Société : L’impasse du modèle tunisien

Par : Tallel


tunisien-24012011-art.jpgLa bonne gouvernance économique tunisienne louée par les institutions
financières n’est qu’un leurre, affirme un site basé en Algérie.

Les récents troubles partis de la ville de Sidi Bouzid, dans le centre de la
Tunisie, ont révélé au monde l’envers du décor de carte postale souvent associé
au pays du jasmin. Il est apparu aux yeux d’un monde plutôt surpris que les
indéniables progrès économiques de la Tunisie ne profitaient pas à tous et ne
parvenaient pas à réduire le nombre de chômeurs, qui se recrutent de plus en
plus dans les rangs des diplômés. Face à l’absence de perspective et à
l’arbitraire, le désespoir des jeunes s’exprime de manière atroce. Celui par qui
tout a commencé est un jeune chômeur de 26 ans qui s’est immolé par le feu en
criant: “Non au chômage! Non à la misère!”

Le modèle tunisien célébré par le Fonds monétaire international (FMI) et les
agences de notation financière aurait-il atteint ses limites? C’est en tout cas
ce que pensent beaucoup d’économistes, dont le Pr Lahcen Achy, du Carnegie
Middle East Center, qui, dans un article publié le 28 décembre dernier par le
Los Angeles Times, considère que la dépendance excessive de l’économie
tunisienne à l’égard du marché européen est la raison principale du blocage
actuel.

La spécialisation de l’économie tunisienne dans des secteurs à forte intensité
de main-d’œuvre peu qualifiée semble avoir fait son temps. De ce point de vue,
la Tunisie est concurrencée directement par les pays d’Asie. Elle en souffre
d’autant plus que la structure de son marché du travail s’est modifiée. La
proportion de demandeurs d’emploi titulaires d’un diplôme universitaire est
passée de 20% de la population active en 2000 à plus de 55% en 2009 ! Selon
Lahcen Achy, “la Tunisie affiche l’un des taux de chômage les plus élevés des
Etats arabes: plus de 14% au niveau national et 30% pour la tranche d’âge 15-29
ans”. La situation ne devrait pas connaître d’amélioration sensible tant que le
taux de croissance, de l’ordre de 3,8% pour 2010, restera en deçà du seuil des
5%. La concentration des échanges avec l’Europe place la Tunisie dans une
situation de dépendance critique, les retournements de conjoncture et la reprise
très molle de la croissance en Europe affectent directement les performances
économiques du pays. Cela vaut aussi bien pour le secteur du textile que pour
celui du tourisme de gamme intermédiaire, les secteurs d’activités les plus
significatifs en termes de revenus externes.

Les solutions ne sont pas nombreuses. Le développement de nouveaux secteurs
susceptibles d’employer les cadres de haut niveau bute sur les réticences des
entrepreneurs tunisiens –rebutés par l’opacité et le déficit d’Etat de droit– à
se risquer dans des créneaux d’investissements plus complexes et donc plus
risqués. Les investissements dans des secteurs à forte valeur ajoutée se
heurtent à la concurrence féroce d’économies mieux armées et disposant d’une
expérience autrement plus affirmée. La réorientation de l’économie tunisienne
vers d’autres marchés est une démarche à moyen et long terme dont les résultats
ne sont pas garantis, tant les avantages comparatifs de la Tunisie sont battus
en brèche par des compétiteurs redoutables, en Asie et au Moyen-Orient.

La crise du modèle tunisien est riche d’enseignements pour les pays de la
région. La relative bonne gouvernance économique tunisienne ne suffit pas à
installer une dynamique sociale vertueuse. La solution pourrait se trouver dans
la stimulation du marché intérieur, mais son étroitesse limite fortement les
marges de manœuvre. Une sortie par le haut de cette impasse passerait par une
réorientation vers le marché maghrébin et la coordination des stratégies
macroéconomiques régionales. Mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour dans
un Maghreb plus que jamais virtuel.


http://www.courrierinternational.com/article/2011/01/22/l-impasse-du-modele-tunisien