Humaine, c’est le mot qui revient toujours lorsque l’on parle de Hayet Rais, PDG de Mindshare Tunisie, l’agence conseil média de la multinationale Mindshare faisant partie du groupe publicitaire WPP.

Humain ou humaine, une qualité qui tend plutôt à disparaître dans un monde où l’égoïsme et les intérêts personnels régissent nos rapports avec les autres. Parlant d’elle-même, Hayet Rais dit «je suis humaine, cela me paraît tout à fait naturel, je suis curieuse non de cette curiosité malsaine qui s’apparente plus à de l’indiscrétion mais curieuse de découvrir l’homme et l’être et les différences entre les êtres. Je me suis toujours penchée vers l’autre».

Dotée d’une sensibilité exacerbée, elle a toujours trouvé le fait de se tourner vers l’autre, ou les autres, tout à fait évident.

Quoi de plus naturel ? Une vertu n’éclot pas spontanément, elle est plutôt la résultante d’une éducation et d’une culture acquises à notre naissance. «C’est peut être quelque part égoïste mais les autres, ça me parle, je veux être utile».

Hayet Rais a été à bonne école, son père, ophtalmologue de renom, s’est toujours investi dans l’associatif, elle considère que faire du bien autour de soi est aussi vivre. Entièrement dans la vérité, dans la sincérité, dans la discrétion et dans le partage des valeurs, les vraies, les justes et nobles, pour elle la valeur de l’homme réside beaucoup plus dans sa capacité à donner qu’à recevoir.

Femme d’action, elle a pu s’imposer dans l’un des milieux les plus difficiles qui soit : celui de la communication. Une activité à laquelle elle ne pensait pas être destinée. Après un baccalauréat spécialité économie, elle a suivi des études d’administration économique et sociale à Toulouse en France. Diplôme en main, elle rentre à Tunis.

C’est à travers une amie à sa maman qu’elle a intégré une agence de communication. «Je ne me projetais pas dans la Com, un secteur que je méconnaissais. Etant extrêmement timide et réservée. Je n’aurais jamais cru que j’y ferais carrière. Il représentait l’opposée de ce que j’étais. Je me voyais plus dirigeant une ONG œuvrant dans l’humanitaire en back office que travailler en front office comme c’est le cas depuis près de 20 ans».

Rationnelle, elle analyse tout en profondeur, rejetant toute superficialité qui l’empêche de voir, de découvrir les vérités comme elles sont et non comme elles paraissent être. Elle possède une aptitude à voir au-delà des simples apparences, son intuition féminine y est pour beaucoup.

Lorsqu’elle a démarré dans le secteur de la communication, Hayet Raies était à des années-lumière de croire qu’elle pouvait y percer et en devenir le leader. Elle s’est découvert des ressources insoupçonnées au fur et à mesure qu’elle s’adonnait à ce métier passionnant, s’armant d’objectivité, de simplicité, de clarté, d’audace et de courage dans les idées.

Jeune, elle n’avait pas l’assurance arrogante de ceux et celles qui pensaient qu’ils étaient les meilleurs et qu’ils pouvaient tout avoir. Lorsqu’elle a eu son baccalauréat avec mention, elle fut la première à en être surprise : «J’ai peut-être inconsciemment mis tous les moyens pour y arriver mais la mention n’était pas mon but ultime».

Humble, son souci n’est pas d’occuper les premiers rangs mais de réussir les missions qu’on lui assigne.

Savoir s’entourer, gérer intelligemment la situation et optimiser les résultats, ce sont les maîtres mots du process Hayet Rais.

C’est une fonceuse : «J’ai pris mon premier poste sans avoir négocié. J’ai démarré mon premier jour de travail sans savoir où je mettais les pieds. Au bout de 4 ans, on m’a proposé de diriger Mindshare Tunisie et j’ai accepté sans savoir comment cela pouvait évoluer et si cela allait marcher. J’étais bien dans l’agence Label Ogilvy, j’évoluais dans un environnement que je ne pouvais rêver ailleurs, dans une zone de confort extraordinaire presque familial, et j’avais vite gravi les échelons. J’étais directrice clientèles pendant 3 ans et demi, je gérais un portefeuille très important. J’avais la visibilité qu’il fallait et je bénéficiais de la confiance de mon employeur».

Mindshare a été un défi, il fallait la lancer en Tunisie, c’était une aventure captivante qu’elle est fière d’avoir tentée car elle fut une réussite.

Il ne s’agissait pas autant pour elle de courage que de curiosité. Le secteur de la communication avait beaucoup évolué et il y avait de grands leaders en la matière. Elle a osé, et, d’une agence employant 7 personnes à son lancement, Mindshare est aujourd’hui la première agence en Tunisie avec 45 employés au bout de 15 ans.

La foi ! Croire en la capacité de tous de réussir et de se distinguer, avoir la volonté d’atteindre les objectifs escomptés, être optimistes, positiver toujours et surtout ne jamais douter de soi et refuser la pensée de l’échec, c’est ce qui a permis à Hayet Rais de s’imposer dans un secteur hautement compétitif. Avec elle, on ne s’investit pas à moitié: «Au commencement, j’ai raisonné : il est vrai que je n’ai que 26 ans et que je dois arracher ma place dans une multinationale et dans un marché qui n’est pas donné, pourquoi pas? J’y arriverai et avec mon équipe, je réussirai à décrocher tel ou tel client».

Les résultats ne se sont pas faits attendre et avec eux de belles surprises. Le travail était colossal et Hayet Rais ne comptait pas les heures qu’elle passait au bureau : «C’était ma vie».

La force tranquille et la quête de la perfection

Obsédée par son travail et le succès de ses projets,  perfectionniste, elle ne se satisfait pas de l’à-peu-près ou du bien, améliorer, encore et toujours, en quête du meilleur pour elle, ses équipes et surtout ses clients.

Exigeante avec elle et des autres, elle ne lâche le morceau que lorsqu’elle est sûre que c’est ce qui est recherché. De ses équipes, elle veut tirer le maximum, les poussant à se surpasser.

Avec ses collaborateurs, c’est un peu la «Force tranquille», ce slogan de Jacques Attali -qui a fait à l’époque la victoire de feu Mitterrand à l’élection présidentielle française-, une exigence conjuguée à beaucoup de confiance et de combattivité. Pour Hayet Rais, l’impossible n’existe pas, et en éternelle optimiste, elle ne s’avoue jamais vaincue et ne sape jamais le moral de ses équipes. Critique, elle ne va pas jusqu’à les blesser ou les faire douter d’eux-mêmes.

«En chacun de nous, il existe un grand potentiel d’intelligence, d’imagination, de créativité, et des ressources insoupçonnées. Je mets la pression sur mes équipes et je place la barre très haut pour qu’en cherchant à assurer, elles se découvrent et réalisent de quoi elles sont capables et jusqu’où elles peuvent aller».

A une nouvelle recrue, elle pose beaucoup de questions pour essayer de voir dans quelle mesure elle est susceptible d’avoir la profondeur analytique nécessaire pour faire de la Com, mais aussi quelle est sa capacité à créer, à se jeter à l’eau si nécessaire et faire des folies.

«J’ai décelé chez une commerciale venue mettre des étagères à notre agence une curiosité tout à fait saine et un don inné de la communication. Elle était venue et nous avait posé des questions qui n’avaient rien à voir avec sa mission. Elle était pétillante, audacieuse et talentueuse. Je l’ai recrutée, là elle travaille à Mindshare, elle est notre commerciale. J’ai fait le pari sur elle et elle a été à la hauteur».

Hayet Rais à du mal à accepter les échecs, elle les prend sur elle-même même si ce sont les échecs des autres. Elle les vit personnellement. Cette quête de la perfection et cette exigence d’elle-même et des autres ont fait de Mindshare l’une des agences de communication tunisiennes les plus primées à l’international. Depuis 2014, elle a reçu 37 prix. Ces consécrations représentent beaucoup pour ses équipes car c’est la reconnaissance hors de nos frontières de la qualité de leur travail et de leurs capacités à innover dans un secteur où la créativité est maîtresse et le public capricieux et féru de nouveautés et de pertinence.

Les compétitions internationales sont des occasions pour mieux et plus se former pour les équipes de Mindshare qui partent chaque année au festival de la publicité à Cannes duquel elles reviennent enchantées car elles ont été à des workshops où elles ont beaucoup appris. «Sur la région MENA, le bureau de Tunis a été le plus primé ces dernières années. Alors qu’en guise de moyens, nous ne pouvons nous comparer aux Emirats, à l’Egypte, à l’Arabie Saoudite ou au Maroc».

Tout récemment, le bureau de Tunis a été, dans un concours interne organisé régulièrement par la multinationale Mindshare, short listé avec les Etats-Unis, le Canada, le Japon et l’Inde. Il n’a pas gagné cette fois-ci mais Hayet Rais, en éternelle optimiste, espère occuper le haut du pavé… Toutefois, elle estime que cette participation a donné une visibilité énorme aux équipes de Mindshare Tunisie. «Les équipes ont besoin d’être starifiées un petit peu. Et puis il y a la satisfaction personnelle de percer à grande échelle sans oublier les formations supplémentaires que les équipes acquièrent au fur et à mesure qu’elles participent aux compétitions quelles qu’elles soient. Cela les booste et puis c’est bon pour leurs CV. Tout est utile pour montrer ce dont elles sont capables».

Quand il s’agit de créativité, les limites disparaissent, et pour Hayet Rais, il faut lâcher la bride à l’imagination pour aller aussi loin que possible.

Toujours est-il que son plus grand bonheur, ses plus belles réalisations sont ses enfants, ils sont sa bouffée d’oxygène et pour elle, ils représentent le plus grand des défis et sa principale préoccupation.

Une femme peut-elle réussir aussi bien sa carrière professionnelle que sa vie familiale ?

Oui, répond Hayet Rais, mais cela exige «une grande capacité d’organisation, un don de soi incommensurable, de la patience et une remise en question perpétuelle. Il ne faut jamais se complaire dans l’autosatisfaction».

En 2011, année de la chute du régime Ben Ali, elle s’est engagée dans la société civile. Elle voulait discrètement participer à l’édification de la nouvelle Tunisie. Cela lui a permis de faire de belles rencontres et de vivre des expériences inédites. Si déception il y a eu, elle a toujours gardé son côté candide. Ses rencontres qui lui ont permis de découvrir des personnages évoluant dans différents milieux culturels, politiques, artistiques et autres. Elles ont eu pour point commun l’Homme avec un grand H. Ce qu’elle aime chez l’autre, c’est la curiosité, la sincérité, l’authenticité, la combattivité, la diversité, le jusqu’auboutisme, la ténacité, la persévérance et la sensibilité.

Ce qu’elle déteste est la lâcheté et la méchanceté. «S’il y a quelque chose qui m’agresse de manière intrinsèque, c’est la méchanceté. Je peux traiter de beaucoup de choses mais pas de méchanceté, elle m’échappe».

Elle rejoint en cela Tahar Ben Jelloun pour lequel «La méchanceté agissante, gratuite, efficace n’entame pas le corps ou l’esprit du méchant. Les virus, les microbes aiment s’incruster dans les corps tendres, les esprits fins et généreux. Leur travail de destruction est plus aisé».

Fort heureusement, cette méchanceté et cette capacité de certaines gens à faire gratuitement mal à d’autres ne touchent point Hayet Rais car, dans son ingéniosité, elle a gardé cette capacité à ne voir chez les autres que le meilleur ; le pire, elle le laisse à ceux qui portent assez de mal en eux pour voir le pire chez leurs semblables.

Amel Belhadj Ali