Les Tunisiens s’apprêtent à célébrer le 8e anniversaire de la Révolution dans un contexte de vifs désaccords politiques. La crise qui a récemment surgi dans l’unique pays rescapé du Printemps arabe est bien palpable.

D’abord, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a annoncé la fin de son alliance avec le mouvement Ennahdha, mais cette décision ne marque pas le retour à une bipolarisation risquée, à quelques mois des échéances électorales majeures (les législatives et la présidentielle de 2019), selon des experts.

“Nous avons décidé de nous séparer, à la demande d’Ennahdha”, a déclaré le président lors d’un entretien diffusé, le 24 septembre 2018, sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi.

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Cette annonce marque la fin de quatre années d’entente qui a joué un rôle clé dans le processus de démocratisation du pays.

Après le discours présidentiel, Ennahdha, craignant de se retrouver isolé sur la scène nationale et internationale, a rapidement assuré être “favorable au consensus”.

“La gestion de la transition démocratique ne peut être résolue que par le dialogue”, a déclaré son porte-parole, Imed Khmiri.

Selon plusieurs acteurs politiques, la fin de cette alliance a eu un impact négatif sur le processus de la transition démocratique. Mais le professeur de droit constitutionnel, Sadok Belaid, n’est pas du même avis, car, selon lui, cette alliance est “antidémocratique” dans la mesure où elle n’est pas fondée sur des critères clairs et bien définis.

“Le pays a retrouvé son souffle après la fin de cette alliance”, souligne le professeur, mais jugeant “insuffisantes la liberté d’expression et l’organisation d’élections libres et transparentes pour édifier une démocratie pérenne”.

Autre problème évoqué par l’universitaire et qui, selon lui, a provoqué une crise politique permanente, c’est le régime parlementaire tunisien.

Régime politique “controversé”

La Constitution de 2014 a instauré un régime ni parfaitement présidentiel ni complètement parlementaire, ce qui a suscité une polémique sur les prérogatives des institutions qui incarnent le pouvoir exécutif.

De l’avis de l’expert Hedi Ben Jaballah, “le régime politique en place a failli à tous les niveaux. Il a favorisé l’éparpillement des efforts de l’Etat et bloqué toute tentative de résoudre les problèmes sans pour autant déterminer les responsabilités”.

L’expert s’est également interrogé sur les prérogatives du président de la République et du chef du gouvernement alors que tout le pays est totalement “paralysé”, selon ses dires.

Salsabil Kélibi, professeur de droit constitutionnel, abonde dans le même sens et déplore les lacunes du système politique actuel, l’accusant d’être à l’origine des blocages. “Le système politique issu de la Constitution actuelle souffre de plusieurs lacunes. C’est un système qui paralyse pratiquement l’action de l’exécutif”.

Le pays vient de traverser des épisodes d’instabilité gouvernementale, témoignant d’un dysfonctionnement constitutionnel en l’absence de Cour constitutionnelle chargée de trancher les conflits d’ordre constitutionnel, selon elle.

Les parties politiques sont-ils à l’origine de la crise ?

Depuis 2011, les partis politiques se sont multipliés en Tunisie, avec des alliances aux contours parfois difficiles à cerner. Quelque 200 partis ont obtenu leur visa légal. La plupart d’entre eux ne sont pas actifs sur la scène politique comme ils ne respectent pas les dispositions de la loi portant organisation des partis, selon le dernier rapport de la Cour des comptes.

D’après Salsabil Kélibi, les partis politiques sont bien derrière le blocage constaté dans le processus de transition démocratique. “La plupart des partis ne sont pas démocrates, ce qui a exacerbé la crise politique entre le pouvoir exécutif à deux têtes”, a-t-elle poursuivi.

Les instances constitutionnelles peinent à voir le jour

Alors que la Tunisie s’apprête à vivre, cette année, des élections présidentielle et législatives, dans un contexte politique parfois “hostile”, le pays peine à parachever la mise en place de ses instances indépendantes, prévues par la Loi fondamentale, dont la Cour constitutionnelle.

De l’avis des observateurs, la lenteur dans la mise en place des instances indépendantes et de la Cour constitutionnelle -huit ans après la révolution de 2011- risque de mettre en péril le processus de transition démocratique engagé dans le pays.

Outre l’instance électorale dont sa crise fait peser le risque d’un report des scrutins législatif et présidentiel prévus en automne 2019, le Parlement devrait accélérer la mise en place de l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, l’Instance des droits de l’Homme, l’Instance du développement durable et des droits des générations futures et l’Instance de la communication audiovisuelle.

Opération électorale

Selon Sadok Belaid, la Constitution de 2014 a favorisé une approche participative dans l’opération électorale mais les moyens de concrétisation y font défaut.

“La simple convocation des citoyens à une échéance électorale ne garantit pas la réussite de cet événement”, estime-t-il. En témoignent les premières élections municipales libres qui ont été marquées par une forte abstention. Seul un tiers des électeurs se sont rendus aux urnes pour ces premières élections municipales organisées depuis la révolution.

Environ deux millions de Tunisiens ont ainsi voté sur plus de 5,3 millions d’électeurs inscrits, ce qui constitue un revers pour toute la classe politique, a-t-il soutenu.