

«Ce qui est toujours important pour nous, c’est que nous puissions soutenir les autorités tunisiennes dans un programme de politique et de réformes économiques qui fassent sens, c’est-à-dire qui permettent d’avoir plus de stabilité macro-économique et financière et, à terme, d’atteindre une croissance plus soutenable et inclusive», a déclaré Jérôme VACHER.

Le relayant, Tony Verheijen a fait remarquer qu’«il n’est pas question de changer la politique de la BM envers la Tunisie».

Quant à Bergamini, il a été encore plus clair : «Face aux turbulences régionales, l’Europe ne veut pas perdre le soldat Tunisie».

Suivra…

NB. Suivent trois synthèses des longues interviews accordées par les trois diplomates à des médias étrangers et tunisiens.

——

Tunisie – UE  : Et si Bergamini avait raison ? (Partie 2)