Ennahdha pour un marché maghrébin entre la Tunisie et la Libye

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Un programme économique libéral, des choix qui vont vers la consécration du libéralisme économique et celui de l’initiative privée, la lutte contre la fragmentation des terres agricoles et des biens immobiliers pour une meilleure gestion des ressources de l’Etat et la formation de compétences répondant aux exigences du marché du travail.

Telles sont les grandes lignes de la pensée économique du parti Ennahdha, profondément ancrée dans la pensée libérale.

Pour plus de précision, entretien avec Ridha Saïdi, responsable du Plan et de la Programmation au bureau exécutif du parti.

WMC : Vous êtes le bloc majoritaire au sein de la Constituante. Quels seront les défis auxquels vous devriez faire face dès que vous serez opérationnel?

Ridha Saïdi : Le gouvernement d’unité nationale aura des priorités économiques. Rien qu’au niveau des recettes fiscales, il y aura une régression en 2012 par rapport à 2011. Il y a également la crise européenne qui s’annonce de plus en plus difficile à gérer. Nous ne pouvons négliger l’impact d’une régression économique possible des Européens sur notre pays d’autant plus que les donneurs d’ordre dans les domaines de l’industrie et du tourisme sont européens, étant nos plus importants partenaires (80% de nos échanges commerciaux). Un point positif toutefois, la possibilité de délocalisation de nombre d’entreprises européennes en direction de la Tunisie en 2012.

Encore faut-il que le climat social s’y prête, ce qui n’est pas le cas pour l’instant…

Il est évident que parmi les conditions indispensables à la délocalisation et à l’investissement étranger, il y a la stabilité sociale ainsi que la sécurité et l’ordre qui doivent régner sur tout le territoire national. Le déroulement des premières élections démocratiques, de manière très civilisée, représente une victoire non seulement pour la Tunisie mais pour tous les pays arabes. Le prochain gouvernement issu des urnes aura la légitimité requise pour prendre des décisions surtout dans le domaine économique et qui engageront tout le monde.

2012 est une année de relance et nous tenons à rassurer les entreprises tunisiennes que nous sentons inquiètes quant au climat social. Nous avons à ce propos rencontré les représentants de l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT) et à leur tête M. Abdesslem Jrad. Le message que nous avons voulu transmettre est que cette période est critique pour tous les Tunisiens et que nous devons nous entraider et nous soutenir dans le seul intérêt du pays. Les organisations qu’elles représentent, les employeurs ou les employés, doivent travailler main dans la main pour assurer la relance économique. Nous appelons à ce propos à un pacte social pour donner des signes positifs aux investisseurs et rassurer les entrepreneurs. Nous avons vu des entreprises partir de notre pays comme Benetton et Yazaki aujourd’hui réimplantées au Maroc lequel pays a profité et profite encore d’une prétendue instabilité sociale de la Tunisie pour attirer les investisseurs étrangers.

Le pacte social est important et il faut stopper cette vague de grèves, de manifestations et de sit-in qui freinent l’activité économique. Nous comptons œuvrer à assurer les droits des travailleurs tout en préservant la compétitivité des entreprises. Pour cela, il va falloir travailler sur la culture de la productivité. Il faut qu’employés et ouvriers sachent que pour que la révolution réussisse et que le pays avance, il faut travailler plus et mieux.

Lors d’une rencontre que nous avons eue à l’Institut arabe des chefs d’entreprise, un entrepreneur nous avait déclaré qu’il avait arrêté d’investir, il y a 10 ans parce qu’il avait peur de la mafia de l’ancien régime, il voulait être rassuré quant au nouveau climat d’affaires en Tunisie.

Est-ce que vos positions économiques trouvent écho chez d’autres partis élus à la Constituante?

Il est vrai que nous avons des points de vue différents avec le comité économique du CPR pour ce qui est des relations économiques à l’international et les priorités économiques, ce qui pourrait entraver le fonctionnement du prochain gouvernement.

Pour ma part, je suis optimiste et je considère que nous n’avons d’autre choix que d’arriver à un consensus dans l’intérêt de notre pays. Nous observons une reprise des projets d’investissements en direction du site Tunisie, la Libye nous offre également des perspectives positives en matière non seulement d’embauche mais également d’investissement.

Vous pensez qu’il y aurait des Tunisiens qui se déplaceront en Libye dans un climat dont le moins qu’on puisse dire est incertain?

Beaucoup d’entreprises tunisiennes se sont déjà déplacées en Tunisie dans le but de prospecter le marché voisin. Pour ce qui nous concerne, nous avons discuté avec le CNT (Conseil national de transition) libyen, et nous avons reçu de grandes promesses relatives à l’emploi, à l’investissement et aux échanges commerciaux.

Un grand volume de produits et de marchandises tunisiennes est aujourd’hui commercialisé en Libye. Particulièrement les produits agroalimentaires dont le marché libyen reste très demandeur. D’ailleurs, parmi les projets que nous comptons lancer, c’est la création d’un marché maghrébin commun avec la Tunisie et la Libye comme plateformes principales. Nous sommes en discussion à ce propos avec l’Algérie et prévoyons de traiter avec l’Egypte.

Parmi d’autres indices qui nous autorisent à être optimistes quant à la création de nouveaux postes d’emplois, les délocalisations d’entreprises françaises, italiennes et allemandes à destination de la Tunisie, crise européenne oblige. Un investisseur britannique avec lequel nous sommes en contact étudie sérieusement la possibilité d’investir en Tunisie pour un volume de 100 MDT.

Nous avons reçu de grandes promesses pour ce qui est des investissements étrangers. Le Qatar compte d’ores et déjà relancer le projet de la raffinerie de Skhira. Le projet de Sama Dubaï sera récupéré par des investisseurs qataris et koweitiens. Le Port Financier de Bukhatir sera repris par les investisseurs Bahreinis. Au vu de tous ces signes que j’estime positifs, je crois en une rapide reprise économique surtout que l’image de marque de la Tunisie a été très valorisée depuis la révolution.

Le secteur touristique devrait également redémarrer et un professionnel du secteur au nom de Tijani Haddad organise cette semaine une journée sur le tourisme tunisien à laquelle nous avons été conviés en tant qu’Ennahdha.

Notre parti tient à garder le contact avec les partenaires traditionnels dans chaque secteur, nous ne voulons pas de rupture brutale.

Comment définissez-vous votre rôle en tant que prochains gouvernants dans l’encouragement des investissements?

Notre premier rôle serait de doter les régions intérieures du pays des infrastructures nécessaires et des commodités indispensables pour créer le climat adéquat aux investissements.

Comment comptez-vous financer ces gros projets?

Nous avons des lignes internationales de financements prévues, et d’un autre côté, des projets d’infrastructures stoppés net pour des raisons que nous ignorons alors que leurs financements existent et leurs études ont été achevées. Il y a toute une liste de projets existant au département de l’Equipement et nous sommes en train de faire des investigations pour comprendre le pourquoi et comment de leur non accomplissement.

Il faut, par ailleurs, reconnaître qu’il y a eu certaines réalisations qui ont été achevées et que les autres, telles les infrastructures routières, prennent du temps entre études et concrétisation.

Les pistes rurales seront prioritaires car nous voulons désenclaver les zones agricoles et permettre aux propriétaires et paysans dans les terres agricoles de se déplacer beaucoup plus aisément.

Nous avons par ailleurs mis en place un plan pour mettre fin à la fragmentation des terrains agricoles et résoudre les problèmes d’héritage en préservant les intérêts des héritiers et ceux du pays.

Qu’en est-il des terres domaniales?

Les terres domaniales ont été à ce jour très mal exploitées. Un million d’hectares rapporte au gouvernement chaque année 1 million de dinars. Ceci, parce que les terres de l’Etat sont exploitées par les acolytes de l’ancien régime. Elles servaient de récompense aux personnes loyales au système sans oublier les manigances au niveau de l’administration même pour en faire bénéficier les proches.

C’est triste alors qu’elles devraient renforcer les revenus de l’Etat. Un haut fonctionnaire au ministère des Domaines de l’Etat m’a raconté que le patrimoine immobilier et agricole de l’Etat tunisien devrait lui rapporter 6.000 MDT par an, sans parler d’autres ressources. La mauvaise gestion du patrimoine de l’Etat a eu pour conséquence de faire perdre des milliers de millions de dinars au pays. Ceci nous rappelle les pratiques des féodaux au moyen âge, à l’époque le seigneur offrait des petits lopins de terres à ses serfs, sous l’ancien régime, on offrait les biens de l’Etat aux plus «fidèles serviteurs».

Vous devez également faire face à un autre chantier important, celui du chômage. Avez-vous les moyens de vos promesses?

Concernant l’emploi, nous observons un léger recul des chômeurs aux rangs des non diplômés du supérieur. Reste celui des diplômés auquel nous comptons nous attaquer à travers la fonction publique. Pour commencer non pas en sur-peuplant les administrations mais en faisant en sorte de renforcer l’encadrement dans le secteur de l’enseignement dans lequel nous avons remarqué des carences au niveau des cadres techniques, sociaux, sportifs et culturels.

D’autre part, nous comptons sur les nouveaux investissements pour créer de nouveaux postes d’emplois et le renforcement des taux d’encadrement au sein des entreprises privées. Les opérateurs privés se plaignent de la faiblesse des niveaux des diplômés, ce qui se justifie dans nombre de cas et c’est pour cela que nous comptons investir dans la formation tous azimuts et dans tous les secteurs. D’où l’indispensable réforme de l’enseignement dès les classes primaires et jusqu’aux universités.

C’est un grand chantier qui doit faire l’objet d’un dialogue national car nous ne pouvons vendre des compétences qui ne se justifient pas sur le terrain.

Nous ne pouvons mentir aux investisseurs en prétendant avoir des mains-d’œuvre qualifiées alors qu’elles ne le sont pas. La formation continue, ciblée, de pointe et à la carte représente une priorité pour nous. La formation professionnelle doit être revue et corrigée dans le sens de satisfaire les demandes du marché et du secteur privé. La recherche appliquée doit être introduite dans les universités pour servir les desseins économiques du pays.

Nous comptons également encourager le travail dans l’agriculture qui exige un grand nombre d’ouvrier et d’ingénieurs mais qui a été dévalorisé au fil du temps. Il est grand temps de redonner à ce secteur ses lettres de noblesses.

N’avez-vous pas peur que vos adversaires politiques vous disent, “vous êtes là pour écrire une Constitution“, pourquoi axer votre mission sur les projets gouvernementaux?

Nous estimons devoir répondre au plus tôt aux exigences des Tunisiens qui se rapportent à la dignité, au travail et à une meilleure qualité de vie. Le gouvernement doit assurer tout cela. Les priorités du gouvernement doivent être la satisfaction des demandes des Tunisiens par catégories socioprofessionnelles. Pour ce qui est des problématiques politiques, système politique, lois d’organisation de la vie publique et autres, elles seront discutées à la Constituante.