Tunisie : La communauté d’affaires proche de l’ancien régime doit se réhabiliter

azzam-mahjoub-1.jpgÉtat gendarme? Ou Etat providence?

Le rôle de l’Etat, estime le macroéconomiste Azzam Mahjoub, est d’assurer plus d’égalité et de justice sociale, moraliser l’économie et être un exemple en matière de bonne gouvernance et de transparence. L’Etat doit pouvoir rétablir les grands équilibres économiques et sociaux, il doit tout autant mettre les services publics au service de l’intérêt général et surveiller la bonne marche de l’économie.

Ceci est d’autant plus utile dans un pays où la corruption s’est érigée en système de valeurs toléré et accepté.

Entretien

WMC: Pendant longtemps, on nous a fait croire que de la sécurité dépendait la stabilité de l’économie à tel point que nous avions fini par le croire et que nous arrivions à supporter le poids d’un régime aussi dictatorial que ce lui de Ben Ali.

Azzam Mahjoub: Le système économique dans sa globalité a été miné et perverti par la grande et petite corruption et soumis à des pratiques rentières et clientélistes généralisées, d’où la nécessité d’une réforme structurelle du système. L’idée selon laquelle dictature était synonyme de stabilité économique, de croissance et de développement est complètement dépassée. Aujourd’hui, pour qu’une économie de marché fonctionne, il faut mettre en place tous les ingrédients institutionnels nécessaires. Ce qui implique un système de réglementation et de régulation capable de favoriser un climat transparent et de garantir l’accessibilité à l’information dont celle économique.

Plus encore, une justice indépendante qui puisse trancher équitablement les affaires sans parti pris et sans a priori ainsi qu’une administration neutre, compétente et transparente qui permet l’accès aux dossiers économiques dont ceux relatifs aux marchés publics, par exemple.

L’ancien système a également érigé la corruption en tant que moyen incontournable de faire des affaires, comment changer cet état de choses?

L’ancien système facilitait la tâche aux corrompus et beaucoup y trouvaient leur compte. Ils feront certainement de la résistance car un nouveau climat d’affaires se traduira sur le terrain par la perte de certains de leurs privilèges. Il faudrait donc travailler sur un changement profond des mentalités. Certains entrepreneurs et hommes d’affaires doivent acquérir de nouveaux réflexes plus sains et plus adaptés à la nouvelle réalité tunisienne, soit une économie citoyenne, responsable, productive et non basée sur la rente de situation. Cette nouvelle économie doit être orientée vers les produits à haute valeur ajoutée.

Si nous faisions le point de l’économie tunisienne aujourd’hui, n’a-t-elle pas été la plus grande victime de cette corruption systématisée?

Il est évident qu’il faut mettre en place tout un système de lutte contre la grande et la petite délinquance. En attendant, notre économie doit reprendre au plus tôt quoiqu’il ne faille pas dramatiser. Le manque à gagner est rattrapable. A ce jour, nous pouvons considérer que les fondamentaux sont gérables. Le taux d’inflation, le déficit budgétaire, les opérations courantes et le taux d’endettement n’ont pas atteint les seuils de 1986, quand les caisses de l’Etat étaient presque vides.

Le tableau n’est pas noir mais il n’est pas non plus brillant?

Le nœud est politique et, que nous le voulions ou pas, nous sommes quand même en meilleure posture qu’à la fin des années 80. Il est vrai par ailleurs que l’appareil de production économique doit redémarrer au plus tôt. Ce qu’il faut maintenant c’est réaliser les objectifs de la révolution et répondre aux vœux de la population. Ceci serait possible grâce au pouvoir provisoire qui peut se prévaloir d’une image crédible pour gérer la transition. Cela suppose un consensus national garant d’une stabilité pour rassurer les acteurs économiques nationaux et internationaux et une remise en cause du modèle de développement économique.

Que voulons-nous, quel type de société ambitionnons-nous? Est-ce celle qui soutiendrait un libéralisme débridé? Ou plutôt devrions-nous mettre en place un modèle économique qui repositionnerait l’Etat en tant que régulateur et consacrerait une meilleure articulation entre l’Etat et le marché, balayant par la même occasion la logique de «Laisser faire le marché…?»

Quel type d’interventionnisme étatique appréhendez-vous?

Il ne s’agit pas d’interventionnisme étatique, il s’agit plutôt d’un Etat garant d’équité, de justice et prenant les mesures appropriées pour éliminer les déséquilibres sociaux et régionaux. Si les privés n’investissent pas dans une région, c’est à l’Etat d’y remédier, s’il y a des abus, des dérapages ou de mauvaises pratiques, l’Etat doit statuer. C’est son rôle.

Les paradigmes gérant la politique économique à l’intérieur du pays et à l’international doivent changer et évoluer vers un Etat plus présent et plus efficient. Il faut infléchir les coûts du développement économique qui pèsent sur le citoyen, il faut également que notre approche du Statut avancé avec l’Europe change. Aujourd’hui, nous devons être des acteurs et nous ne devons plus accepter de subir ou d’appliquer ce qu’on veut que nous fassions.

Quelle économie devons-nous développer pour la Tunisie nouvelle?

C’est une économie au service du citoyen et de l’équité. Il s’agit de créer, d’innover en préservant les équilibres économiques et en gardant les fondamentaux. Il faut aller vers un nouveau pacte économique politique et social..