Exportations  : Le PDE3 bloqué par des écueils administratifs

Vous êtes un jeune entrepreneur et vous voulez exporter? Ne vous attendez surtout pas à ce que votre chemin soit orné de roses et votre route balisée. «Des blocages? Il y en a à la pelle, déplore Douja Gharbi, vice-présidente de la CONECT (Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie). Tout d’abord, il faut trouver le moyen de payer vos prestataires de service sur le marché où vous voulez écouler vos produits. Ces derniers doivent être payés en devises, ce dont vous ne disposez pas. Comment louer un stand? Engager un expert local ou un consultant ou facturer? Pour les jeunes qui osent leurs premiers projets en tant qu’exportateurs, c’est la croix et la bannière».

Quoi de plus vrai, d’autant plus que la COTUNACE, assureur spécialisé dans l’export, veut elle-même être assurée contre tout risque avant de garantir les nouveaux exportateurs! «La COTUNACE est réticente dès lors que les paiements à l’international ne sont pas “dans la poche“».

Une assurance qui ne veut prendre aucun risque, cela n’existe qu’en Tunisie. Mais passons!

Que faire aujourd’hui pour inciter les PME/PMI à exporter? Bien sûr, il y a le programme Tasdir+ financé par la Banque mondiale et dont les fonds se trouvent à la BCT. Un programme qui entre dans le cadre global du Programme de développement (PDE3) lancé en partenariat avec la Banque mondiale et qui a entamé un premier appel à candidatures où ont été retenus 137 dossiers parmi les 344 candidats. Soit l’approbation de plus de 20 MDT d’investissement pour le développement des activités des entreprises en question à l’exportation. Encore faut-il que la chaîne administrative tunisienne suive.

Application des lois à l’aveuglette

Les virements posent problème, car on tarde à rembourser tous les frais engagés par les entreprises pour leurs activités à l’export à cause de l’impassibilité et de la raideur de la BCT. Là où on nous apprend à faire des efforts pour interpréter les lois dans le sens de servir l’intérêt général, à la Banque centrale on les applique à la lettre sans prendre en considération le statut spécifique des primo-exportateurs ou encore la nécessité de plus de souplesse pour donner de la vigueur à un secteur fragilisé par presque 7 ans d’incertitudes.

Le problème est de taille, car les entreprises qui se préparent 4 à 5 mois à l’avance pour participer à un Salon ne disposent pas des fonds nécessaires pour faire de la prospection ou même louer un stand, sans parler de celles qui ne disposent carrément pas de comptes en devises. Elles se débrouillent donc pour se procurer des financements. Suite à quoi, elles s’attendent à ce que les fonds avancés soient remboursés dans le cadre du programme Tasdir+, et là, la déception est de taille. La BCT invoque toute sorte de prétextes pour ne pas débloquer l’argent alloué à cet effet et préservé soigneusement dans ses coffres.

Pour les primo-exportateurs, c’est encore plus dramatique. Alors qu’au Maroc les programmes d’aide à l’exportation avancent les fonds pour aider les entrepreneurs nationaux et les font accompagner par des banques, en Tunisie, non seulement les fonds ne sont pas avancés mais les délais de remboursement frisent le ridicule. Des délais qui bloquent plus que tout un secteur qui peine pour nombre d’autres raisons. Ceux qui ne possèdent pas des comptes en devises devraient, dans ce cas, se débrouiller pour vendre leurs produits. Ils devraient s’associer avec des entreprises exportatrices ou se procurer des fonds en devises par des moyens illégaux qu’ils devraient rendre en Tunisie en monnaie locale.

50 millions de dollars ont été accordés par la Banque mondiale pour le soutien à l’exportation dont plus de 23 millions de dollars alloués au programme Tasdir+, et le reste réparti sur la COTUNACE, la STAM, la Douane tunisienne et le renforcement du ministère du Commerce, entre autres, à travers la création d’un centre d’études pour la collecte des informations, les certifications et la standardisation, ainsi que la labellisation des produits locaux.

Désormais 400 dinars au lieu de 200 de frais de mission

L’un des programmes les plus actifs aujourd’hui est celui de Tasdir+ si ce n’est les écueils qui nuisent à son essor à cause de formalités administratives ridicules et de mesures légales mais inadaptées à la situation économique d’un pays en stand-by. Pire, un pays qui marche à reculons.

«Nous faisons d’énormes efforts pour soutenir nos exportateurs, indique Chefia Chelbia, directrice coordinatrice du Fonds Tasdir+. La preuve, nous avons élevé les frais de mission de 200 Dt (80 €) à 400 Dt, et cela reste assez modeste pour les ambitieux dont l’objectif est de gagner de nouveaux marchés. Nous comptons entamer très prochainement la deuxième phase de Tasdir+ mais nous souffrons d’un manque de réactivité de la part des services concernés à la BCT de laquelle nous attendons plus de compréhension et de flexibilité pour aider nos PME/PMI à voler de leurs propres ailes à l’international».

Les PME/PMI qui ont participé à la première phase doivent être remboursées à hauteur de 50% de leurs frais (les consortiums 70%) en une semaine seulement, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

«L’exportation n’est pas une opération promotionnelle, il s’agit d’un travail de longue haleine qui nécessite le soutien des pouvoirs publics à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du ministère du Commerce, de celui du Développement et de la Coopération internationale ou de la BCT. Notre problème aujourd’hui est que nous avons signé des conventions d’aide aux entreprises exportatrices et que nous n’arrivons pas à réaliser les opérations de décaissements. Les entreprises ne sont pas autorisées à effectuer des virements en devises à l’étranger. Quel programme de soutien à l’export pourrait résister à pareille réglementation».

L’argument de la BCT…

Les arguments invoqués par les représentants de la BCT sont que les entreprises exportatrices concernées n’ont pas rapatrié leurs devises en Tunisie. Ce qui n’est pas évident dès les premiers temps de l’implantation d’une petite PME qui a besoin de réinjecter l’argent récolté sur place pour développer son activité. Il ne s’agit pas de récolter les fruits des virements effectués en temps réel mais plutôt de donner aux entreprises les délais nécessaires pour renforcer leur positionnement et rapatrier les fonds. La pression de la BCT fait que les jeunes exportateurs font pression sur leurs acheteurs pour les payer rapidement, ce qui n’est pas l’approche commerciale la plus appréciée face à une concurrence féroce de la part d’autres pays.

Vivement la loi d’urgence économique

Pour Mme Chelbia, le plus important est d’assurer la réussite du programme Tasdir+ auquel elle croit énormément: «Pour nous, le fonds alloué par la Banque mondiale est une manne pour nos PME/PMI afin qu’elles s’imposent à l’international. Nos entreprises ont tous les atouts pour réussir et nous comptons bien déployer tous les moyens à notre disposition pour y parvenir ensemble. Tout ce que nous espérons est que la BCT soit un partenaire privilégié pour nous afin que nos opérateurs puissent devenir des conquérants et ne soient pas handicapés par des mesures procédurales que nous pouvons solutionner».

A quand l’adoption de la loi Chahed d’urgence économique pour une Tunisie en souffrance économique?

Amel Belhadj Ali