Sept ans après le soulèvement du 14 janvier 2011, la Tunisie a certes réalisé des avancées significatives sur la voie de la transition politique même s’il lui reste beaucoup à faire en la matière. Sur le plan économique cependant, elle accuse un retard monstre. A défaut d’audace et de volonté politique, aucune réforme structurelle dans ce domaine n’a été engagée jusqu’ici. La récession économique, qui a sévi durant cette période, a intensifié le chômage des jeunes, généré la paupérisation des Tunisiens moyens et exacerbé les disparités sociales et régionales. Pleins feux sur un changement qui n’en est pas un.

Au niveau politique, il y a lieu de signaler des acquis majeurs. Au nombre de ceux-ci, l’adoption, en 2014, d’une Constitution progressiste d’essence parlementaire consacrant le régime civil (madani), l’organisation au cours de la même année d’élections générales démocratiques et transparentes, et leur corollaire l’entrée en fonction des trois principaux pouvoirs : le législatif, l’exécutif avec ces deux têtes (gouvernement + présidence) et le juridictionnel.

Il reste encore deux pouvoirs à mettre en place : le pouvoir local et le pouvoir des Instances constitutionnelles indépendantes dont certaines font l’objet de lois discutées actuellement en commission par l’Assemblée des représentants du peuple.

Il s’agit, notamment, du code des collectivités locales (autonomie des régions et des municipalités) et des lois organiques devant consacrer l’indépendance des instances constitutionnelles. Parmi celles-ci, figurent la Cour constitutionnelle et les instances qui ne sont pas encore légalisées, en l’occurrence l’Instance des droits de l’Homme, l’Instance du développement durable et des droits des générations futures et l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.

Sérieuses menaces sur la jeune démocratie

Malheureusement, sept ans après le soulèvement du 14 janvier 2011, ces deux derniers pouvoirs -le pouvoir local et celui des Instances constitutionnelles, tout autant d’ailleurs que la nouvelle Constitution et les nouvelles marges de liberté, particulièrement la liberté d’expression, qu’elle consacre- sont sérieusement menacés par les forces antidémocratiques au pouvoir et le terrorisme qui a fait son apparition avec la tolérance de la Troïka.

Ces acquis ne sont pas du goût des deux principaux partis alliés au pouvoir, Nidaa Tounés et Ennahdha.

Paradoxalement, cette offensive antidémocratique s’est accélérée après les élections de novembre 2014. A titre indicatif, à maintes reprises, le président de la République, Beji Caid Essebsi, a, sans ambages, remis en cause le régime parlementaire et les Instances indépendantes, plaidant pour le régime présidentiel et l’obtention des pleins pouvoirs.

De leur côté, les dirigeants nahadhaouis continuent à avancer cachés et à jouer, pernicieusement, le triple rôle d’allié au pouvoir, d’opposants à l’opposition et d’agitateur de foules. Leur implication, en 2017, dans les émeutes de Kamour à Tatouine et de Fawar à Kébili était édifiante, à ce propos.

Moralité de l’histoire: la jeune démocratie tunisienne est encore fragile. Elle encourt le risque d’être phagocytée par cette alliance contre nature, Nidaa Tounès-Ennahdha.

Le clientélisme réinstauré

Au rayon de l’économique, le modèle clientéliste générateur de rentes de situation de Ben Ali a été reconduit et est encore en vigueur, jusqu’à ce jour.

Les deux seules réalisations accomplies, depuis le 14 janvier 2011, sont la démocratisation de la corruption, la multiplication des cartels, la banalisation de la contrebande et de la fraude fiscale.

Les réformes tant attendues par les Tunisiens sont constamment renvoyées aux calendes grecques, s’agissant de la réforme fiscale, la réforme de la compensation, la réforme des Caisses de sécurité sociale, la réforme du secteur public, la digitalisation de l’administration, la formalisation du secteur non structuré (secteur informel)…

Rien dans le sens de ces réformes salutaires n’a été entrepris. Pour les 7 gouvernements (une moyenne d’un gouvernement par an), qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali, le moment n’a jamais été le moment. Ces gouvernements ont cultivé lart d’être sinistrose et de n’évoquer dans leurs sorties publiques que les carences et déficits : déficit gémeaux (budgétaire et courant), déficit d’Etat, déficit hydrique, déficit sécuritaire, déficit de communication, déficit des Caisses sociales, effondrement du dinar, mauvais classements de la Tunisie à l’international…

Ils n’ont jamais tenu aucune promesse. Ils ont été constamment dans le tendanciel jamais en mode d’action. Ainsi, le modèle de développement enchanteur proposé par le gouvernement Habib Essid et en vertu duquel l’accent devait être mis sur l’économie solidaire et sociale, l’économie verte et le numérique a été tout simplement jeté aux oubliettes par son successeur, Youssef Chahed.

Même la lutte contre la corruption enclenchée, fin mai 2017, par le gouvernement Youssef Chahed, en dépit des grands espoirs qu’elle avait suscitée au départ, demeure limitée, sélective et sans lendemain tant qu’elle n’est pas institutionnalisée et encadrée par les structures de contrôle de l’Etat.

Les disparités se sont exacerbées

Au chapitre des disparités régionales et sociales, une des motivations principales qui avaient poussé les indignés du 17 décembre 2010 à descendre dans les rues et à consentir le sacrifice suprême, rien n’a été fait également.

Les intellectuels et militants de la société civile, signataires d’un manifeste publié à la veille de la célébration du 7ème anniversaire des émeutes du 17 décembre 2010 relèvent à ce propos qu'”Aucune des revendications essentielles de la population n’a reçu le moindre début de satisfaction.

Le fossé séparant la Tunisie de l’intérieur de la Tunisie du littoral ne s’est pas réduit ; la société rurale continue de souffrir d’un rapport structurellement inégal avec la société urbaine. Les habitants des ceintures des grandes villes restent enfoncés dans leur marginalisation; nulle stratégie n’a été conçue pour intégrer les activités informelles dans l’économie structurée.

Les travailleurs et les fonctionnaires sont encore soumis à la politique des très bas salaires, les augmentations arrachées depuis 2011 ayant été gommées par une inflation galopante. Les jeunes diplômés souffrent plus que jamais d’un chômage massif, lié à un système productif peu évolué. La classe moyenne, en particulier les patrons de PME, est toujours pressurée par l’Etat et toujours prise en tenailles entre l’économie informelle et l’oligarchie rentière”.

On lit également dans ce manifeste :”Sept ans après le déclenchement de la révolution, ce sont les groupes affairistes et mafieux qui apparaissent comme les principaux bénéficiaires du renversement de l’ancien régime”.

A l’horizon, doutes, craintes et inquiétudes

Selon un baromètre politique, paru samedi 13 janvier 2018 dans le journal Essabah, les perspectives s’annoncent sombres et augurent d’une nouvelle insurrection dans le pays.

Deux raisons majeures militent en faveur de ce scénario catastrophe : la recrudescence de la corruption et l’incompétence du gouvernement qui a cette tendance fâcheuse à se dérober de ses responsabilités et à opter pour des solutions faciles, c’est-à-dire l’endettement et le harcèlement fiscal.