Médias : L’amère liberté de la presse tunisienne!

press-030512.jpgLe Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a présenté, ce 3 mai 2012, son rapport annuel sur les libertés. Un rapport bien garni en termes de violations de la liberté de presse et d’agressions contre les journalistes. Dans ce jour où les journalistes sont censés célébrer la journée mondiale de la liberté de la presse dans cette Tunisie postrévolution, la réalité est autre.

Les journalistes tunisiens sont certes arrivés à vaincre la peur, après le 14 janvier 2011, et gagner une liberté qui leur était interdite auparavant, mais ils sont actuellement au cœur de toutes les polémiques et de tous les débats. Le sit-in devant la télévision nationale, le procès de Nessma TV, sont deux exemples vivants de cette crise que connait la presse tunisienne face au jeu politique mais aussi aux pressions de tous genre.

Agressions multiples…

«On a enregistré une moyenne d’une agression chaque semaine, formulée par une violence physique et verbale», lance Aymen Rezgui, membre du bureau exécutif du SNJT. «Au temps de la dictature, il y avait une seule partie qui nous agressait. Après la révolution, il y a déjà trois parties», ajoute-t-il.

Il s’agit du dispositif sécuritaire, qui a poursuivi ses mêmes méthodes, selon le journaliste, déjà dès le lendemain du 14 janvier. La première agression a été enregistrée, le 6 mai 2011, à l’encontre d’un groupe de journalistes à l’avenue Habib Bourguiba. Certains ont même été attaqués devant le siège du journal La Presse. La dernière en date concerne l’agression d’une équipe journalistique de la chaîne Nessma TV, le jour de la célébration de la fête du travail, le 1er mai 2012.

Les hommes politiques ne se sont pas, eux aussi, empêchés de «s’en prendre» aux journalistes. Selon Aymen Rezgui, il y avait une incitation de la part de certains politiciens contre les médias tunisiens et une provocation de l’opinion publique. Il évoque des leaders dans le parti Ennahdha et du Congrès Pour la République.

Les journalistes ont été attaqués également par des groupes de citoyens et des partisans de partis politiques. «Certains ont subi des menaces allant jusqu’à la mort, pour avoir parlé de sujets qui ne plaisaient pas à certains. Je voudrais dire que la presse libre n’est pas seulement la responsabilité des journalistes mais de toute la société», souligne le journaliste.

Intrusion…

D’un autre côté, Néjiba Hamrouni, présidente du SNJT, a affirmé qu’il y a une intrusion du pouvoir exécutif dans le métier, faisant allusion à la consultation nationale sur la réforme des médias. «Nous avons boycotté la consultation parce qu’on n’a pas pris en compte le syndicat dans son organisation. En plus, on a engagé des personnes qui ne représentent pas le secteur et d’autres qui sont le symbole de la corruption médiatique du temps de Ben Ali», précise-t-elle.

Mme Néjiba indique qu’il y a un besoin de créer des structures de régulation afin de permettre une organisation du secteur sur de nouvelles bases. Et souligne d’ailleurs qu’un rapport spécial sera publié prochainement, dédié à la déontologie du métier. Il prend en compte toutes les violations commises à ce titre.

Concernant le cadre législatif, Mme Néjiba a signalé qu’il n’est pas encore clair et ne protège pas suffisamment les journalistes tunisiens. A rappeler que trois décrets ont été promulgués après le 14 janvier 2011. Mais la présidente du syndicat affirme que certaines parties ont essayé de réduire leur importance. Le premier (article 41), le 26 mai 2012, concerne l’accès aux documents administratifs des institutions publiques. Le deuxième (article 115), le 2 novembre 2012, donne le droit d’immunité au journaliste, et son agression est traitée au même titre du fonctionnaire public. Le troisième (article 116), à la même date précédente, concerne la création d’une haute instance de l’audio-visuel.

Liste noire…

Mais selon le rapport du SNJT, le système juridique englobe encore des articles de lois répressifs, utilisés par le président déchu pour la liquidation de ses opposants. C’est le cas par exemple de l’article 121-3 du code pénal qui stipule «l’interdiction de distribuer des publications qui portent atteinte à l’ordre public (…) Toute violation est susceptible d’une peine de prison de 6 mois à 5 ans et d’une amende de 120 dinars à 1.200 dinars».

Concernant la liste noire des journalistes, la présidente du SNJT affirme que la liste est fin prête mais elle ne sera pas publiée dans l’immédiat. «Si nous allons la publier maintenant, on sera confronté à des poursuites judiciaires. Nous travaillons sur cette affaire avec un groupe d’avocats», ajoute-t-elle.

Elle indique que le syndicat a envoyé des lettres à la présidence de la République et au Premier ministère pour avoir accès à des documents relatifs à l’affaire, mais il n’a pas reçu de réponse. «Un conseiller de la présidence m’a confirmé l’existence de documents prouvant l’implication de journalistes corrompus avec l’ancien régime et Abdelwaheb Abdallah. Nous avons demandé aussi au ministère de l’Intérieur de nous donner une copie des documents similaires. Mais toujours pas de réponse», lance-t-elle.