Après un deuil national de sept jours en hommage au président Béji Caid Essebsi, premier président élu démocratiquement au suffrage universel, décédé le 25 juillet 2019, les Tunisiens ont déjà les yeux tournés vers l’avenir.

Dans les semaines qui viennent, le pays entrera en période d’effervescence électorale. La transition démocratique semble en marche.

En effet, quelques heures après l’annonce du décès du chef de l’Etat, le président du Parlement, Mohamed Ennaceur, a été investi président de la République par intérim, selon les dispositions de l’article 84 de la Constitution.

Un scrutin législatif est prévu le 6 octobre 2019 et la date de la présidentielle a été avancée au 15 septembre 2019 “afin de respecter le calendrier prévu par la Constitution”, le président par intérim ne pouvant rester en poste plus de 90 jours.

Tout s’est passé dans les règles de l’art pour la jeune démocratie tunisienne. Les institutions internationales n’ont cessé de vanter cette exception tunisienne, mais elles sont toujours inquiètes pour l’économie qui continue de traverser une mauvaise passe depuis plus de 8 ans.

Une démocratie… mais sans croissance économique réelle

Le Groupe de la Banque mondiale (BM) a adressé, vendredi 26 juillet 2019, un message de condoléances au peuple tunisien suite au décès, 24 heures avant, du président de la république, Béji Caid Essebsi.

L’institution de Bretton Woods a qualifié Béji Caïd Essebsi de “défenseur de la démocratie et du consensus” et a reconnu son rôle dans la consolidation des liens de la Tunisie avec la communauté internationale.

“Il a acquis une place importante dans l’histoire du pays en tant que défenseur de la démocratie et du consensus, forgé des partenariats internationaux pour la Tunisie et renforcé les liens de son pays avec la communauté internationale”, souligne le président du Groupe de la BM, David Malpass, dans ce message.

En mai 2014, la BM avait critiqué, dans son rapport “La Révolution inachevée”, les politiques économiques passées de la Tunisie. “Les performances économiques décevantes de la Tunisie sont le résultat de multiples barrières au fonctionnement des marchés et de distorsions profondes instillées par des politiques économiques bien intentionnées mais mal orientées”.

Le bailleur de fonds mondial a reconnu, en 2018, que la Tunisie est parvenue à sortir de l’impasse politique de 2014 et à muter vers un système de gouvernance ouvert et démocratique.

Béji Caïd Essebsi, désigné par l’acronyme BCE, rappelle-t-on, était au pouvoir depuis près de cinq ans. Il a été élu président de la Tunisie après une révolution lors de laquelle le chômage, la pauvreté et la subsistance étaient au cœur des revendications.

Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS), basé à Genève, estime que “la question économique est aujourd’hui très compliquée et très difficile. Car, les plus grands investisseurs dans le monde sont des promoteurs privés qui cherchent toujours les gains dans des pays stables. Ce sont des électrons libres et personne ne peut les obliger à investir dans un pays et non pas dans un autre. Seule l’efficacité et la stabilité de l’économie tunisienne pourraient les attirer. Il faut que la Tunisie devienne un pays compétitif”.

En réponse à une question de TAP sur les points faibles de la Tunisie, Sidaoui a tenu cependant à rappeler que la question économique ne figure pas parmi les prérogatives du président de la République comme cela est stipulé dans la nouvelle Constitution tunisienne.

En effet, “le président est chargé principalement des affaires internationales et de la défense. Il est un symbole unificateur, mais il n’a aucune relation directe avec les dossiers de la santé, de l’éducation, de l’emploi, de l’économie, du transport. Ce sont les prérogatives du chef du gouvernement”.

D’après lui, la diplomatie économique peut jouer un rôle dans la mobilisation d’aides internationales au profit de la Tunisie, mais ces aides sont, jusque là, très faibles par rapport aux besoins de l’économie tunisienne.

Le manque de croissance économique peut impacter la démocratie

Depuis la révolution de janvier 2011, la Tunisie n’a cessé de progresser sur le plan politique et démocratique. Mais ces progrès n’ont pas été accompagnés de l’essor économique espéré. Le pays traverse toujours une passe très difficile et la situation inquiète de plus en plus les Tunisiens.

La croissance est ralentie. Les déficits public et courant s’aggravent. Le chômage et les inégalités régionales et sociales se sont creusées davantage et l’investissement peine à se rétablir.
En 2017, près de 15 000 jeunes tunisiens ont quitté le pays vers l’Europe. Le taux de chômage a atteint 15,3%. La Tunisie a du mal à placer ses diplômés.

L’inflation est forte. Le pouvoir d’achat se dégrade. Le FMI a prêté au pays environ 3 milliards de dollars. Les ménages tunisiens sont fortement endettés.

Tous ces éléments ont été reconnus par les dirigeants successifs de la Tunisie. Ceux-ci avaient rappelé aux Tunisiens dans leurs discours, à plusieurs reprises, l’ampleur des défis à relever dans ce domaine, sans, néanmoins les éclairer sur les sorties possibles.

La plupart des décisions d’ordre économique n’étaient pas d’un grand apport, surtout pour les familles démunies et les couches sociales défavorisées.

En 2019, le FMI annonce des performances décevantes de l’industrie, des paiements courants affectés et une faible croissance.

Le PIB en Tunisie sera très probablement autour de 2% au plus, alors qu’atteindre l’objectif d’un déficit budgétaire de 3,9% du PIB est crucial pour limiter l’accumulation de la dette publique, qui a d’ores et déjà atteint 77% du PIB à la fin de 2018, indique le FMI.

“Ces tendances rendent encore plus impérieuse la poursuite, avec détermination, la mise en œuvre des politiques macroéconomiques déjà engagées”, suggère Bjorn Rother, chef de mission du FMI en Tunisie qui a dirigé une mission du Fonds dans le pays du 11 au 17 juillet 2019.

Bien que les Tunisiens continuent d’exprimer leurs “attentes déçues” de la révolution, une grande majorité d’entre eux reconnaît, aujourd’hui, que la jeune démocratie tunisienne a réussi à s’imposer comme modèle dans le monde arabe.

C’est confirmé, la Tunisie a réussi son pari démocratique, mais les candidats aux prochaines élections législatives et présidentielle devraient savoir que c’est seulement en renouant avec la croissance économique que le pays pourrait avancer davantage sur le chemin de la démocratie sans craindre une expérience sociale qui pourrait mal tourner. La transition politique est déjà en marche, place maintenant à celle économique!.