La Norvège tente de lever la suspicion sur son précieux saumon

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élevage de saumon à Indre Oppedal, à 100 km de Bergen en Norvège, le 11 septembre 2014 (Photo : Eric Piermont)

[26/09/2014 12:07:27] Bergen (Norvège) (AFP) Est-il dangereux de manger du saumon d’élevage? Après plusieurs polémiques, la Norvège, premier producteur mondial et premier fournisseur de la France, tente de redorer l’image de son poisson star, mais le débat sur l’impact sur la santé est loin d’être tranché, tout comme ses conséquences sur l’environnement.

Novembre 2013: un reportage d’Envoyé Spécial (France 2) provoque l’émoi en France. Il présente le saumon norvégien comme “la nourriture la plus toxique au monde”, bourrée de produits chimiques.

Quelques mois plus tôt, le gouvernement norvégien lui-même recommandait aux femmes enceintes et aux enfants de limiter leur consommation de poissons gras comme le saumon, leurs lipides retenant particulièrement les polluants.

A l’été 2014, les importations de saumon en France reculent de 5% sur un an. Une baisse liée avant tout à la flambée des prix mondiaux.

Mais “il est possible que (les polémiques) aient eu un impact, même si c’est difficile à quantifier”, reconnaît Gabriel Chabert, responsable marketing en France du groupe norvégien Marine Harvest, premier producteur mondial de saumon d’élevage.

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é aux poissons près de Bergen en Norvège, le 12 septembre 2014 (Photo : Eric Piermont)

L’enjeu est crucial pour la Norvège qui produit 1,2 million de tonnes par an et en exporte 15% vers la France, son premier client. La Norvège est aussi le premier fournisseur de l’Hexagone, avec 85% des parts de marché.

“Les niveaux de contaminants dans le saumon d’élevage sont bien en-dessous des normes fixées par les autorités sanitaires”, contre-attaque Randi Nordstoga Haldorsen, responsable de la sécurité alimentaire chez Marine Harvest, où l’AFP a pu se rendre à la mi-septembre.

– Moins d’antibios et de dioxine –

L’écrasante majorité des élevages norvégiens a renoncé à utiliser des antibiotiques, confirme Greenpeace Norvège.

Ils ne sont plus nécessaires car “depuis des années nous vaccinons les saumons. Il n’y a presque plus de maladies”, explique Hermund Asheim, responsable de l’une des 114 fermes d’élevage de Marine Harvest, perdue dans un fjord brumeux, à 100 kilomètres au nord de Bergen, la deuxième ville de Norvège.

Posés sur la mer tels de gigantesques nénuphars, des filets de 30 mètres de profondeur enserrent de 60.000 à 180.000 saumons chacun.

Testés par l’association de défense des consommateurs “60 Millions de consommateurs” cet été, 18 filets de saumon d’élevage, dont dix norvégiens, ne montraient pas “de résidus d’antibiotiques quantifiables”.

La Norvège met aussi en avant ses progrès sur les PCB (polychlorobiphényle) et dioxines, résidus industriels suspectés d’être cancérigènes.

“En dix ans, ils ont reculé d’un tiers”, constate Ingvild Eide Graff, directrice de recherche à l’Institut national de recherche sur la nutrition et les produits de la mer (Nifes).

Les PCB sont présents dans tous les saumons testés par 60 Millions de consommateurs mais en “faibles teneurs”. En France, sur les cinq dernières années, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a détecté seulement deux saumons “non-conformes” pour ces polluants. En 2013, tous les saumons norvégiens testés respectaient les normes européennes.

Cette évolution est liée à celle de la nourriture des saumons, des granulés autrefois composés essentiellement de farines et d’huiles de petits poissons, contaminés par la pollution industrielle marine.

Aujourd’hui, ils contiennent davantage d’huile végétale (colza, parfois soja).

Pour prendre en compte ces évolutions, un comité scientifique norvégien travaille à une nouvelle évaluation de la toxicité du saumon qui sera publiée fin 2014.

“Quand nous aurons terminé, je pense que le gouvernement révisera sa recommandation”, estime Janneche Utne Skaare, directrice de la recherche à l’Institut vétérinaire norvégien.

Pour le Nifes, on peut sans problème “manger plus” de saumon qui n’est “pas plus contaminé que d’autres aliments”, soutient Mme Graff. Et le saumon norvégien n’est “pas plus toxique” que l’écossais ou l’irlandais, estime Patricia Chairopoulos qui a effectué l’étude de 60 Millions de consommateurs.

– Quid des pesticides? –

Mais les scientifiques ne sont pas tous d’accord. Pour Jérôme Ruzzin, toxicologue à l’université de Bergen, le saumon d’élevage “est aujourd’hui un produit alimentaire totalement différent de ce qu’on mangeait il y a cinq ans”, à cause justement de la modification de sa nourriture.

Certes, pas de dioxine dans l’huile de colza, mais quid des pesticides? interroge le chercheur.

Cette question “mérite d’être surveillée de près”, reconnaît Ingvild Graff. Jusqu’ici, en Norvège comme dans l’UE, “il n’y avait pas de limites pour les pesticides dans le saumon car cela ne semblait pas nécessaire. Mais comme la composition de la nourriture évolue, cela pourrait changer”, souligne-t-elle.

Pour Patricia Chairopoulos, les pesticides sont “le principal problème”, peut-être aussi parce que les élevages norvégiens sont souvent “proches des côtes, plus exposés à certaines pollutions venant de l’agriculture notamment”.

Le changement d’alimentation du saumon d’élevage a aussi fait diminuer sa teneur en oméga-3, réputés protéger contre les maladies cardio-vasculaires.

Malgré cela, “il y a 200 fois plus de vies qui sont sauvées par les effets bénéfiques du saumon que perdues à cause des cancers provoqués par les dioxines”, affirme Mme Graff, citant une étude de 2011 de la FAO et de l’Organisation mondiale de la santé.

Des bénéfices plus grands que les inconvénients? “Je n’y crois pas. Cela n’est pas démontré scientifiquement et nos résultats montrent le contraire”, rétorque Jérôme Ruzzin.

En 2010, il a dirigé une étude sur des rats nourris avec de l’huile de saumon. Les effets bénéfiques des oméga-3 disparaissaient si l’huile n’était pas purifiée de ses polluants.

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élevage de saumons à Indre Oppedal, à 100 km de Bergen en Norvège, le 11 septembre 2014 (Photo : Eric Piermont)

Marine Harvest commence à détoxifier son huile de poisson, mais pas l’huile végétale.

L’incertitude entoure aussi l’éthoxyquine, un antioxydant ajouté aux farines et huiles de poisson. Il n’existe aucune évaluation officielle de son impact sur la santé alors que ce produit était à l’origine utilisé comme pesticide.

“C’est surveillé mais pas retiré”, reconnaît Marine Harvest.

-Poux de mer-

En Norvège, la qualité du poisson est malgré tout jugée globalement rassurante. Le débat se focalise en fait sur l’impact écologique des élevages.

“Dans certaines régions, l’industrie n’arrive pas à contrôler les poux de mer, qui finissent par affecter les saumons sauvages”, qui peuvent en mourir, regrette Truls Gulowsen, de Greenpeace Norvège.

Selon lui, les industriels ne font pas assez d’efforts pour réduire le volume de saumons dans chaque cage, propice au développement des parasites.

La lutte anti-poux est pourtant “notre grande priorité”, assure Catarina Martins, responsable du développement durable chez Marine Harvest. L’entreprise respecte désormais la proportion, fixée par le gouvernement, de 97% d’eau pour 3% de poisson dans ses filets.

Les industriels utilisent aussi de petits poissons “nettoyeurs” pour aspirer les parasites. Mais ils n’arrivent pas encore à se passer de traitements chimiques.

Les fuites de saumons hors des fermes, à cause de tempêtes ou de l’usure des filets, inquiètent aussi, car ils se reproduisent alors avec les saumons sauvages.

“Il y a beaucoup de spéculations sur les conséquences génétiques. Les poissons sauvages pourraient devenir moins aptes à la survie”, estime Terje Svasand, de l’Institut de recherche marine, qui a énormément développé son département aquaculture, avec des programmes de surveillance des rivières et de l’impact des déjections d’élevage sur l’écosystème marin.

Les échappées reculent depuis quelques années, mais 200.000 saumons se sont tout de même fait la belle en 2013.

“L’industrie innove beaucoup” pour résoudre ces problèmes mais ces technologies “coûtent très cher. C’est peut-être pour ça que cela ne va pas plus vite”, résume Solveig Van Nes, de l’ONG Bellona.