Lamia Debbabi, présidente de l’ATFJ : «Aucune femme en Tunisie n’a accédé aux hauts postes de la magistrature»

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Lamia Debbabi est présidente de l’Association tunisienne des femmes juristes, et membre du Barreau depuis plus de 25 ans. Brillante avocate spécialiste en droit civil commercial et droits de la famille, elle a également exercé le métier de journaliste à la radio et a été membre du bureau exécutif de l’Association des jeunes avocats. «Presque pas de femmes dans la nouvelle équipe gouvernementale, c’est inadmissible et révoltant», invective-t-elle.

Comment mettre en doute les compétences des femmes tunisiennes qui ont non seulement été très actives dans le processus de lutte contre la colonisation mais aussi dans celui de la construction de la Tunisie moderne et progressiste? Elles qui ont figuré parmi les premières femmes à voter (mai 1957) alors que d’autres n’y avaient même pas droit, et qui plus est, dans des pays réputés développés.

«Malgré leur participation active dans la dynamique socioéconomique du pays, les femmes tunisiennes n’ont jamais occupé les devants de la scène politique, et ce pour plusieurs raisons: d’abord, la politique a été, à travers l’histoire, un domaine réservé aux hommes et les femmes n’ont commencé à obtenir leurs droits politiques que pendant la deuxième moitié du 20ème siècle. Ensuite, et à ce jour, elles restent soumises à des contraintes sociales et culturelles qui les obligent à renoncer à toute participation politique. Faute de soutien conséquent, elles abandonnent très vite d’autant plus que leurs charges familiales les acculent trop souvent à s’occuper de l’éducation de leurs enfants, ce qui ne leur laisse pas le temps de jouer un rôle politique».

Pour Me Debbabi, il est également inadmissible que, dans la Tunisie du CSP, il n’y ait pas eu de femme ministre de la Justice ou bâtonnière malgré le nombre important des avocates (40%) et magistrates (30%). En Tunisie aussi, aucune femme n’a accédé aux hauts postes de la magistrature comme le poste de premier président de la Cour de cassation ou procureur général auprès de cette cour ou procureur général directeur des services judiciaires. «C’est inéquitable, injuste et aussi discriminatoire envers les femmes et contre le principe de l’égalité de chances».

Il n’empêche, les lois en faveur des femmes tunisiennes restent toujours avant-gardistes par rapport à d’autres quoique aujourd’hui, nous entendons nombre de voix s’élever pour appeler à la polygamie ou à la bigamie. Ces voix ont été confrontées à une résistance inattendue de la part des Tunisiennes qui s’investissent de plus en plus non seulement dans la préservation des acquis mais revendiquent une égalité effective ainsi que la réforme des lois discriminatoires. «Ce n’est pas le cas des femmes égyptienne et libyenne, lesquelles continuent à lutter pour la reconnaissance de leurs droits, indique la présidente de l’ATFJ qui appelle à plus de vigilance, car «contrairement à ceux qui pensent que les acquis des femmes ne sont pas menacés et que l’histoire ne peut régresser, les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak nous démontrent le contraire».

Les droits des femmes seraient menacés parce qu’ils sont tributaires du politique, indique Me Debbabi. «Après l’indépendance, nous avons assisté au dévoilage qui revêtait une symbolique exprimant une volonté manifeste pour la libération des femmes. Après la révolution, nous avons assisté aux tentatives des conservateurs qui ont voulu, dans le premier draft de la Constitution ainsi que le deuxième, renforcer le référentiel islamique au détriment du référentiel des droits universels de l’Homme. Il ne faut surtout pas minimiser les risques et la gravité de la phase transitoire sur les droits des femmes».

L’Association des femmes tunisiennes juristes se veut un acteur actif et influent dans l’évolution des lois en faveur des femmes et de la famille, la promotion du droit ainsi que l’accès des femmes à la culture juridique par la vulgarisation du droit, l’information et la sensibilisation. «Bien que notre référentiel soit les droits humains de la femme et les valeurs universelles de l’homme telles que définies dans les conventions internationales et dans le CEDAW, nous considérons qu’une vision éclairée et moderniste basée sur l’Ijtihad est un moyen de garantir l’égalité des sexes».

Pour garantir les droits des femmes, il faut d’abord les constitutionaliser par l’inscription du principe de l’égalité totale des citoyens et citoyennes dans les droits et obligations. Il faut, pour ce, se référer aux valeurs universelles des droits de l’homme, introduire l’approche «Genre» dans toutes les stratégies nationales, garantir l’égalité des chances dans la pratique et assurer leur respect par l’instauration d’un mécanisme de contrôle ou d’un observatoire de l’égalité des chances. «Il faut maintenir la parité, éveiller la conscience des femmes sur l’importance de leur rôle dans les hauts postes de décisions et former les femmes dans le domaine politique afin d’assurer une génération des femmes politiques».