Reportage en direct d’Abidjan : 60 entreprises tunisiennes en Côte d’Ivoire en 2016

investir-afric-tunisie.jpgIl y a aujourd’hui plus d’intérêt à investir en Afrique qu’ailleurs. Ceci n’est plus un secret pour personne, et bien que quelques entreprises tunisiennes s’installent notamment en Côte d’Ivoire comme ONETECH, HEXABYTE, SOROUBAT, SANIMED ou encore CUISINA, celles-ci restent encore timides. Pourtant, dans les hautes sphères de décision du pays, on prend conscience de l’urgence de s’engager dans le continent mais la machine reste encore lourde à mobiliser.

Noomane Fehri, ministre des Technologies et de l’Economie numérique, y a cru plus particulièrement. Il a assuré le rôle d’un VRP d’excellence le temps d’un salon : CONSULTAFRIC qui s’est tenu les 9, 10 et 11 avril 2015 à Abidjan.

Quand il arrive à un rendez-vous avec les entrepreneurs locaux, un ministre ivoirien ou encore l’équipe de la rédaction de «Fraternité Matin», Riadh Azzaiez, commissaire du Salon CONSULTAFRIC et directeur général d’AZ.com, fait la bise à quasiment tout le monde. Dans les couloirs, on l’appelle le «Sorcier Blanc» et ce Tunisien d’Abidjan, comme il se définit, croit dans le continent depuis une époque où on lui riait même au nez pour cet intérêt. Sauf qu’entre temps, il a fait du chemin, a développé ses réseaux et organisé plusieurs événements dont un salon dédié à l’industrie pharmaceutique et un autre au Bâtiment.

Il s’apprête à lancer, en août 2015, le Salon de l’Université tunisienne en Côte d’Ivoire, «Campus Tunisie».

Ce matin du 11 avril à Abidjan, Riadh Azzaiez conduit une partie de la délégation tunisienne au siège de Fraternité Matin, pour une conférence de presse du ministre des TIC et de l’Economie numérique dans le cadre de la tribune ”Invité des rédactions”.

Après avoir présenté la Stratégie tunisienne et exposé la situation des relations bilatérales entre les deux pays, le ministre a reconnu qu’il a été séduit par le projet «Un citoyen, un ordinateur plus une connexion internet». Une initiative du président de la République ivoirienne, Alassane Ouattara. “C’est la meilleure des choses à faire pour briser la fracture numérique”, a-t-il soutenu.

La Côte d’Ivoire : un océan d’opportunités…

L’engagement, les propos francs et la vision audacieuse de Noamane El Fehri ne laissent personne indifférent. L’opération de Relations publiques est un succès. Le spécial 3 pages dans le quotidien dont la Une en témoigne le lendemain. Qui résiste à un ministre qui répond lorsqu’on lui demande de résumer en 3 minutes la fin de son intervention: «je n’ai pas besoin de 3 minutes, j’ai besoin de vous dire en 3 secondes: J’aime l’Afrique».

Et c’est précisément ce préalable-là qui est déterminant pour faire affaire dans le pays. Riadh Azzaiez ne cesse de le répéter car il ne le sait que trop bien! Ici, les relations se tissent avec la patience, le temps et la passion: «Ceux qui croient arriver en Côte d’Ivoire et signer des contrats en 30 minutes, grâce à un super prix ou produit, se trompent. L’Afrique se mérite. Y faire des affaires et fortune aussi!».

60 entreprises tunisiennes en Côte d’Ivoire en 2016

Et cela, Noomane Fehry l’a parfaitement compris. Le jeune ministre a décidé d’accompagner les entreprises tunisiennes à s’installer en Côte d’Ivoire. Il décide de les soutenir activement en assurant une partie des frais de leur installation pendant les 6 premiers mois de leur activité pour une enveloppe équivalent à peu près à 60.000 dinars: «Je suis là To Get It Done! Les TIC sont le domaine où les coups d’accélérateurs de l’histoire sont les plus évidents. L’Afrique va surprendre dans un monde qui se divisera en connectés et non connectés. Le continent a les matières premières et le capital humain et il n’est pas fortuit que le monde entier s’y intéresse. Nous concernant, il nous faut de l’ambition adossée à du réalisme et obtenir rapidement des quicks wins. Les modèles économiques on les testera au fur et à mesure, c’est justement le comment qui est en train de s’écrire maintenant…».

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’objectif de 60 entreprises, installées dans le pays d’ici fin 2016 est mis dans le viseur. (Seules 29 entreprises sont aujourd’hui établies), un sommet tuniso-ivoirien enregistrant la participation de bailleurs de fonds et d’entreprises opérant dans les TIC, les systèmes bancaires, la santé, la sécurité est lancé pour fin mai. D’autres éditions de CONSULTAFRIC en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays sont à l’étude.

Durant ce voyage, plus de 70 Tunisiens ont eu le temps de se rendre compte de la transformation que vit la Côte d’Ivoire. Abidjan est une ville qui bouge. Ici, le maître mot est la Joie. Une formule qui se résume en plaisirs qu’affectionnent particulièrement les locaux et les «Expats» qui ne sont encore pas encore trop nombreux mais dont l’arrivée s’accélère.

La ville est reposante malgré une circulation infernale. Les salons, foires et festivals se multiplient. En concomitance au salon tunisien, CONSULTAFRIC, se tenait le Salon de l’agriculture, organisé par les Marocains et qui a drainé plus de 161.257 visiteurs et où l’on comptait 371 stands, 607 exposants et 12 pays représentés, ou encore la Semaine égyptienne.

Seulement 500 tunisiens contre 6.000 Marocains

Que la côte d’Ivoire soit le pays d’avenir n’est plus un secret pour personne. On s’y bouscule et le flux des entreprises, des investisseurs, des travailleurs explose. A ce jour, on dénombre 120.000 Libanais qui vivent en Côte d’Ivoire conte 16.000 Français, 6.000 Marocains et à peine 500 Tunisiens dans une ville qui accueille officiellement 2 millions d’habitants. «Les Tunisiens sont frileux et ne s’expatrient pas facilement, explique M. Bouattour, directeur général de ONETECH, installé depuis 2 mois à Abidjan. «Pourtant, les opportunités sont énormes. Toutes les semaines il y a des nouveaux venus et des curieux qui ont eu écho de quelques succès! Pas plus tard que la fin de l’année, trois jeunes sont venus ouvrir une imprimerie. Ils ont raflé des contrats en or et sont en train de se développer à grande vitesse dans la région. Il faut oser et se lancer», conseille-t-il surtout aux diplômés qui souffrent de chômage et de manque d’opportunités en Tunisie.

Car les opportunités, ce n’est pas cela qui manque en Côte d’Ivoire! Le pays est un immense chantier. A Abidjan, ici et là ouvrent des centres commerciaux, se construisent des ponts, des autoroutes, des immeubles… Dans la nuit, des installations sont détruites pour être reconstruites. En un rapide petit tour en ville, on observe plusieurs dizaines de chantiers d’hôtels et les brands internationaux commencent à s’y installer.

Le pari d’Alassane Ouattara

La presse locale fait des comptes rendus réguliers de l’état des chantiers de la route vers la frontière burkinabè, de l’autoroute Yamoussoukro-Bouaké… La ville explose et les zones industrielles et résidentielles poussent comme des champignons. Le long de l’océan, les bidonvilles sont détruits pour laisser place à de nouveaux aménagements.

Faire de ce pays une économie émergeante en 2020 nécessite de gros financements que le gouvernement est en train de lever sereinement. Remettre à niveau les réseaux électriques, l’adduction d’eau et les routes – 6.000 km bitumés – dont 90% n’ont pas été convenablement entretenus depuis 15 ans, reprendre le plan national d’électrification rurale (PNER), qui coûtera 335 millions d’euros, la réfection des routes et des ponts (1.000 milliards de francs CFA) et le prolongement de ses lignes de chemin de fer, mettre en place un système de couverture maladie universelle…. doit être financé, pour redresser l’économie et consolider la stabilité politique encore fragile.

Mais la Côte d’Ivoire ne fait pas les choses à moitié. Elle se donne les moyens de ses réformes. On sent l’engagement et la volonté de reconstruire dans presque toutes les conversations avec les opérateurs, un chauffeur de taxi, les journalistes… Est-il fortuit que pour la deuxième année consécutive, le pays fasse partie des dix pays qui ont le plus amélioré leur climat des affaires, selon les critères de la Banque mondiale? La Côte d’Ivoire vient d’obtenir le feu vert, qu’elle attend depuis 15 ans, des Etats-Unis pour effectuer des vols commerciaux directs entre les deux pays. Le président ivoirien, Alassane Ouattara, dit vouloir faire d’Abidjan la capitale économique et commerciale du pays, un carrefour du transport aérien en Afrique.

Présenté comme le pays qui fait bouger l’Afrique, la Côte d’Ivoire, première économie d’Afrique de l’ouest, poursuit sa reprise, avec une croissance vigoureuse estimée à deux chiffres pour 2015 contre 8,8% en 2013, et 10,7% en 2012.

Le pays est la première économie de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), dont elle représente 40% du PIB. Elle est également la deuxième puissance économique de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et constitue une porte d’entrée idéale sur ce grand marché de 300 millions de personnes.

Les ambitions de la Côte d’ivoire…

La Côte d’Ivoire, classée par l’ONU 171e en termes d’indice de développement humain en 2014 sur 187, a bien du chemin. Sur la route d’Assini, station balnéaire qui se trouve à 90 km d’Abidjan, on voit de visu la pauvreté et prend pleinement conscience des défis qu’il y a à relever. Un Ivoirien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. Vivre avec moins d’un dollar par jour est périlleux dans un pays où la hausse du coût de la vie est fulgurante. A Abidjan tout est cher, la nourriture, les soins, l’immobilier, les factures d’eau et d’électricité…

De nombreux pays ont compris que c’est en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, qu’une partie de l’avenir se construit. Pour ne citer que le Maroc voisin, le Roi Mohammed VI a fait de l’intégration Sud-Sud sa priorité et la formule lui réussit. 14 pays ont été visités plusieurs fois par le souverain qui a placé l’entreprise marocaine dans cette vision. Aujourd’hui plusieurs entreprises marocaines n’exportent plus des produits finis en Côte d’Ivoire mais y créent de la valeur sur place.

La magazine Afrique Expansion fait état du suces de la stratégie et rapporte dans un récent rapport du cabinet d’intelligence économique Knowd que la perception du Maroc et des Marocains dans 12 pays de l’Afrique subsaharienne (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Nigeria, Sénégal et Togo) est particulièrement bonne. Sur un échantillon de 840 personnes, 46% estiment que le Royaume est compétitif, 21% déclarent que le Maroc est un pays ouvert et 27%, un pays conquérant. Il lui faut juste plus d’audace et de prise de risque pour rafler la mise.

Des questions…

C’est à se demander si la Tunisie se pose même ce genre de questions. Le Maroc a compris que l’Afrique en reconstruction est le nouvel Eldorado à investir. La Tunisie, malgré quelques timides initiatives, reste à la traîne. Qu’attend-elle pour investir sérieusement en Afrique? La Tunisie n’a-t-elle toujours pas compris que le continent n’est plus un choix mais une obligation?

La Tunisie ne sait-elle pas qu’au cours des dernières années, la croissance moyenne sur le continent a atteint 5%, 6% en Afrique de l’Ouest et 6,5% pour la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Ne sait-elle pas que cinq ou six pays du continent Africain figurent dans le top 10 des champions de la croissance économique mondiale? «L’Afrique est un continent attractif. Les investisseurs privés s’y intéressent naturellement car non seulement c’est une aubaine d’y être présent, c’est maintenant devenu incontournable, explique un banquier de la place sur les colonnes d’un quotidien abidjanais… Il y a des occasions à saisir dans beaucoup de domaines, qu’on parle d’infrastructures ou de grande distribution. Il est fini le temps où l’Afrique n’attirait que grâce à ces matières premières, ses ressources énergétiques ou ses mines. Nous vivons une nouvelle ère, un tournant que nous ne devons pas rater».

Mais cela la Tunisie ne l’a vraisemblablement pas compris du tout!