Sao Joao da Madeira, la ville portugaise qui veut chausser les Chinois

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école Parque de Sao Joao da Madeira, au Portugal, le 13 octobre 2014 (Photo : Patricia de Melo Moreira)

[31/10/2014 17:32:55] Lisbonne (AFP) Dans une salle de classe, le professeur Wang trace des caractères chinois sur un tableau blanc. Les élèves lisent en choeur: “wo shi pu tao ya ren”. Dans la langue de Confucius, une vingtaine d’élèves de neuf ans vient d’affirmer: “je suis Portugais”.

C’est un lundi comme les autres à Sao Joao da Madeira. Dans cette commune industrielle du nord du Portugal, haut-lieu de la production de chaussures, les cours de mandarin sont obligatoires depuis 2013 pour les élèves de huit et neuf ans. Ils sont proposés cette année aux élèves de dix ans.

“Le chinois est la clé qui leur ouvrira les portes du plus grand marché du monde”, affirme Dilma Nantes, conseillère municipale à l’Education. La ville, qui compte quelque 20.000 habitants, a proposé ce projet au gouvernement, qui n’a pas hésité à transformer Sao Joao da Madeira en commune pilote.

En ligne de mire se trouve le gigantesque marché de l’Empire du milieu où les entreprises de la ville, et notamment ses emblématiques fabriques de chaussures, ont déjà mis un pied.

Pourtant premiers exportateurs mondiaux du secteur avec 10 milliards de paires par an, les Chinois sont de plus en plus friands de produits de luxe dont font partie les chaussures portugaises, deuxièmes plus chères au monde derrière les italiennes.

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école Parque de Sao Joao da Madeira, au Portugal, le 13 octobre 2014 (Photo : Patricia de Melo Moreira)

A l’échelle du pays, les exportations de chaussures de marques portugaises vers la Chine ont bondi de 10.000 paires en 2011 à 170.000 en 2013, atteignant un chiffre d’affaires de 5,4 millions d’euros.

Les ventes dépassent même les 20 millions d’euros en 2013 si l’on inclut la production faite au Portugal pour des marques étrangères, ce qui reste toutefois minime rapporté à l’ensemble des exportations de chaussures portugaises, 1,7 milliard d’euros la même année.

– Conquête de la Chine –

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é au travail dans une usine de chaussures de Sao Joao da Madeira, le 13 octobre 2014 (Photo : Patricia de Melo Madeira)

L’université d’Aveiro, à une cinquantaine de kilomètres de Sao Joao da Madeira, appuie le projet de la commune en détachant des binômes de professeurs: un étudiant chinois en échange linguistique et un étudiant portugais parlant le mandarin.

Devant leurs élèves, le professeur Wang et sa collègue, Joana Oliveira, embrayent sur une page de culture chinoise. Aujourd’hui, les écoliers découvrent des photos de la place Tiananmen, à Pékin, le jour de la fête nationale. Au fond, on distingue la Cité interdite.

“Moi, j’aimerais voir la Grande Muraille”, rêve Eduardo, neuf ans. Les élèves sont passionnés. “Ils sont jeunes, ils apprennent vite”, se réjouit le professeur Wang. Daniela, neuf ans elle aussi, affirme crânement que pour elle “le chinois, ce n’est pas particulièrement difficile”.

Dans un atelier de la ville, une vingtaine d’ouvriers travaille à produire un peu plus d’une centaine de paires par jour. Sous leurs doigts, les pièces de cuir sont assemblées, formées, moulées. Des bottes, des bottines et des escarpins s’alignent et seront bientôt expédiés en Europe ou en Amérique du Nord et, depuis 2013, jusqu’en Chine.

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és au travail dans une usine de chaussures de Sao Joao da Madeira, le 13 octobre 2014 (Photo : Patricia de Melo Moreira)

Mario Tavares a vendu l’an dernier 200 paires de chaussures en Chine et espère porter ce chiffre à 1.000 en 2014. Une goutte d’eau pour son entreprise, qui vend 160.000 paires par an. Mais “la Chine a le potentiel pour devenir, un jour, notre marché principal”, affirme l’entrepreneur, qui raconte que certaines clientes de Shanghai recherchent désormais spécifiquement sa marque, Tape.

– 40.000 euros par an –

Les entreprises n’ont pas attendu que les enfants de Sao Joao da Madeira grandissent pour faire des affaires avec la Chine. Mais le mandarin donnera aux enfants un avantage considérable “pour occuper des postes de commerciaux ou de direction dans les usines”, juge M. Tavares. Ils seront, selon lui, mieux armés pour négocier “avec des clients chinois qui, souvent, parlent assez mal anglais”.

Estelle Magno Ferreira Fachada est admirative des progrès faits par son fils Eduardo. Le seul problème se pose à l’heure des devoirs. “Eduardo vient me demander de l’aide pour le portugais ou les mathématiques. Mais pour le chinois, il doit se débrouiller!”.

Les cours de mandarin sont financés par la municipalité: “entre 60 et 70 euros par élève pour un budget d’environ 40.000 euros l’an dernier”, affirme Dilma Nantes, qui précise que près de 600 élèves ont bénéficié de cours de chinois en 2013. La commune espère, à terme, en étendre l’enseignement jusqu’au bac.

Le ministère de l’Education reconnaît que le mandarin constitue “une plus-value” pour les écoliers et étudie déjà son introduction dans d’autres établissements. Des discussions sont en cours avec l’institut Confucius à Lisbonne, qui s’est dit prêt à détacher des professeurs.