Tunisie – Entreprises : Communication de crise et crise de la communication

Les journalistes, attachés de presse et communicateurs qui ont participé à une
récente session de formation destinée à leur faire acquérir des réflexes devant
les aider à gérer au mieux la communication au cas où une entreprise serait
confrontée à une crise, ont été désagréablement surpris de découvrir, à la
lumière des communications des animateurs et des ateliers organisés à cette
occasion, qu’il est très tôt de parler en Tunisie de «communication en période
de crise» dans la mesure où les entreprises tunisiennes ayant développé des
stratégies de communication se comptent au bout des doigts.

En plus clair encore, la communication est le chaînon manquant dans
l’administration et l’entreprise tunisiennes. D’ailleurs, un des problèmes qui
ont déclenché la révolution, c’est bien l’absence de communication. Le
gouverneur de Sidi Bouzid avait refusé, à l’époque, de recevoir le martyr
Mohamed Bouazizi.

De même, les difficultés rencontrées par de grosses entreprises comme la
Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG),
Tunisie Télécom, British Gas… sont dues
essentiellement à un déficit de communication. On ne parle communication de
crise que lorsqu’une de nos entreprises est impliquée avec l’étranger. Cas de
l’incident qu’a connu un avion de l’ancienne compagnie Karthago airlines sur le
trajet Djerba-Paris. Un incident qui a sonné la mort de la compagnie et justifié
sa fusion avec Nouvelair.

Selon Mourad Sellini, attaché de presse au Groupe chimique de Tunisie (GCT) et
auteur d’un mémoire sur la communication dans le bassin minier, les rapports
entre la compagnie et la communauté locale relevait d’une «dynamique de haine.
La compagnie était complètement en rupture avec son environnement humain».

Organisée, durant deux jours (18-19 juillet 2011), à Tunis, sur le thème: «le
rôle des médias dans la gestion des crises et le traitement de leurs effets» par
le
Centre Saphir Tunisia des études et de formation, cette formation a eu le
mérite de sensibiliser le monde de la presse à un sujet aussi sensible tel que
la communication de crise et à l’enjeu pour les entreprises de recruter des
communicateurs professionnels.

L’enjeu est de taille lorsqu’on sait que jusqu’au 15 juillet 2011, quelque 265
entreprises sont déclarées sinistrées par les dégâts qu’elles ont subis depuis
la révolution. Sur ce total, 135 ont été soit incendiées, soit pillées, soit
complètement détruites. En toute logique économique, ces entreprises doivent
cravacher dur pour communiquer avant de se redresser et améliorer leur image de
marque auprès de leurs clients et fournisseurs.

En théorie, le stratège international de communication de crise, Didier
Heiderich, président de l’Observatoire international de crise, retient trois
scénarios: face à une crise, l’entreprise peut reconnaître le problème, faire
diversion ou obstruction.

Le premier consiste à reconnaître la crise, à en assumer les conséquences
(réparation des dommages causés s’il y en a) et en élargir la responsabilité à
d’autres acteurs (lenteur administrative, mauvaise politique générale, non
professionnalisme des autorités de régulation…). Pour lui, cette stratégie de
reconnaissance, encore peu employée, est celle qui fonctionne le mieux. A ses
yeux, «opter pour cette stratégie, c’est jouer la carte de la transparence et
acquérir une crédibilité certaine auprès des divers vis-à-vis».

Le second scénario cherche à modifier l’angle de vue de la crise. A titre
indicatif, la compagnie de lignes intérieures, Tuninter -à l’époque et
Sevenair,
et
Tunisair Express
aujourd’hui-, aurait dû, moyennant une bonne communication,
reporter, dès le départ, la responsabilité de l’amerrissage de son avion ATR au
large de la Sicile au constructeur franco-italien. Il s’agit également de
minimiser la crise en développant des scénarios pires…

Le troisième scénario refuse toute communication. Il plaide pour le silence
total. Didier Heiderich estime que le scénario du refus est le pire. Il peut se
traduire par une perte totale de la crédibilité.

Au-delà de ces scénarios, les stratèges de la communication pensent que la
communication de crise ne peut être efficace et productive qu’avec une bonne
gouvernance de l’entreprise, une gouvernance qui reconnaît en connaissance de
cause le bien-fondé de la communication.