Tunisie – Terrorisme : La police et la justice entre le marteau du devoir et l’enclume du pouvoir

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«Nous avons envoyé nombre de correspondances aussi bien à Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, qu’à Nadhir Ben Ammou, ministre en fonction aujourd’hui, pour les prévenir quant à de sérieuses présomptions touchant des cadres et même des hauts commis au ministère que nous soupçonnons d’être impliqués dans la couverture de personnes mouillées dans des actes terroristes. Personne n’a réagi par rapport à cela.

En ce qui nous concerne, nous estimons que la Tunisie passe par une phase délicate et dangereuse. Le terrorisme pour lequel elle n’était tout juste qu’une zone de passage s’y installe de plein droit. La Tunisie, reconnaissons-le, est devenue aujourd’hui une base arrière pour les organisations terroristes qui se sont déplacées de l’Algérie -trop risquée pour eux- à une Tunisie plus “clémente“. Devons-nous faire comme si de rien n’était? Notre devoir en tant qu’agent de l’ordre est de veiller sur la paix, la sécurité et la stabilité de notre pays, nous somme d’ailleurs doublement, en tant que responsables sécuritaires et en tant que citoyens», a tenu à préciser Montassar El Matri, secrétaire général des Syndicats de l’Union nationale des syndicats des forces de sécurité (UNSFST).

Montassar El Matri, Sahbi Jouni -responsable juridique- et Imed Ben Khlifa –porte-parole du syndicat, comparaîtront suite à leurs allégations touchant des magistrats concernant la relaxe de terroristes, en tant que témoins devant le juge d’instruction du Bureau n°2.

En réaction, Raoudha Laabidi, présidente du Syndicat des magistrats, a condamné les propos incriminant des juges dans le terrorisme sans qu’ils soient étayés par des preuves solides: «Personne ne doit être épargnée dès lors qu’il s’agit de la sécurité de notre pays, qu’il s’agisse d’un magistrat, d’un haut commis de l’Etat ou même d’un ministre. Nous estimons toutefois que chaque institution et chaque acteur doit agir dans le cadre des prérogatives qui lui sont attribuées. Pour nous, la primauté de la loi doit prévaloir quel que soit le sujet visé. Les policiers font des investigations et arrêtent les présumés innocents et il revient au juge de les accuser ou de les innocenter. Il ne faut pas user de l’argument de protéger nos concitoyens contre le terrorisme pour s’octroyer des droits qui ne nous appartiennent pas. La police n’aura pas carte blanche pour manipuler le droit et les lois à sa guise sous prétexte de lutte contre le terrorisme et les magistrats qui sont incriminés dans des actes de complicité, de relaxe ou de couverture de terroristes menaçant réellement la stabilité et la sécurité nationales doivent être sanctionnés et dénoncés. Mais il ne faut pas citer des noms sans apporter les preuves adéquates et convaincantes. Tout doit être débattu et décidé dans un cadre légal».

Raoudha Laabidi ne manque pas d’attester que le Syndicat des magistrats est parfaitement conscient du danger que représente un parquet aux ordres pour l’instauration d’une véritable justice: «Dans la phase transitionnelle par laquelle passe notre pays, un parquet dépendant du pouvoir exécutif devient un danger parce qu’il ne peut en aucun cas garantir la neutralité, l’indépendance et l’intégrité de l’appareil judiciaire. C’est ce qui explique que nous saisissions chaque opportunité pour rappeler aux autorités l’importance d’une instance supérieure de la magistrature indépendante, élue et approuvée par la majorité des édiles. Ce n’est malheureusement pas le cas à ce jour, mais nous lutterons pour y arriver. Ceci ne veut pas dire que l’on doive en tant que magistrat souffrir de la partialité de l’autorité de tutelle et des accusations déplacées de nos vis-à-vis, agents ou responsables sécuritaires».

Le Syndicat des magistrats a refusé à l’Etat une subvention de plus de 25 mille dinars pour garantir son indépendance décisionnelle face au pouvoir exécutif. La présidente ne manque pas d’ailleurs de rappeler que les juges qui se sont soumis aux ordres et ont appliqué la loi sur le terrorisme promulguée dans l’ère Ben Ali ont été aujourd’hui limogés et écartés de leurs postes. «Nous ne prendrons pas les mêmes risques deux fois de suite et nous ne serons pas les dindons de la farce».

C’est également le cas pour la police qui a été manipulée et utilisée à des fins politiciennes pour se retrouver tout de suite après le 14 janvier 2011 dans le box d’accusés.

Montassar El Matri déplore: «Nous avons été salis, nous avons été accusés d’avoir tué nos compatriotes, nombre de nos confrères sont en détention pour avoir exécuté les ordres. Nous ne comptons pas revenir en arrière ni refaire les mêmes erreurs. Ne plus être les victimes d’un système vicié, c’est notre but en tant que syndicat. Nous ne faisons pas de politique mais l’agenda sécuritaire s’impose de lui-même. Le terrorisme menace la stabilité du pays, son économie et sa paix sociale. Nous prenons également des risques que nous assumons pleinement en tant que policiers, mais nos familles n’ont rien à y voir, pourtant c’est le cas, elles sont aussi menacées que nous. Dans ce contexte particulier, nous ne baissons pas les bras et nous essayons d’assurer du mieux que nous le pouvons. Cependant, je ne voudrais pas que les 60.000 policiers qui travaillent dur et s’investissent dans leur travail deviennent amers et désillusionnés au point de ne plus mener comme il se doit la lutte contre le terrorisme. Car s’attaquer aujourd’hui à des terroristes armés jusqu’aux dents, c’est risquer à chaque minute, chaque seconde sa peau. Devons-nous frôler la mort pour que les “tueurs“ soient relâchés ensuite?»

Le ministère de l’Intérieur a vécu, depuis le 14 janvier, nombre de mutations et de bouleversements allant d’un interventionnisme trop poussé de prétendus militants des droits de l’Homme -qui ont œuvré à le vider de sa consistance et de ses compétences- jusqu’au retour en force d’“amnistiés“ impliqués dans des affaires pas très nettes, en passant par le recrutement de personnes dont les antécédents criminels ou terroristes n’ont pas été passés au peigne fin comme cela se faisait auparavant, ce qui le rend assez vulnérable. La régénérescence du ministère est en train de se faire par ses troupes mêmes, syndicats et hauts cadres soucieux d’être plus fidèles à la Tunisie. Cela ne veut en aucun cas dire que les organisations de la société civile ne doivent pas jouer leur rôle, celui d’être l’œil critique qui voit de l’extérieur ce que l’on ne peut voir de l’intérieur, qui recadre et redresse la situation à chaque fois que la situation l’exige.

Le tir n’est pas encore rectifié s’agissant de deux ministères de première importance dans le pays, à savoir l’Intérieur et la Justice. Un journal de la place (Akher khabar) a, dans son édition du mardi 10 septembre dénoncé l’implication de gardes dans les prisons tunisiennes dans le terrorisme au vu et au su de la direction générale des prisons qui laisse faire et qui autorise même la fuite de certains prisonniers. Une direction qui aurait autorisé des prêcheurs extrémistes à former et encadrer des jeunes délinquants. Pour en faire quoi? Pire, nombre de gardes recrutés récemment seraient des terroristes notoires et des personnes impliqués dans des affaires de droits communs. Ceci rime à quoi?

Si les institutions les plus importantes du pays sont minées de l’intérieur, quelle chance a la Tunisie de préserver sa stabilité et sa sécurité? Si le ministère de la Justice reste à ce jour un joujou dans les mains de politiciens dénués de tout esprit patriotique cherchant à en faire l’instrument d’un agenda propre à un seul parti, à quoi devrions-nous nous attendre?

Entre la paranoïa qui commence à toucher nombre de catégories sociales face à un terrorisme rampant et la naïveté qui continue à dominer d’autres pans de notre société, il est important de cultiver la vigilance et l’intelligence, car il est inconcevable que, à ce jour, justice et sécurité restent coincées entre le marteau du devoir et l’enclume du pouvoir.