Tunisie – Croissance et investissement : Une hirondelle ne fait pas le printemps

utica-1212-1.jpg«Ce n’est qu’un début de printemps en Tunisie, quant à parler de printemps arabe, c’est trop dire», a estimé Béji Caïd Essebsi, Premier ministre sortant, lors de la Conférence internationale organisée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), le CMI et l’UTICA, intitulée : “Favoriser la croissance et l’investissement pendant la transition” organisée lundi 12 décembre au siège de la Centrale patronale.

BCE a tenu à préciser, à l’occasion, que toutes les révolutions ne débouchent pas forcément sur des démocraties. «Il y en a qui finissent dans des bains de sang. Fort heureusement, dans notre pays, nous avons pu et su gérer une situation des plus délicates durant les 9 mois de notre exercice, la démocratie a ses exigences. La Tunisie a des atouts que d’autres pays n’ont pas, mais cela ne veut pas dire que la tâche sera facile pour le prochain gouvernement qui n’aura pas l’excuse de la transition». En rappelant que le mandat de son gouvernement a été un succès rien que parce que les élections se sont bien déroulées, le Premier ministre sortant a quand même indiqué: «Les élections ne sont pas contestées même si elles ne sont pas parfaites».

BCE a insisté sur le fait qu’un minimum de bien-être est nécessaire à la réalisation de la transition démocratique et la pratique d’un minimum de vertu, pour cela, le support économique est indispensable. Le premier défi est bien entendu l’emploi, et c’est l’Etat qui devrait s’y atteler le premier en tant qu’artisan des grandes œuvres.

Rappelons que l’Initiative «d’une transition à l’autre» dans laquelle se déroule la conférence est un cadre dans lequel la BERD peut faciliter les échanges d’expériences en matière de transition et de réformes entre les actuels pays d’opération de la Banque et ceux de la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen.

La BERD n’a jamais entrepris auparavant d’actions dans les pays du Sud de la Méditerranée, ce qui fait de la conférence organisée à l’UTICA une belle opportunité pour discuter des programmes de la Banque européenne de construction et de développement dans la région.

Ivan Miklos, vice-Premier ministre de la Slovaquie et intervenant, a précisé que l’avantage qu’avait son pays lors de la chute du régime communiste était que le monde ne souffrait pas d’une crise économique aussi difficile que celle d’aujourd’hui. «Il est vrai que nous avons dû faire face à l’éclatement de notre pays (ex Tchécoslovaquie, NDLR), mais nous nous sommes empressés d’apporter des réformes au niveau des codes fiscaux et d’investissements. Nous avons encouragé une fiscalité responsable et amélioré nettement le climat des affaires. Nous avons offert aux investisseurs, tous pays confondus, toutes les opportunités possibles et imaginables pour les inciter à s’implanter dans notre pays». Ceci a eu pour résultat un taux de croissance à deux chiffres (10%).

La Tunisie, dotée de nombre d’atouts, a besoin d’une grande stabilité sociale et pour être efficaces, les Tunisiens doivent surtout croire en eux et en leurs propres compétences pour pouvoir améliorer la situation socioéconomique du pays.

La Tunisie doit se remettre au travail

«Les urnes ont parlé, et en dépit des analyses politiques et politiciennes exprimées au gré de certaines spéculations, la Tunisie semblait enfin… se remettre au travail et s’atteler à la réalisation des objectifs de la révolution: l’emploi des jeunes et le développement des régions. La tâche est d’autant plus ardue que la pression de l’emploi, les revendications sociales, le ralentissement des exportations, et le fléchissement des investissements ont considérablement affecté les marges de manœuvre des entreprises que nous sommes», a déclaré dans son allocution d’ouverture Wided Bouchammaoui, présidente de l’UTICA. Pour elle, l’entreprise tunisienne est au cœur du mouvement de transition historique par lequel passe la Tunisie. Une transition dont les priorités se rapportent au désenclavement économique des régions et à l’emploi d’une jeunesse désespérée qui a besoin qu’on lui rende l’espoir et qui a besoin de réapprendre à rêver…

Une «jeunesse capable du meilleur, une jeunesse créatrice, innovatrice, mature, intelligente, compétente, tolérante et patriotique», a ajouté Wafa MAkhlouf Sayadi, présidente du CJD, qui s’est étonnée de constater «une absence de ces jeunes au sein de l’Assemblée constituante et dans la mise en place du processus démocratique et la reconstruction du pays. L’avenir de la Tunisie repose principalement sur sa jeunesse».

Wafa Sayadi ne s’est pas contentée de vanter les mérites de la jeunesse tunisienne, elle a également présenté des suggestions pour améliorer leur employabilité et l’environnement des affaires dans le pays. Ceci passera forcément par la mise en place de nouvelles législations et la réactualisation d’autres. Par des restrictions à apporter à l’interventionnisme étatique et la mise en place d’une justice transitionnelle transparente, impartiale, équitable avec pour objectif une réconciliation nationale, l’instauration de la bonne gouvernance et de la transparence dans tous les domaines, particulièrement l’administration et la justice et par une plus grande ouverture sur le monde pour attirer des investisseurs étrangers.

La BERD aura un rôle particulièrement important dans le soutien du secteur privé, d’ores et déjà à travers des accords signés avec des entreprises telles Tuninvest, spécialisées en capital risque, elle compte asseoir tout un programme pour renforcer la place des PME à l’échelle nationale en Tunisie.

La BERD compte également encourager le développement d’activités dans le secteur agroalimentaire. «La Tunisie est un pays importateur net de blé et enregistre la plus forte consommation de blé par habitant de l’Afrique du Nord… Le financement du secteur privé à l’agriculture reste très limité en Tunisie; l’infrastructure soutenant la chaîne de valeur, la logistique et les canaux de distribution accuse un retard de développement et on constate un manque de réseaux de fournisseurs modernes et efficaces. Ces défis, toutefois, peuvent constituer d’intéressantes opportunités d’investissement».

La Tunisie est confrontée à toutes sortes de défis en cette période transitoire, l’un des plus importants est le rétablissement de la confiance entre les pouvoirs politiques, les décideurs et la population. Cela ne se fera pas à coups de discours ou de promesses approximatives. La Tunisie peut tirer les enseignements de la transition et des réformes en Europe centrale et orientale, mais le fait est que nous appartenons à deux cultures différentes et cela pèse à tous les niveaux, même sur le plan de la réactivité face aux défis économiques et la culture du travail elle-même pas des plus développées dans des pays comme les nôtres.

Les Tunisiens restent toutefois pleins de ressources

«Pour la relance de l’économie de notre pays, il existe une solution simple, efficace, pas chère, et applicable dès demain, c’est la mise en place de l’open sky et de vols longs courriers vers les principaux marchés de la planète, à commencer par ceux qui sont immenses et connaissent une croissance exponentielle (Inde, Chine et Brésil en tête…). Avec des exportations qui vont dépasser les 25 milliards de dinars cette année , j’ai fait mes petits comptes -car je suis friand de statistiques-, je me rends compte qu’à l’échelle du continent africain, la Tunisie est le deuxième exportateur du continent, derrière l’Afrique du Sud, hors hydrocarbures, dont notre sous-sol est malheureusement pauvre, mais dont les pays qui en sont dotés n’ont qu’à l’extraire et le vendre… Les exportations hors-hydrocarbures sont en revanche le fruit d’une politique volontariste de diversification de l’économie et de formation de la population… Avec cela… on ne peut que constater l’énorme potentiel économique de notre pays, à nous”. Cette précieuse opinion est celle Tarek Klaa, fervent lecteur du WMC. Avis aux experts.

Moncef Marzouki, président de la République, a déclaré ce matin dans son discours d’investiture qu’en cette période de transition, le pays s’attaquera aux réformes les plus impératives aux échelles socioéconomiques et politiques et non pas structurelles, car il s’agit de parer au plus urgent. «Les expériences internationales en matière de transition montrent que l’enchaînement des réformes politiques, économiques et sociales dans un contexte économique et politique incertain est très important, comme l’est le rôle des institutions de l’État, d’un climat des affaires dynamique et d’autres facteurs extérieurs».

Le prochain gouvernement saura-t-il faire les bon choix? Attendons voir.