S’il n’a pas aidé à résoudre, ne serait-ce qu’en partie, les nombreux et épineux problèmes du pays, à quoi le consensus a-t-il servi ? Une idée largement répandue dans le pays, que Béji Caïd Essebsi/Nidaa Tounes et Rached Ghannouchi/Ennahdha aient usé de ce «machin» pour servir leurs intérêts respectifs, personnels et partisans. Est-ce bien le cas ? Le doute n’est pas permis à ce sujet.

Ennahdha/Rached Ghannouchi, d’abord. Le parti islamiste poursuivait au moins deux objectifs à travers l’alliance avec Nidaa Tounes.

Le premier consistait à éviter de se trouver en première ligne pour gouverner le pays. Convaincu que le pays lui est majoritairement hostile –les dirigeants du parti islamiste disent eux que ce sont les média, l’élite et certaines organisations qui le sont à son égard- et qu’il n’a pas le savoir-faire requis pour remettre le pied sur pied, Ennahdha a choisi de se mettre en retrait, d’être dans la position de faiseur de roi qui impose sa volonté, mais de manière pas trop visible.

Le second objectif que vise le parti islamiste à travers le «gouvernement de concorde» est d’éviter que certains dossiers compromettants pour lui viennent à être ouverts.

Deux dossiers potentiellement embarrassants pour Ennahdha

Généralement, on tend à considérer que l’affaire de l’assassinat, le 13 février 2013, du secrétaire général et porte-parole du Mouvement des patriotes démocrates, Chokri Belaïd, et celui du député et coordinateur du Mouvement du peuple, Mohamed Brahmi, le 25 juillet de la même année, est la plus embarrassante pour Ennahdha.

En réalité, et sans préjuger de l’issue de celui-ci si jamais la justice s’en saisit effectivement –ce qui est loin d’être garanti-, le parti islamiste serait beaucoup plus embarrassé et inquiété par deux autres dossiers dans lesquels il y aurait plus que de la présomption de culpabilité : l’envoi de Tunisiens en Syrie pour combattre dans les rangs des mouvements djihadistes opposés au régime syrien et la branche secrète d’Ennahdha.

Le pacte avec Ennahdha, une erreur de casting

Béji Caïd Essebsi/Nidaa Tounes, ensuite. Le président de la République ressasse sans cesse que l’alliance avec Ennahdha au lendemain des élections de 2014 a été imposée par les urnes. Cela n’est absolument pas vrai. Le fondateur et président du parti présidentiel avait une solution de remplacement avec trois autres partis politiques. Il s’agit en l’occurrence de l’Union patriotique libre (UPL, 16 députés), Afek Tounes (8 sièges) et l’Initiative nationale destourienne (Al Moubadara, 3 sièges), avec lesquels Nidaa Tounes (86 sièges) aurait pu constituer une majorité certes moins confortable qu’avec Ennahdha (155 contre 113), mais idéologiquement et politiquement plus homogène et suffisante pour gouverner.

Pourquoi alors BCE n’a-t-il pas envisagé ou voulu s’engager sur cette voie ? Parce que la coalition avec ces trois partis ne lui offre pas la marge de manœuvre et les avantages que lui procure l’alliance avec Ennahdha. Et le plus important de ces avantages réside dans les «casseroles» du parti islamiste qui le rendent taillable et corvéable à merci par le président de la République à chaque fois que cette formation ne satisfait pas l’une de ses exigences.

Et on a vu que le «Vieux» ne s’est pas privé de se servir de cette arme lorsque le mouvement islamiste n’a pas accepté de l’aider à «dégager» le chef du gouvernement, Youssef Chahed.

La manœuvre

BCE a non seulement décrété alors la fin de la «concorde» avec le parti de Rached Ghannouchi, mais il s’est soudain rappelé de la promesse faite il y a quatre ans aux proches de Chokri Belaïd d’élucider l’affaire de son assassinat, s’est emparé de ce dossier –mais également de ceux de Mohamed Brahmi et de l’appareil sécuritaire secret d’Ennahdha- à travers le Conseil national de sécurité. Et la manœuvre a porté ses fruits.

En effet, si on n’entend plus parler de ces dossiers depuis quelques semaines, c’est parce que la formation islamiste –qui n’a jamais accepté le «divorce» avec BCE même lorsque celui-ci le lui a signifié- est revenu à de meilleurs sentiments et pris ses distances avec Youssef Chahed.

Moncef Mahroug

(Suite)

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