“Madame M” d’Essia Jaibi : La société des apparences passée au crible

Dans la vie actuelle, ce qui compte c’est la photo de famille où tout est question d’apparence, de sourire de circonstance, de peur de l’autre et de contrôle. “Madame M” d’Essia Jaibi déconstruit les relations humaines où tout est question de réalité maquillée, de vérité et de mensonges.

Jouée à la salle 4ème art, et interprétée par Jalila Baccar, Mouna Belhaj Zékri, Mouin Moumni, Imène Ghazouani, Hamza Ouertateni, la première pièce de théâtre d’Essia Jaibi “Madame M” décortique, sans complaisance, la société des apparences, grâce à une mise en scène ingénieuse, jouant à la fois avec les codes de l’écriture théâtrale et avec le public.

Madame M…, M comme Mère

C’est l’histoire d’une mère Malika (Jalila Baccar) veuve et aide soignante à la retraite, mère de cinq enfants qui par son amour et son dévouement a tenu à garder sa famille unie et solidaire, à l’image des photos de famille où on sourit en apparence et pour sauver les apparences.

Magistralement interprétée par Jalila Baccar qui, par son absence ou sa présence sur scène, hypnotise ses enfants, la scène et le public.

La mère dans “Madame M” symbolise cette mère tunisienne dictatoriale castratrice par son amour passionnel jusqu’à l’étouffement de ses enfants. Des enfants qui cherchent, “en apparence”, par tous les moyens, à se rebeller contre une mère omniprésente, mais veulent-ils vraiment couper le cordon et se libérer ?

Madame M…, M comme Médias

C’est l’histoire aussi de Hager, jeune journaliste dans un média en ligne, 33 ans, célibataire, ambitieuse, en quête de scoop et de sensation pour l’écriture d’un article qui la propulse dans le monde de la célébrité. Grâce à la famille de “Madame M”, Hager trouvera une matière pour écrire son article.

Synonyme de notoriété et de reconnaissance pour Hager, source de tragédie et de fissure pour la famille M, le fait divers devient une occasion pour Essia Jaibi de mettre à nu les travers du 4ème pouvoir et des “journalistes à deux balles”, des journalistes miroir d’une société pressée et d’une population en quête de gain facile.

En critiquant la médiocrité, la diabolisation de l’autre et l’absence de profondeur dans les sujets abordés par les médias, Jaibi interpelle son public sur sa propre responsabilité dans une mise en scène audacieuse et gracieuse.

Madame M…, M comme Mise en scène 

Dans “Madame M”, il s’agit “en apparence” de mettre à nu la médiocrité médiatique, la corruption, les relations complexes entre mère et enfants, la difficulté d’assumer sa différence dans une société où la réussite est liée au respect des codes et des apparences.

Influencée par les codes de l’art de rue, Essia Jaibi entame, dés le départ, un jeu de séduction avec son public et l’embarque dans un voyage sensoriel unique. En déjouant même la notion de “Spect-Acteur” (le spectateur devient une partie prenante de la pièce), Jaibi invite ses spectateurs à être à la fois en dedans ou en dehors de l’histoire racontée.

Durant 1h30, grâce à une mise en scène en apparence “contrôlée” par un texte, une scénographie et une musique, “Madame M” invite le public à aller au delà des apparences d’une vie actuelle codifiée par la peur et le contrôle de la raison, pour entamer une expérience où les émotions et imagination prennent les rênes de la vie même pour une durée déterminée, celle d’une pièce de théâtre.