Dix ans après la révolution tunisienne, le bilan économique semble des plus médiocres. Nous serions même en train de perdre cette opportunité historique de positionner le pays sur l’orbite des pays émergents, lesquels peuvent accéder au rang de “pays développés” dans un horizon de 20 à 30 ans. C’est en tout cas le sentiment du professeur des universités, Mahmoud Sami Nabi, dans une interview accordée à l’Agence TAP.

Pour remettre le pays sur les rails, il faut d’abord, selon lui, ” limiter les effets négatifs et inhibitifs de l’instabilité politique sur la dynamique économique “.

Quelle évaluation faites-vous du coût économique de la révolution, 10 ans après ?

La révolution a engendré une suite de chocs internes, qui se sont conjugués avec un contexte international perturbé, pour exacerber les défaillances de notre système économique. Ce dernier souffrait déjà avant 2011 de problèmes structurels, dont les symptômes étaient notamment le chômage structurel (surtout parmi les jeunes diplômés, les femmes et dans les régions défavorisées), les inégalités régionales, la corruption et la faible progression sur l’échelle de la valeur ajoutée.

Après la révolution, les processus de création de richesse ont été freinés et n’ont pas pu se moderniser. Mais des dynamiques positives partielles me permettent toujours de garder espoir dans la capacité du pays à rebondir, notamment grâce à sa société civile et au potentiel de ses jeunes entrepreneurs innovants, dans les domaines des TIC, des sciences des données…

Faute d’avoir réussi à enclencher des dynamiques de développement régional, les tensions sociales étaient tant bien que mal calmées

Le contexte social tendu, les revendications sociales et corporatistes, ont ralenti l’activité économique. Faute d’avoir réussi à enclencher des dynamiques de développement régional, les tensions sociales étaient tant bien que mal calmées, en recrutant massivement, dans le secteur public, et en en augmentant les dépenses publiques non productives.

Les multiples chocs (attaques terroristes, guerre en Libye, croissance molle en Europe, grèves), les crises politiques et l’instabilité gouvernementale ont détérioré davantage le climat des affaires, aboutissant à des performances économiques médiocres et une accélération de l’endettement public.

Jusqu’à maintenant, nous avons échoué à enclencher le processus d’une transition économique réussie. Les réformes économiques prioritaires n’ont pas encore été réalisées, le secteur informel progresse au galop, les services publics se sont détériorés, la fuite des cerveaux et l’immigration illégales se sont accélérées.

Ce coût était-il inévitable? Aurions-nous pu mieux faire ?

La révolution a un coût, c’est tout à fait normal. Seulement, nous sommes en train de perdre cette opportunité historique de positionner ce pays sur l’orbite des pays émergents qui peuvent accéder au rang de “pays développés” dans un horizon de 20 à 30 ans.

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Bien sûr que nous aurons dû mieux faire, en mettant en place rapidement, sans tergiversations, avec audace et responsabilité, l’édifice institutionnel permettant premièrement de garantir la pérennité des acquis sur le terrain démocratique, et deuxièmement de faciliter la mise en place des réformes économiques, des programmes de relance de court terme, et d’une stratégie de développement.

La donne semble aujourd’hui des plus compliquées. La sortie est-elle toujours possible ? Si oui quelles pistes proposez-vous ?

Aucun développement économique n’est possible sans la mise en place d’une gouvernance moderne et efficace en matière de système politique, de lutte contre la corruption, de système électoral et de transparence et d’efficacité du système judiciaire. Il faudrait limiter les effets négatifs et inhibitifs de l’instabilité politique sur la dynamique économique, en créant une instance indépendante de l’exécutif et redevable directement au parlement, mandatée pour mettre en place une stratégie de développement de long terme articulée autour de plans de développement sectoriels.

Parmi les gains de la révolution, il y a la société civile dont la capacité doit être renforcée davantage, en lui facilitant l’accès à l’information à travers la mise en place d’une vraie gouvernance ouverte et en jouant les cartes de la transparence et de la redevabilité.

La capacitation ne s’offre pas de manière ad hoc, mais c’est un processus qui ne pourra aboutir que s’il capitalise sur toutes les ressources humaines qui croient vraiment en un meilleur avenir pour ce pays. Un avenir prospère et ouvert à tous les enfants de la Tunisie, même ceux qui lui ont fait du mal.