L’Association des jeunes experts-comptables de Tunisie (AJECT) a procédé à l’examen du projet de la loi de finances pour l’année 2018.

Suite à cette analyse, l’AJECT s’indigne de l’orientation générale adoptée et exprime ses réserves sur certaines dispositions prévues par ce projet.

Tout d’abord, l’Association pointe du doigt en premier lieu les hypothèses adoptées pour l’élaboration du projet de la LF 2018, et souligne :

  • l’absence de précision du taux de change utilisé. Sur la base des calculs effectués, ce taux est estimé à 2,6 DT pour un dollar;
  • le budget s’est basé à un cours de baril estimé à 54 de dollars contre un cours actuel de 53 $ avec une tendance haussière pouvant atteindre 60 $ en 2018.

En second lieu, l’AJECT constate l’absence de mesures visant la traduction d’une politique économique conforme au plan de développement quinquennal 2016/2020 et relève :

1) Un taux de croissance prévu pour 2018 de 3% à prix constants (9,4% à prix courants) contre un taux attendu de 2,2% à fin 2017 (8,8% à prix courants), sans toutefois prévoir des mesures concrètes visant sa réalisation et notamment suite à la suppression en 2017 de plusieurs dispositions d’incitations aux investissements ayant prouvé leur efficacité précédemment. Ceci peut constituer un frein à l’investissement aggravé par le niveau d’inflation qui dépasse les 6%, la dépréciation du dinar et l’augmentation de la pression fiscale.

2) Une augmentation du taux d’endettement qui passe de 69,6% du PIB en 2017 (61,9% fin 2016) à 71,4% du PIB en 2018.

3) Une stabilité du niveau de la proportion de la masse salariale de la fonction publique à un taux de 15% du PIB en 2017 et en 2018, une proportion parmi les plus élevées au monde, et ce après retraitement de l’effet du crédit d’impôt.

En effet, le mécanisme de crédit d’impôt adopté depuis l’année 2017 et prévu pour 2018 par le projet de la loi de finances complémentaire pour l’année 2017 est de nature à fausser les ratios au niveau du budget de l’État (recettes fiscales, masse salariale), d’une part, et minore les cotisations sociales à la CNRPS devant être supportées par l’État et les fonctionnaires, d’autre part. L’AJECT appelle à l’abandon de cette pratique qui se contredit avec les principes et les règles d’établissement et de divulgation de l’information financière et comptable.

4) Une augmentation du taux de la pression fiscale pour passer de 23% en 2017 à 24% en 2018 qui se traduira par une baisse du volume d’investissements et de création d’emplois. Elle constitue, en outre, une incitation à l’évasion fiscale et aurait, donc, un effet contraire sur les recettes fiscales.

5) Un objectif de maîtrise du déficit budgétaire pour atteindre 4,9% en 2018 contre 6,1% en 2017 (selon le projet de la loi de finances complémentaire 2017) qui paraît non plausible (non atteinte de l’objectif initial prévu de 5,4% pour 2017 contre 6% en 2016).

Quant aux mesures fiscales prévues par le projet de la loi de finances 2018, l’AJECT considère que les dispositions prévues visent la maximisation de ressources pour équilibrer le budget, sans tenir compte des objectifs économiques, à travers l’augmentation de la pression fiscale sur le secteur formel au lieu de s’orienter vers la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Ainsi, l’AJECT exprime ses critiques sur un certain nombre de dispositions dont notamment:

1) L’augmentation des droits de douane et des droits de consommation déjà révisés à la baisse depuis 2016 à côté de l’augmentation d’un point du taux de la TVA et de l’avance à l’importation de 10% à 15% sont de nature à favoriser le secteur informel aux dépens du secteur formel. À cet effet, il est recommandé d’abandonner ces augmentations qui sont à l’encontre de l’équité fiscale.

2) L’instauration de la TVA sur la vente des logements à usage d’habitation à un taux de 19% risquerait de nuire au pouvoir d’achat du consommateur (augmentation du prix minimum de 10%) et de nuire au secteur de la promotion immobilière déjà en crise et fortement engagé avec le secteur bancaire. Une telle mesure pourrait avoir des conséquences néfastes sur le secteur bancaire, le secteur du bâtiment et l’économie tunisienne d’une façon générale. L’AJECT recommande la généralisation de la TVA sur toutes les ventes de logements à usage d’habitation à un taux ne dépassant pas les 7%.

3) Le gel du crédit de la TVA prévu par le projet de la LF 2018 est contraire au principe de la neutralité de la TVA et à l’équité fiscale. Une telle mesure est de nature à décrédibiliser l’État et à créer une crise de confiance avec le contribuable.

L’administration fiscale gagnerait à étendre ses efforts de vérification au lieu de pénaliser collectivement une catégorie de contribuables. L’AJECT rejette catégoriquement cette mesure.

4) La révision du régime forfaitaire constitue une bonne mesure qui demeure timide. En effet, les taux de marge adoptés sont considérés très faibles par rapport aux taux pratiqués. L’AJECT appelle à revoir à la hausse les taux de marge et les minima d’impôt pour cette catégorie de contribuables, de fixer le chiffre d’affaires annuel des forfaitaires à 100.000 DT et d’exclure certaines activités de l’éligibilité à ce régime.

5) L’augmentation de l’impôt sur les dividendes de 5% à 10% nuit à la stabilité des textes fiscaux, condition nécessaire pour promouvoir l’investissement et la protection du climat d’affaires. En outre, cette mesure, non accompagnée par la baisse de l’impôt sur les sociétés conformément aux choix adoptés au niveau du projet de la réforme fiscale, est de nature à dissuader les investisseurs.

Par contre, l’exonération des dividendes des sociétés totalement exportatrices constitue une injustice fiscale avec celles partiellement exportatrices. En plus, elle pourrait se manifester par une exportation d’impôt sur les dividendes de la Tunisie vers les pays de résidence des investisseurs étrangers.

Cette mesure touchant l’impôt sur les dividendes mérite d’être abandonnée dans sa globalité.

Enfin, l’AJECT recommande de :

  • renforcer les efforts pour la lutte contre le secteur informel et l’évasion fiscale ;
  • moderniser l’administration pour faciliter les travaux de contrôle fiscal et la recherche des niches de fraude fiscale ;
  • veiller à la non augmentation du taux de pression fiscale voire sa réduction, étant donné son effet direct sur la consommation et l’investissement ;
  • rationaliser les dépenses de l’État et notamment celles relatives au fonctionnement et veiller à leur bonne gouvernance ;
  • faciliter, simplifier, clarifier et uniformiser les procédures fiscales ;
  • prévoir des mesures pour la relance de l’investissement et de l’exportation ;
  • veiller à la stabilité des textes fiscaux et accélérer les projets de la réforme fiscale tant attendue.