Le COPIL a rendu sa copie. Place, désormais, à la rédaction de la Stratégie nationale de l’emploi (SNE) proprement dite. Que seront les leviers d’amélioration du marché du travail et les solutions d’employabilité ?

Jeudi 9 mai 2019, à Tunis, s’est déroulée la troisième et dernière session du Comité de pilotage (COPIL) qui vient en préambule à la SNE. Elle a été suivie d’une conférence de presse donnée par Saïda Ounissi, ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi. Ce département est le maître d’œuvre de ce travail de planification.

Un planning serré

Il faut commencer par rappeler que le travail d’élaboration de la SNE a démarré par un exercice exploratoire du marché du travail. Ce diagnostic, à la charge du COPIL, est à présent terminé.

Il faut également rappeler que cette structure a rassemblé neuf (9) départements ministériels. Il y a d’abord le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, en qualité de Team leader chargé de la maîtrise d’œuvre. Ensuite les 8 autres que sont l’investissement, les Finances, les Affaires sociales, l’Agriculture, le Tourisme et l’Enseignement supérieur.

Il n’y a pas de doute, cette innovation en matière de transversalité garantit une approche efficace et il faut espérer inclusive. Mais il y a aussi les partenaires sociaux, notamment l’UGTT et l’UTICA. Et enfin le Bureau international du travail (BIT).

Sa participation cautionnerait la rationalité de l’approche qui sera adoptée, en fin de parcours. Outre que c’est une mesure de transparence qui enverrait un message rassurant aux investisseurs internationaux.

Le COPIL ayant rendu son rapport, le top départ est donné au processus de formulation de la SNE. Ce travail se déroulera selon l’agenda suivant :

Rappelons que le diagnostic doit aider à percevoir la physionomie actuelle du marché du travail. Et la SNE s’emploiera à mieux gérer les flux de demandes et d’offres futures. Le souci étant d’arriver à réguler le marché et de le rapprocher autant que faire se peut d’une situation d’équilibre stable. Et toute l’ingénierie qui sera déployée par le collectif du COPIL sera de focaliser sur une short-list de données clés, comme indiqué dans le tableau qui suit :

Ces dernières sont appelées à structurer les propositions que formalisera la SNE. De la sorte, on garantit une certaine consistance et une certaine efficience aux résolutions attendues. L’architecture d’ensemble ne manque pas de cohérence comme il ressort du tableau suivant :

Rappelons que cette stratégie démarrera en 2020 et s’étalera jusqu’en 2030. Cela représente le cumul des deux futurs plans quinquennaux. Sera-t-elle compatible avec la politique du gouvernement qui sortira des urnes le 6 octobre prochain ? Les membres du COPIL considèrent que la SNE est habitée par l’esprit de la rationalité économique et qu’elle colle à la réalité du pays. Cela lui procurerait un certain pragmatisme et une certaine commodité d’application.

Un travail de longue haleine

Les experts sont unanimes, la SNE pourrait servir de levier parmi d’autres pour aider à migrer vers un nouveau modèle de développement. Son standard se prêterait à des implémentations de circonstance ce qui lui confère une certaine souplesse d’usage.

Il faut rappeler que l’emploi aura été le talon d’Achille de la révolution. Emploi, liberté et dignité auront été les principales revendications des citoyens le 14 janvier 2011. Hélas ! 8 ans plus tard, le marché de l’emploi n’a pas changé de physionomie. Le bloc des demandeurs oscille entre 15 et 16 % de la population active, c’est-à-dire en âge de travailler. Et ce malgré une forte baisse de la démographie.

Les nouvelles promotions qui arrivent sur le marché ne sont plus que de 45.000 contre 80.000 jusqu’en 2010, et malgré cela les tensions et les rigidités du marché sont encore là.

Le contingent des diplômés du supérieur au chômage est toujours voisin de 250.000, et l’emploi féminin n’a pas progressé. Tout le temps autour de 30 % de la population féminine active. Et avec les mêmes inégalités de salaires. Malgré les nouvelles dispositions réglementaires, les conditions d’embauche sont encore peu clémentes avec des périodes de mise à l’épreuve trop longues.

La précarité est trop présente et certains écarts des employeurs sont encore en pratique. Le travail temporaire ne représente qu’une soupape modeste et la formation alternée n’a pas beaucoup progressé. Alors il y a les plaintes récurrentes des employeurs : 150.000 demandes d’emplois n’ont pas trouvé candidats. L’employabilité des jeunes est défaillante. Et les jeunes qui se plaignent des aspects de la précarité en toutes sortes et des difficultés de placement même via les canaux dédiés.

Emploi et employabilité

Pour soulager le marché, l’Etat s’est engagé dans cette politique qui consiste à littéralement subventionner l’emploi. Il y a bien eu quelques initiatives louables telles la convention Karama ou le programme Forsati. Toutefois, dans l’ensemble on reste dans une configuration d’un marché de l’emploi peu dynamique.

Pareil pour tout ce qui est entrepris pour orienter les jeunes demandeurs d’emplois vers l’entrepreneuriat. Le bilan en la matière est modeste.

En définitive, l’investissement privé manque de tonicité et les emplois nouveaux ne sont donc pas au rendez-vous. Il est permis de bâtir un certain espoir sur la SNE quoiqu’elle soit entachée de quelques aspects contrariants.

Ce que je crois

On a pris trop de temps pour préparer la SNE. On peut toujours nous objecter que le temps a servi à enraciner une culture de la concertation et de la transversalité. Malgré tout, cette inertie est pénalisante. Au bout du compte on se demande s’il ne fallait pas intégrer la SNE à l’initiative du dialogue social. Une solution alternative aurait transposé, ce qui se fait dans des pays tiers.

La Suède, la RFA et plus récemment la France ont adopté, en un temps ultra réduit, de nouvelles politiques de l’emploi. Et pour aller vite, la France a procédé par ordonnance du gouvernement.

Au bout du compte et si on y réfléchit bien, le but de l’opération est d’assouplir les conditions d’embauche, de licenciement et d’ajuster les mécanismes de couverture sociale. Viennent s’y ajouter les modifications aux divers cursus universitaires et les institutions de formation professionnelle. A bien y regarder, la solution n’est pas administrative mais politique.

Par ailleurs, l’employabilité n’est pas une affaire d’amont mais bien d’aval. La profession bancaire a fini par se doter d’une propre académie. Pareil pour les métiers d’assurance. Ainsi que de certains métiers dans le secteur du pétrole et de l’énergie.

Sur un autre registre, on aimerait savoir comment la SNE va prendre en mains les 100.000 abandons scolaires qui se font chaque année.

Il faut bien garder à l’esprit que la SNE reste un programme dont l’application est aléatoire car totalement dépendante du sort des prochains scrutins et du rebond éventuel de la croissance dans notre pays. Et ce qui est douloureux est que les réponses aux problèmes de l’emploi en Tunisie émanent de l’informel, de l’émigration clandestine, dans certains cas de la délinquance et malheureusement aussi du terrorisme. En la matière, on marche sur des œufs lesquels parfois peuvent être explosifs.